La mort de Jean Pormanove fait la lumière sur les horreurs du "trash-streaming"

Avertissement : cet article contient des mentions de violence, de suicide et d'actes extrêmes que certains lecteurs pourraient trouver dérangeantes.
C'est une tragédie qui a mis en lumière un aspect moins connu de la culture Internet.
Le streamer français Raphaël Graven, connu en ligne sous le nom de Jean Pormanove, est décédé lundi dans le sud de la France lors d'une diffusion en direct sur la plateforme australienne Kick, devant des milliers de spectateurs.
Âgé de 46 ans, Raphaël Graven comptait environ un demi-million d'abonnés sur ses différentes chaînes.
Au fil des ans, il s'était fait connaître pour des vidéos où il subissait des traitements dégradants à l'écran, tels que la strangulation et l'ingestion de produits chimiques toxiques, parfois à la demande et avec le soutien financier de téléspectateurs en direct.
Tout au long d'un marathon de 12 jours de direct qui a précédé sa mort, Raphaël Graven est apparu aux côtés de trois autres personnes, ses partenaires de streaming habituels.
Des images diffusées sur les réseaux sociaux montrent deux de ces hommes, connus sous le nom de Naruto et Safine, en train de le maltraiter physiquement et de l'insulter. La ministre française du Numérique et de l'Intelligence artificielle, Clara Chappaz, a qualifié l'incident d'"horreur absolue".
La police française a ouvert une enquête sur la mort de Graven. L'autopsie a conclu que son décès n'était pas dû à un traumatisme, selon le procureur chargé de l'affaire.
Les médecins légistes ont estimé que le décès de M. Graven « n'était pas d'origine traumatique » et « n'était pas lié à l'intervention d'un tiers », ne constatant aucune « blessure traumatique interne ou externe » ni brûlure, mais seulement quelques contusions et lésions cicatrisées.
« Les causes probables du décès semblent être médicales et/ou toxicologiques », a déclaré le procureur Damien Martinelli.
Le rappeur Drake et le streamer américain Adin Ross, tous deux liés financièrement à la société mère de Kick, ont proposé de payer les funérailles du vidéaste français.
Cet épisode d'une violence atroce met en lumière un sous-genre de contenu en ligne en direct, animé par des streamers qui adoptent un comportement agressif et parfois dangereux.
Dans les tréfonds du "trash-streaming"
Le cas de Graven fait penser au "trash-streaming", un phénomène qui a vu le jour dans les années 2010 et qui est devenu populaire en Russie et en Pologne.
Les membres de cette communauté commettent des actes dégradants, violents, avec parfois une issue fatale, à l'encontre d'eux-mêmes ou d'autres personnes.
En 2021, un streamer russe a été condamné à six ans de prison pour la mort de sa petite amie enceinte de 28 ans lors d'une diffusion direct en décembre 2020. L'homme a battu sa compagne, lui causant des lésions cérébrales, et l'a enfermée à l'extérieur de leur maison alors qu'elle ne portait que des sous-vêtements, a rapporté The Moscow Times.
Les secours ont constaté le décès de la jeune femme alors que les caméras tournaient encore. La Russie a ensuite adopté une loi fédérale interdisant ce genre de diffusions.
Le public est un acteur clé du "trash-streaming".
"Les spectateurs sont souvent curieux de savoir à quels extrêmes les adeptes du trash-streaming sont capables d'aller", expliquent les chercheuses Barbara Cyrek et Malwina Popiołek dans un article paru en 2022. "Plus il y a d'outils permettant d'influencer l'action qui se déroule à l'écran, plus les chances d'avoir des contenus extrêmes sont grandes", ajoutent-elles.
Sur des plateformes comme Kick ou même YouTube, les spectateurs peuvent donner de l'argent pour inciter les créateurs de contenu à aller plus loin.
Le premier épisode de la septième saison de la série Black Mirror, diffusé en avril, s'inspire de ce phénomène. Le personnage principal, joué par Chris O'Dowd, rejoint un site fictif de "trash-streaming" appelé "Dum Dummies", où il exécute des tâches humiliantes en échange d'argent pour soutenir sa femme malade.
L'épisode se termine alors qu'il est sur le point de se suicider.
Dans le cas de Raphaël Graven, le compteur de dons à la fin de son live fatal de 298 heures indiquait que lui et ses partenaires avaient récolté plus de 36 000 euros.
Absence de réglementation
Les créateurs de contenu qui s'adonnent à des pratiques liées au "trash-streaming" ont trouvé refuge sur des plateformes peu réglementées comme Kick.
Ce service australien de diffusion en direct a été créé en 2022 par les fondateurs de la société de jeux d'argent Stake.
Les règles communautaires de Kick interdisent officiellement "tout contenu qui dépeint ou incite à la violence odieuse, y compris les blessures graves, la souffrance ou la mort", ainsi que "toute manifestation grave et significative d'automutilation". Cependant, la plateforme a développé sa marque et augmenté sa base d'utilisateurs grâce à des politiques de modération plus souples que celles de ses rivaux comme Twitch.
En décembre, Mediapart avait déjà révélé que Raphaël Graven avait été victime d'un "business de la maltraitance" pendant des années.
Les partenaires de Raphaël Graven, Naruto et Safine, ont été brièvement placés en garde à vue.
Kick a suspendu temporairement sa chaîne. Les révélations de Mediapart n'ont pas eu de suite politique ou législative à l'époque.
La plateforme a banni tous les streamers impliqués dans la vidéo de la mort de Graven et revoit ses contenus français, a-t-elle indiqué mercredi. Cependant, Kick n'a pas précisé se la société mettrait à jour ses règles communautaires, qui stipulent actuellement que "la diffusion en direct, de par sa nature, est imprévisible" et qu'"il est impossible de prévoir toutes les conséquences".
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