Evacuer les enfants de Gaza : l'UE divisée entre obligation morale et question de sécurité

À Gaza, plus de 15 600 habitants- dont de nombreux enfants souffrant de maladies mortelles ou de blessures liées au conflit - ont besoin d’une évacuation médicale urgente, selon les chiffres fournis par l'Organisation mondiale de la santé.
Depuis l'attaque du 7 octobre menée par le Hamas, moins de 350 personnes, dont une majorité d'enfants, ont pu quitter la bande de Gaza pour se faire soigner dans l'Union européenne.
Malgré la détérioration constante de la situation humanitaire dans l’enclave, peu de pays ont accueilli de patients. Les chiffres de l’OMS font état de 919 évacuations vers 16 États membres de l’organisation, dont 11 de l’UE.
L’ONG Médecins sans frontières (MSF), qui participe aux évacuations, dénonce des blocages liés à la politique migratoire européenne.
"Nous avons du mal à trouver des pays de destination, car certains pays craignent les ramifications politiques et veulent s'assurer que le droit au retour est préservé", témoigne le Docteur Hani Isleem, qui coordonne les évacuations médicales de Gaza pour Médecins sans frontières. "C'est devenu notre principal défi", ajoute-t-il.
Entre considérations humanitaires et craintes politiques
Selon l'OMS, un total de 919 patients et accompagnants ont été évacués médicalement vers 16 États membres de l'OMS et 11 pays de l'UE depuis octobre 2023, notamment l'Albanie, la Belgique, la France, l'Allemagne, la Grèce, l'Irlande, l'Italie, le Luxembourg, Malte, la Norvège, la Roumanie, l'Espagne, le Royaume-Uni, la Suisse, la Turquie et l'Ouzbékistan.
Les évacuations sont effectuées par un comité du ministère de la santé de Gaza, dirigé par le Hamas, qui "identifie les cas les plus urgents qui ne peuvent être traités à l'intérieur de Gaza", précise Hani Isleem.
La décision finale est entre les mains de l'OMS et "ce n'est qu'à ce moment-là que les États membres de l'UE (...) peuvent faire une offre d'évacuation médicale", explique un porte-parole de l'OMS.
Les évacuations sont devenues d'autant plus urgentes que "le système de santé à Gaza s'est complètement effondré" en raison des frappes israéliennes, que les hôpitaux restants à Gaza "n'assurent que les besoins de base et les soins vitaux" et que la "liste d'attente" des patients gravement malades s'est allongée "régulièrement", poursuit le docteur.
Dans l'Union européenne, c'est l'Italie qui a accueilli le plus grand nombre de patients, avec 187 d'entre eux.
Le 13 août, l'Italie a mené "la plus grande opération d'évacuation" à ce jour, selon le ministère de la Défense du pays.
Trente et un enfants et leurs accompagnateurs, soit environ 120 personnes au total, ont été transportés en Italie à bord d'avions-cargos et admis dans des hôpitaux, notamment dans les régions de Rome et de Milan, pour y être soignés.
"Presque tous les enfants souffrent d'amputations ou de blessures graves, de lésions cérébrales, d'hémorragies cérébrales, de leucémies, de maladies congénitales ou de malnutrition sévère", a déclaré le ministère italien des Affaires étrangères dans un communiqué publié sur son site web. "Autant de pathologies qui, dans la bande de Gaza, n'auraient jamais pu être soignées."
Bien que la politique migratoire italienne soit l'une des plus sévères d'Europe, le ministère a déclaré qu'il délivrerait des permis de séjour à ces patients, "afin que les enfants et les membres de la famille puissent avoir accès au système scolaire et sanitaire italien, pour garantir une intégration harmonieuse et un séjour digne aussi longtemps que nécessaire", a ajouté le communiqué.
L'Espagne et la Roumanie arrivent en deuxième position, avec respectivement 45 et 42 patients.
L'OMS et de nombreuses ONG travaillant sur le terrain estiment que le nombre d'évacuations est trop faible. "Davantage de pays doivent intervenir et fournir une assistance médicale aux patients de Gaza souffrant de maladies graves et ayant des besoins sanitaires urgents", a déclaré le porte-parole de l'OMS.
La Belgique n'a accueilli que 14 patients de Gaza, mais le pays a l'intention d'en accueillir davantage dans les mois à venir, selon Maxime Prévot, vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères de Belgique.
"Je pense qu'aujourd'hui, en vertu d'une obligation morale mais aussi d'un engagement juridique, il est nécessaire de prendre des mesures afin d'apporter un soutien solide à ces familles", a-t-il déclaré.
L'ONU exhorte à placer "la santé au-dessus de la politique"
Malgré les critiques croissantes, la première ministre sociale-démocrate du Danemark, Mette Frederiksen, qui a défendu certaines des politiques d'immigration les plus strictes d'Europe, a maintenu son refus d'accueillir des patients originaires de Gaza.
"Ce que je dis maintenant peut sembler un peu dur", a déclaré Mme Frederiksen à la chaîne danoise TV2 News le mois dernier. "Si l'on considère le groupe de Palestiniens qui sont venus au Danemark par le passé, il est évident que certains d'entre eux se sont intégrés et sont devenus des Danois. Mais il y en a beaucoup trop dans ce groupe qui ont eu des conséquences très, très graves pour notre société, et nous n'allons pas changer notre politique d'immigration"
L'Allemagne n'a traité qu'un seul patient jusqu'à présent, et Martin Matz, membre de la Chambre des représentants de Berlin appartenant au parti de centre-gauche SPD, a récemment soulevé des questions de sécurité concernant les personnes accompagnant le patient.*
"Bien sûr, les considérations de sécurité jouent également un rôle dans ces décisions", a déclaré Martin Matz, qui est également le porte-parole du SPD pour les Affaires intérieures.* "Malheureusement, nous devons constamment constater que le conflit au Moyen-Orient devient également un problème de sécurité pour les juifs de Berlin - alors que l'inverse n'a pas été le cas."
La France a traité 27 patients jusqu'à présent, selon l'OMS. Mais le pays a suspendu sa politique d'accueil des patients de Gaza jusqu'à ce que les autorités finalisent l'enquête sur un étudiant palestinien, arrivé en France en juillet et accusé d'avoir tenu des propos antisémites en ligne.
"Aucune évacuation d'aucune sorte n'aura lieu tant que nous n'aurons pas tiré les conclusions de cette enquête", a déclaré Jean-Noël Barrot à la radio France Info le mois dernier.
L'Autriche n'a accueilli aucun patient, mais les autorités affirment qu'il est pratiquement impossible de quitter Gaza, même pour des personnes gravement malades, en raison de la lourdeur bureaucratique des évacuations. Chaque patient - et, dans le cas d'un enfant, le parent qui l'accompagne - doit obtenir une habilitation de sécurité auprès des autorités de sécurité israéliennes.
Avant la guerre, environ 20 000 patients par an - dont un tiers d'enfants - demandaient à Israël l'autorisation de quitter la bande de Gaza pour recevoir des soins, beaucoup d'entre eux devant franchir la frontière à plusieurs reprises.
Selon l'OMS, Israël a approuvé environ 63 % de ces demandes de sortie médicale en 2022. Les installations de soins de santé de la bande de Gaza ont été mises à rude épreuve par le blocus imposé par Israël depuis 16 ans et par les combats répétés qui s'y déroulent.
"Nous exhortons les États membres à placer la santé au-dessus de la politique", a déclaré le porte-parole de l'OMS. "Il ne s'agit pas de charité, mais d'une responsabilité partagée. Chaque enfant mérite d'être soigné, de vivre dans la dignité et d'avoir un avenir sain."
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