Avant la performance du groupe irlandais Kneecap, le festival Rock en Seine sous haute surveillance

Mercredi 20 août s'est ouvert la 22e édition de Rock en Seine, festival qui se tient chaque été au parc de Saint-Cloud. Cette année, Kid Cudi, Aurora, Marc Rebillet, Justice ou encore Jorga Smith vont défiler sur la scène jusqu'à dimanche.
Mais un groupe a particulièrement fait parler de lui : les rappeurs irlandais Kneecap. La raison ? Le soutien du groupe aux Palestiniens. Lors du festival de Glastonbury, en juin dernier, ils avaient qualifié Israël d'État "criminel de guerre" pour sa guerre menée contre la bande de Gaza et en Cisjordanie.
Le chanteur du groupe a également comparu, mercredi à Londres, pour avoir brandi un drapeau du Hezbollah lors d'un concert en 2024. Le procès a été ajourné (article en anglais) et Mo Chara a été libéré sans condition pour la deuxième fois.
Sous la pression, plusieurs festivals, comme Hurricane et Southside, en Allemagne, ou Sziget, en Hongrie, ont décidé de déprogrammer le trio. Les organisateurs de Rock en Seine ont décidé de maintenir le groupe à l'affiche.
Une décision qui a eu pour conséquence la perte de plusieurs subventions, comme celle de la ville de Saint-Cloud, à hauteur de 40 000 euros, ou celle de la région Île-de-France, qui s'élevait, l'année passée, à 295 000 euros.
Des aides indirectes de 150 000 euros à l'achat de billets, notamment à destination de la jeunesse, ont également été annulées. Des annulations symboliques, le budget du festival étant estimé entre 16 et 17 millions d'euros.
Kneecap, un enjeu de "liberté d'expression"
Mais à l'approche du concert, l'attention se tourne vers Bruno Retailleau. Le ministre de l'Intérieur a été interpellé par la députée macroniste Caroline Yadan, députée de la 8e circonscription des Français établis hors de France dont Israël fait partie.
"La culture et la musique ne peuvent être utilisées pour promouvoir le terrorisme islamiste, soutenir le Hezbollah et le Hamas, ou inciter au meurtre et à la haine des Juifs", s'est-elle indignée. La venue du groupe pourrait "favoriser la diffusion de discours de haine, glorifier le terrorisme et même encourager les actes antisémites", croit-elle savoir.
La réponse du ministre de l'Intérieur ne s'est pas fait attendre. Bruno Retailleau a assuré dans une lettre qu'il "condamne fermement les propos qui ont pu être tenus par ce groupe", ajoutant qu'il était "très attentif" aux prestations du groupe, en référence à l'apparition de Kneecap, dimanche dernier, au festival Cabaret Vert de Charleville-Mézières (Ardennes), ou lors des Eurockéennes de Belfort. Mais aucun trouble n'ayant perturbé ces prestations, le groupe peut donc se produire à Saint-Ouen.
Cependant, "les débordements seront immédiatement poursuivis et, en liaison avec le préfet de Paris, qui suit de près la situation, tout élément susceptible de constituer un trouble à l'ordre public qui serait identifié entraînera l'interdiction de leur concert au festival Rock en Seine", a-t-il déclaré.
L'homme d'affaires Matthieu Pigasse, propriétaire du festival Rock en Seine, a également répondu à Caroline Yadan : "Assimiler antisémitisme et islam comme vous le faites est honteux. Prétendre que soutenir la cause palestinienne est une menace pour l'ordre public est déplorable", a-t-il écrit.
"Le champ de votre circonscription devrait plutôt vous conduire à vous préoccuper du sort des Palestiniens dans le génocide en cours, qui provoque un “drame humanitaire inacceptable” comme le dit lui-même le leader de votre majorité", a poursuivi celui qui voit dans la présence du groupe irlandais un enjeu de "liberté de création et d'expression".
Jeudi, c'est Yonathan Arfi, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), qui a décidé de relancer la machine et a demandé la déprogrammation du groupe irlandais. Pour lui, "déprogrammer Kneecap, c'est, au contraire, préserver le monde de la culture des instrumentalisations politiques et surtout de l'apologie du terrorisme".
Kneecap soutenu par de nombreux artistes
Le groupe a nié les accusations d'antisémitisme, affirmant que ceux qui l'attaquent "utilisent l'arme" de la fausse accusation pour "détourner l'attention, semer la confusion et couvrir un génocide".
Sans se laisser décourager par les accusations et l'abandon de certains festivals, Kneecap a continué à utiliser sa plateforme pour s'exprimer, non pas contre le peuple juif, mais contre le génocide en cours à Gaza.
Ils l'ont fait à Coachella, où ils ont dénoncé le financement par le gouvernement américain du "criminel de guerre Israël". À Best Kept Secret, où la projection d'avant-spectacle dénonce le "génocide israélien et la dissimulation des médias occidentaux". Ou à Oslo, lors de leur set à l'Øyafestivalen.
À Glastonbury, leur set controversé aux côtés de Bob Vylan a déclenché une enquête de police.
En Hongrie, bien qu'interdit de séjour par le Premier ministre hongrois Vikor Orbán, ils ont envoyé un message vidéo à leurs fans, leur expliquant la situation.
De nombreux artistes ont soutenu Kneecap, notamment Brian Eno, Fontaines D.C. et Pulp. Ils ont signé une lettre ouverte (article en anglais) critiquant une "tentative claire et concertée de censurer et finalement de déplatformer" Kneecap.
"En tant qu'artistes, nous ressentons le besoin d'exprimer notre opposition à toute répression politique de la liberté artistique. Dans une démocratie, aucune personnalité politique ni aucun parti politique ne devrait avoir le droit de dicter qui joue ou ne joue pas lors de festivals de musique ou de concerts qui seront appréciés par des milliers de personnes", ont-ils également écrit.