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Berlinale 2025 : la réalisatrice Léonor Serraille présente "Ari", une ode tendre et poignante

Culture • Feb 16, 2025, 9:18 AM
4 min de lecture
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Les Français ont une expression appropriée pour exprimer un trait de caractère lorsque leurs émotions transpirent à tout bout de champ. On dit alors qu'ils sont à fleur de peau.

"Ari", le troisième long métrage de la réalisatrice française Léonor Serraille, nous plonge précisément dans cet état d'âme.

Ari est un professeur stagiaire (Andranic Manet) qui s'effondre en pleine visite d'un inspecteur d'académie. Pour être honnête, ce jeune homme filiforme de 27 ans était manifestement dépassé par ses élèves turbulents. Ari s'imaginait sans doute qu'il pourrait maintenir l'attention de jeunes enfants (de 6 ans) en leur faisant découvrir la poésie de Rober Desnos. Son surréalisme, sa dépendance à l'opium...

Et comme si sa prestation ratée n'avait pas suffit, Ari se fait baptiser par la fiente d'un pigeon juste après avoir écrit sa lettre de démission.

"C'est une mauvaise période. Je ne suis clairement pas à la hauteur", se dit-il. "Mais qui l'est ?".

Ari se tourne alors vers son père veuf (Pascal Rénéric), qui est exaspéré par le manque d'engagement de son fils et par le fait que ce dernier "ruine et gaspille" tout, de son travail à une ancienne relation avec une certaine Irène (Clémence Coullon). Air est finalement mis à la porte, l'obligeant à renouer avec des amis d'enfance à qui il n'a pas parlé depuis longtemps. Ce faisant, il découvre que la vie "enviable" des autres n'est, dans certains cas, guère meilleure que la sienne.

Rien qu'avec cette courte description, Ari pourrait n'être qu'un insupportable Llewyn Davis* gaulois (la guitare en moins). Après tout, nous avons tous vu de nombreux films mettant en scène de jeunes hommes désabusés qui dérivent et se rendent compte que les normes sociétales sont faites pour les vendus, alors qu'ils ont toujours été des somnambules dans la vie.

C'est donc tout à l'honneur de Léonor Serraille que son film évite tout ce qui aurait pu être une potentielle crise de la quarantaine pour livrer une étude de caractère intime qui se targue d'un niveau de tendresse et de candeur que peu de films dépeignent.

Andranic Manet offre ici une performance véritablement envoûtante. C'est une âme douce, qui a manifestement souffert de la perte de sa mère, comme on le voit dans la scène d'ouverture - un moment de tendresse filmé en gros plans par le directeur de la photographie Sébastien Buchmann. Mais plutôt que d'aller droit dans le sens freudien, la réalisatrice révèle, à travers chaque interaction sociale et chaque flashback occasionnel, qu'Ari est un jeune homme frustrant mais plein de bonté, qui conserve un émerveillement enfantin face à la vie - comme en témoignent les questions qu'il pose innocemment mais constamment, ainsi que le fait qu'il considère les enfants comme "les seules personnes qui sont plus ou moins normales".

Peut-être se sent-il en affinité avec eux parce qu'il n'a pas encore assumé lui-même les responsabilités inhérentes à l'âge adulte ? Ou peut-être se définit-il par un sentiment de perte, non seulement d'un parent, mais aussi d'un choix déterminant pour sa vie, qui semble le hanter. C'est ce qui ressort d'une soirée avec Jonas (Théo Delezenne), un copain d'enfance, un bourgeois nuisible qui aime pontifier sur les gauchistes et le "misérabilisme stupide" sans parler de la cuillère d'argent qu'il a dans sa bouche.

Soutenu à chaque étape par un scénario qui offre des conversations authentiques - à tel point qu'elles semblent improvisées - ce joyau au cœur ouvert est une ode poignante non seulement à une âme en déroute, mais aussi aux difficultés que chacun - quel que soit son âge - peut éprouver à garder son cœur sur la main lorsqu'il vit en 2025. Il est vrai que l'on peut varier en fonction de son affinité pour les films français à la limite du rohmérien. Cependant, la sincérité que la cinéaste transmet, sans tomber dans la mièvrerie, est impressionnante : il faudrait une âme très endurcie pour ne pas être ému par un film qui prône la croissance et la connexion dans un monde qui semble souvent dépourvu de ces deux choses très précieuses.

"Ari" est présenté en première à la 75e Berlinale en compétition.

* Inside Llewyn Davis, ou Être Llewyn Davis, un film des frères Coen sorti en 2013.