Caricature d'Hanouna : anatomie d'une polémique antisémite

"Ça suffit maintenant !"
Jean-Luc Mélenchon, fondateur de la France Insoumise (LFI), s'est récemment emporté lors de son passage dans l'émission Dimanche en politique sur France 3, répondant avec indignation à la question suivante : "L'affiche d'Hanouna, c'était une erreur ou pas ?".
"Pourquoi me posez-vous cette question ?", s'est écrié l'ancien candidat à l'élection présidentielle, avec tout le tact qu'on lui connaît. "De quel droit ? Qui êtes-vous ? Vous m'accusez ? Est-ce que vous m'accusez ? Alors taisez-vous !"
En haussant encore le ton, il a ajouté : "Vous êtes en train de continuer une campagne qui a démarré à l'extrême droite contre nous".
Et c'est ainsi que le journaliste Francis Letellier a mis fin à l'entretien.
L'extrait de l'interview est devenu viral et La France Insoumise a été contrainte de retirer l'affiche représentant le présentateur de radio et de télévision Cyril Hanouna au motif qu'elle rappelait l'imagerie antisémite nazie.
Voici la caricature en question :
L'affiche, qui montre Cyril Hanouna les sourcils froncés, le nez proéminent et une grimace agressive, avait pour but d'obtenir le soutien de ceux qui souhaitaient participer à un rassemblement antiraciste le 22 mars.
L'opération s'est retournée contre LFI, de nombreuses personnes ayant rapidement reconnu l'iconographie haineuse des caricatures antisémites des années 1930 et de l'Allemagne nazie.
L'image a suscité une controverse politique majeure, d'autant plus que ces derniers temps, LFI - tout comme le parti travailliste britannique - a été confrontée à des accusations d'antisémitisme.
Pour l'historien Robert Hirsch, auteur du livre "La Gauche et les Juifs" (publié par Le Bord de l'Eau, 2022), "il s'agit probablement de la provocation antisémite la plus claire de La France Insoumise".
Dimanche dernier encore, Libération rapportait que l'un des anciens lieutenants de Mélenchon s'étonnait que son ancien mentor ait qualifié l'extermination des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale de "massacre de masse" plutôt que de "génocide" - un mot que Mélenchon utilise fréquemment lorsqu'il parle de la Palestine.
Au lieu d'aborder la situation de front, Mélenchon a eu recours à une tactique de déni systémique. Dans ce cas, il a feint d'ignorer l'origine juive de Hanouna et a dénoncé la "propagande des réseaux d'extrême droite" au lieu de prendre ses responsabilités.
Cependant, ce scandale de l'affiche a provoqué des dissensions dans les rangs de la gauche radicale.
Certains membres du parti LFI expriment leur embarras face aux nombreux appels à l'action qui ont suivi la publication du visuel.
"L'indifférence face à l'antisémitisme n'est pas une option", écrit Clémentine Autain, députée et ancienne membre de LFI. "Quand on est de gauche et que l’on veut combattre l'extrême droite, on est irréprochable dans la lutte contre l'antisémitisme".
Selon la publication L'Opinion, un membre du parti qui a souhaité rester anonyme a déclaré : "Soit le type qui a conçu les visuels au siège de LFI est un connard inculte, soit c'est une ordure antisémite".
Ces deux options ne sont pas très séduisantes.
Pour ne rien arranger, la Ligue des droits de l'Homme a publié lundi une rare déclaration condamnant la publication du visuel et critiquant La France Insoumise.
"Toute organisation ou parti politique peut commettre des erreurs de communication", a déclaré l'organisation dans un communiqué. "Lorsque LFI ne semble pas reconnaître le fait et la nature de ces erreurs, nous nous interrogeons sur sa compréhension et sa volonté de remédier à la situation".
Le dernier développement en date a consisté à rejeter la responsabilité sur l'IA.
En effet, l'image aurait été générée par l'intelligence artificielle via le logiciel Grok développé par la société xAI appartenant au milliardaire américain Elon Musk.
Mais si vous concevez des affiches pour une marche contre la montée de l'extrême droite, feriez-vous confiance aux outils d'un homme dont l'action du bras droit a été comparée à celle du parti nazi et dont les voitures Tesla font l'objet d'une campagne qui les associe au nazisme ?
Et même si cela ne pose aucun problème, ne serait-il pas judicieux de... vous savez... faire une double vérification ou de soumettre l'image à quelques parties intéressées avant de l'envoyer à l'imprimeur ?
Il reste à voir comment LFI réagira si Hanouna intente une action en justice contre le parti. Ce qui est sûr, c'est que l'affiche incriminée a alimenté les adversaires politiques de LFI, profité au parti d'extrême droite Rassemblement national - qui se présente désormais comme le défenseur de la communauté juive de France - et surtout, a complètement dévoyé l'objectif initial de la campagne : marcher contre le racisme et la montée de l'extrême droite.
Comme quoi la condamnation directe et l'aveu de la maladresse est la meilleure des politiques. Ou comme Clémentine Autain l'a ajouté dans sa déclaration sur les médias sociaux : "Si on faillit, par ignorance ou par méprise, on le reconnaît, et ensuite on fait mieux".
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