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La France envoie la tapisserie de Bayeux à Londres - une petition "contre" recueille 45000 signatures

Culture • Aug 19, 2025, 2:58 PM
14 min de lecture
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Une pétition mise en ligne le 13 juillet contre le prêt de la tapisserie de Bayeux au British Museum de Londres pour des raisons de conservation de l’œuvre, comptait près de 45 000 signatures mercredi 20 août 2025. "Nous demandons solennellement au président de la République de renoncer à ce projet. Ce prêt serait un véritable crime patrimonial", peut-on lire à la fin de cette pétition sur le site change.org.

Le créateur de cette pétition, Didier Rykner, directeur de la rédaction du site La Tribune de l'Art, estime que la tapisserie est "beaucoup trop fragile pour être transportée sans grand risque". "Les spécialistes de la tapisserie, les restaurateurs qui travaillent dessus et les conservateurs disent qu'il y a un risque de déchirures, de chutes de matière, dues aux manipulations et vibrations lors de son transport" a-t-il rappelé. "C'est inadmissible de prendre le risque que cette oeuvre absolument unique soit détériorée" s'est-il emporté auprès de l'AFP cité par franceinfo.

Dans une vidéo mise en ligne sur YouTube par la préfecture du Calvados en février 2025, Cécile Binet, conseillère musées de la DRAC de Normandie, affirmait que la tapisserie est "trop fragile pour être déplacée sur une grande distance" et que "toute manipulation supplémentaire" était "un risque pour sa conservation". Quelques semaines après ces déclarations, la décision a été prise de "l'envoyer à Londres. Ça n'a aucun sens, c'est uniquement politique et diplomatique" a jugé Didier Rykner.

Une étude de faisabilité du transport de la tapisserie de Bayeux vers Londres a été réalisée par des restauratrices en mars 2022, a-t-on appris de sources concordantes. "Cette étude, on refuse de me la communiquer, elle reste confidentielle", s'est agacé Didier Rykner, "le ministère de la Culture dit qu'il y a eu des études qui ont montré que l'oeuvre était transportable, montrez-les nous, je voudrais bien les voir !".

Sollicitées par l'AFP, ni la DRAC de Normandie, ni le ministère de la Culture, ni les restauratrices n'avaient répondu mercredi 20 août après-midi.

Depuis près de mille ans, la tapisserie de Bayeux raconte comment un duc français a vaincu un roi anglais lors d'une bataille - et a changé le cours de l'histoire européenne.

Aujourd'hui, alors que la France s'apprête à prêter ce chef-d'œuvre de 70 mètres de long au Royaume-Uni, les préparatifs se poursuivent en coulisses pour que ce prêt historique devienne une réalité.

La tapisserie brodée, qui dépeint les événements ayant conduit à la conquête de l'Angleterre par les Normands et à la bataille d'Hastings en 1066, devrait être exposée au British Museum de septembre 2026 à juillet 2027. Le prêt lui-même a déjà été annoncé, mais le travail complexe de déplacement et de préservation de l'un des trésors les plus fragiles d'Europe ne fait que commencer.

Lorsque le président français Emmanuel Macron a confirmé le prêt lors de sa visite d'État au Royaume-Uni en 2025 - la première d'un dirigeant de l'UE depuis le Brexit - le symbolisme n'a pas échappé aux deux côtés de la Manche. Après des années de relations froides, le geste a été perçu comme un geste de chaleur culturelle renouvelée.

Le président français Emmanuel Macron regarde les figurines de Lewis lors d'une visite au British Museum de Londres
Le président français Emmanuel Macron regarde les figurines de Lewis lors d'une visite au British Museum de Londres Benjamin Cremel/Pool Photo via AP.

Mais il ne s'agit pas seulement de politique. Les historiens s'accordent à penser que la tapisserie a été cousue en Angleterre, avec du fil de laine sur du lin. Cela fait de son retour temporaire une sorte de "retour au pays", explique Antoine Verney, conservateur du musée de Bayeux.

"Pour les Britanniques, la date - la seule - qu'ils connaissent tous est 1066", a déclaré M. Verney à AP.

C'est ce sentiment de propriété partagée - et d'histoire partagée - qui donne un nouvel élan à ce prêt complexe, dans le cadre duquel des pièces du British Museum représentant les quatre nations du Royaume-Uni, y compris les pièces d'échecs de Lewis, seront transférées dans des musées normands.

Déplacer un textile vieux de 900 ans est risqué. Déplacer un textile composé de neuf pièces de lin assemblées, représentant 626 personnages, 41 navires et 202 chevaux ? C'est encore plus risqué.

"Il y a toujours un risque. L'objectif est que ces risques soient calculés avec le plus grand soin possible", a déclaré M. Verney.

La Tapisserie de Bayeux mesure plus de 65 mètres de long.
La Tapisserie de Bayeux mesure plus de 65 mètres de long. Kamil Zihnioglu/Copyright 2019 The AP. All rights reserved.

La tapisserie a survécu aux invasions, aux révolutions et aux guerres mondiales. Napoléon l'a exposée à Paris en 1804 et les Alliés l'ont déployée à nouveau en 1944 après avoir libéré la France. Mais même avec un tel pedigree, son âge se fait sentir.

"Les fibres textiles ont 900 ans. Elles se sont donc dégradées naturellement, simplement à cause de l'âge", explique M. Verney. "Mais en même temps, il s'agit d'une œuvre qui a déjà beaucoup voyagé et qui a été beaucoup manipulée".

Les modalités du transfert de l'œuvre sont encore à l'étude. Le transfert est en cours d'élaboration entre les gouvernements britannique et français, les équipes de conservation examinant toutes les options, du contrôle de l'humidité et de la surveillance des vibrations aux conteneurs sur mesure.

Verney est convaincu que le British Museum ne prendra pas de risques inutiles.

"Comment peut-on imaginer, à mon avis, que le British Museum risque d'endommager, par le biais de l'exposition, cette œuvre qui constitue un élément majeur d'un patrimoine commun ?", se demande-t-il. "Je ne crois pas que les Britanniques puissent prendre des risques qui mettraient en péril cet élément majeur de l'histoire de l'art et du patrimoine mondial".

Cette photo fournie par la mairie de Bayeux montre un technicien travaillant sur une tablette sur la version numérique de la tapisserie en 2020
Cette photo fournie par la mairie de Bayeux montre un technicien travaillant sur une tablette sur la version numérique de la tapisserie en 2020 Ville de Bayeux via AP

Pendant l'absence de la tapisserie, le musée de Bayeux subira sa propre transformation. Le site sera fermé aux visiteurs à partir du 1er septembre de cette année pour une rénovation majeure qui coûtera des dizaines de millions d'euros. Lors de sa réouverture en 2027, l'attraction phare retrouvera un lieu ultramoderne, où elle sera exposée sur une table inclinée de 70 mètres de long, construite sur mesure.

Selon M. Verney, ce réaménagement changera complètement la façon dont les gens perçoivent l'œuvre - non seulement comme une merveille médiévale, mais aussi comme un objet de narration et de conception qui résonne encore.

Au British Museum, les conservateurs se préparent déjà à ce qui devrait être l'une des plus grandes expositions de son histoire. La tapisserie sera exposée dans la galerie d'exposition Sainsbury du musée, et le personnel de conservation sera en alerte pendant toute la durée de l'exposition.

Le dôme du British Museum
Le dôme du British Museum Eric Pouhier / CC licence

La tapisserie a probablement été commandée par l'évêque Odo, demi-frère de Guillaume le Conquérant, pour marquer la construction d'une nouvelle cathédrale à Bayeux en 1077. Pendant des siècles, elle est restée à l'abri des regards, rangée dans un coffre. Aujourd'hui, il ne s'agit pas seulement d'un rare survivant, mais d'un puissant artefact de l'identité nationale de la France et de la Grande-Bretagne.

Les images, cousues en séquence dramatique, ont souvent été décrites comme une sorte de bande dessinée médiévale. Mais elles ont du poids : les thèmes du pouvoir, de l'invasion, de la résistance et du destin résonnent encore, même dans un musée moderne.