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L'IA relève-t-elle de la physique ou de la chimie ? Les prix Nobel suscitent un débat sur le rôle de la technologie dans la science

Business • Oct 12, 2024, 9:46 AM
8 min de lecture
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Le rôle et le poids de l'intelligence artificielle (IA) dans les travaux scientifiques vient de franchir un nouveau cap cette semaine avec l'annonce des lauréats des prix Nobel de physique et de chimie dont les travaux s'appuient sur l'IA.

Ces récompenses soulignent l'impact de la technologie sur tous les aspects de notre vie, mais elles ont suscité des débats et même l'indignation des chercheurs sur les médias sociaux quant au lien entre l'IA et ces disciplines scientifiques.

"Je suis sans voix. J'aime l'apprentissage automatique et les réseaux neuronaux artificiels comme tout le monde, mais j'ai du mal à voir qu'il s'agisse d'une découverte en physique", a écrit (lien en anglais) Jonathan Pritchard, astrophysicien à l'Imperial College de Londres sur le réseau X.

"Je suppose que le prix Nobel a été touché par l'engouement pour l'IA", a-t-il ironisé.

Le prix Nobel est généralement décerné à des travaux de recherche datant de plusieurs dizaines d'années, dont l'impact peut être évalué comme ayant "le plus grand bénéfice pour l'humanité".

Les lauréats

L'un des "parrains de l'IA", Geoffrey Hinton, et le professeur et physicien John Hopfield ont reçu le Prix de physique ce mardi pour leurs travaux entamés dans les années 1980, qui se sont appuyés sur des concepts de physique pour inventer des réseaux neuronaux artificiels qui ont déclenché et influencé le développement de l'IA.

Un jour plus tard, l'IA a de nouveau fait la une des journaux après que Demis Hassabis, PDG de Google DeepMind, John Jumper, directeur de DeepMind, et David Baker, professeur à l'université de Washington, ont remporté conjointement le Nobel de Chimie pour leur travaux sur les protéines.

David Baker a été récompensé pour son travail sur un outil de prédiction des protéines basé sur l'IA, appelé RoseTTAFold, et pour son travail de développement de nouvelles protéines. Hassabis et Jumper, quant à eux, ont mis au point un système d'IA qui a permis de résoudre un problème vieux de 50 ans, à savoir la prédiction de la structure d'une protéine.

"Il est beaucoup trop tôt pour parler de l'implication de l'IA dans tous les prix", a indiqué M. Hassabis lors d'une conférence de presse.

"L'ingéniosité humaine intervient en premier lieu, poser la question, élaborer l'hypothèse, les systèmes d'IA ne peuvent rien faire de tout cela. Pour l'instant, ils se contentent d'analyser des données", relativise le chercheur, ajoutant qu'il était "intéressant que le comité [Nobel] ait décidé de faire une déclaration" en créant deux prix liés à l'IA.

L'IA est-elle liée à la physique et à la chimie ?

"Ma première réaction a été de penser que nous ne prenions pas suffisamment au sérieux ce qu'est l'IA", a déclaré David Vivancos, PDG de l'organisation MindBigData.com, spécialisée dans le Deep learning.

"Je suis un grand admirateur de [Hinton et Hopfield] et ils ont fait une merveilleuse découverte. Mais le fait est qu'elle ne relève pas du domaine de la physique, sauf si nous pensons que la physique est tout", regrette le spécialiste.

Selon l'Oxford English Dictionary, la physique est décrite comme "la branche de la science qui s'intéresse à la nature et aux propriétés de la matière et de l'énergie non vivantes", c'est-à-dire quelque chose qui existe physiquement.

Il est peut-être temps de moderniser les prix Nobel afin de reconnaître que les découvertes qui comptent vraiment se situent au-delà de la division traditionnelle en disciplines.
Virginia Dignum
Professeure, Université d'Umeå (Suède)

David Vivancos explique que la physique "est liée à quelque chose de physique, c'est quelque chose de réel", alors que le comportement de l'IA "est plus lié à quelque chose qui se passe dans l'esprit de l'ordinateur qu'à un être physique".

Mais l'IA peut-elle être liée à la chimie ? Dans le cas des prix Nobel, d'aucuns pensent que c'est le cas, car il s'agit de chimie computationnelle, qui utilise la simulation informatique pour aider à résoudre des problèmes chimiques complexes.

"L'utilisation de l'IA pour prédire la structure des protéines est une avancée considérable, avec une myriade d'utilisations en biologie, en médecine et au-delà", a déclaré Andy Cooper, professeur de chimie et directeur de la Materials Innovation Factory et du Leverhulme Centre for Functional Materials Design à l'université de Liverpool.

"L'IA aura également un impact sur d'autres domaines de la chimie, mais le domaine des protéines présente des caractéristiques particulières."

"Tout d'abord, il existe une grande quantité de données d'entraînement bien classées. Deuxièmement, les protéines sont structurellement complexes mais leur composition est assez simple - elles sont construites à partir d'une sélection assez restreinte d'éléments constitutifs", précise le professeur Cooper.

Il existe différents types d'IA, comme l'IA générative, mais d'une manière générale, l'IA est définie comme une technologie qui permet aux ordinateurs et aux machines de simuler l'apprentissage, la compréhension et la résolution de problèmes par l'être humain.

Le "triomphe de l'interdisciplinarité" de l'IA

Mais si l'IA doit être classée dans une science traditionnelle, elle est peut-être plus proche des mathématiques, insiste David Vivancos.

Il affirme qu'elle pourrait néanmoins que l'IA pourrait relever de la biologie ou des neurosciences en raison des algorithmes qui peuvent aider les chercheurs à passer au crible de vastes bibliothèques de données génétiques.

A ce stade, l'IA peut désormais entrer dans la plupart des catégories et aura sans doute un impact sur notre vie à tous, à un niveau ou à un autre. Par exemple, cette technologie a déjà été utilisée pour gérer le trafic routier en temps réel, les applications de navigation telles que Google Maps, et dans des objets de la vie quotidienne tels que les aspirateurs robotisés.

Les prix Nobel de chimie et de physique décernés à l'utilisation de l'IA montrent le "triomphe de l'interdisciplinarité", rappelle Virginia Dignum, professeur au département d'informatique de l'université d'Umeå, en Suède, qui dirige également le groupe de recherche sur l'intelligence artificielle sociale et éthique de l'université.

"Les véritables percées scientifiques ne sont plus l'apanage d'une seule discipline, mais requièrent une large perspective et la combinaison de différents points de vue", précise la chercheuse à euronews.

"L'IA est ici un accélérateur et un support pour l'exploration de grands espaces de recherche, un outil qui peut analyser de vastes ensembles de données, prédire des résultats et même suggérer de nouvelles hypothèses, améliorant les capacités des chercheurs dans des domaines tels que la biologie, la physique, la chimie et la médecine", ajoute cette spécialiste.

Toutefois, Virginia Dignum a déclaré que ces prix ne concernaient pas la place de l'IA dans les prix Nobel, mais plutôt l'ouverture d'esprit et "l'attitude respectueuse des scientifiques", ainsi que la quantité d'enseignements que l'on peut en tirer.

"Il est peut-être temps de moderniser les prix Nobel afin de reconnaître que les découvertes qui comptent vraiment se situent au-delà de la division traditionnelle en disciplines", conclut Mme Dignum.