Gagnants et perdants : historique des conflits commerciaux entre les États-Unis et l'Union européenne

Lorsque les États-Unis ont imposé des droits de douane de 25 % sur l'aluminium et l'acier de l'UE à la mi-mars, ils ont tiré la première salve d'un bras de fer commercial entre des alliés de longue date, qui s'est ensuite traduit par des taxes de 25 % sur les importations de voitures européennes aux États-Unis et par des droits de douane de 10 % sur d'autres importations.
Les responsables de l'UE, pris entre indignation diplomatique et volonté de préserver les industries de l'UE, ont annoncé une série de contre-mesures, qui ont été suspendues après que le président américain Donald Trump a annoncé une pause de 90 jours sur une série de tarifs "réciproques".
Mais ce n'est pas la première fois que l'UE et les États-Unis s'affrontent sur le plan commercial.
Du poulet à la construction aéronautique, une série d'accrochages économiques ont ponctué l'histoire de l'alliance transatlantique.
Cette fois-ci, les signes d'une escalade possible vont cependant bien au-delà des précédentes querelles commerciales. En effet, les services, et en particulier les technologies, entrent cette fois dans le champ de bataille, en raison de l'excédent commercial des États-Unis par rapport à l'Union européenne dans le secteur des services.
La guerre du poulet
En 1962, confrontée à un afflux d'importations de poulets américains bon marché, la Communauté économique européenne (CEE) - qui comprenait alors la France, l'Allemagne de l'Ouest, l'Italie, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg - a pris des mesures décisives en imposant des droits de douane sur la volaille américaine.
Cette mesure a eu un impact immédiat : les exportations américaines de poulets vers l'Europe, en particulier vers l'Allemagne de l'Ouest - un marché cible important - ont chuté.
Les États-Unis estiment alors leurs pertes à 46 millions de dollars par an, tandis que la CEE estime qu'elles sont plutôt de l'ordre de 19 millions de dollars. Le GATT - l'ancêtre de l'OMC - finit par trouver un compromis : 26 millions de dollars de pertes.
Les négociations étant dans l'impasse, Washington opte alors pour les représailles. Les États-Unis imposent des droits de douane d'une valeur d'environ 26 millions de dollars sur une série de produits européens, dont des camions, du brandy et de la dextrine.
En fin de compte, aucune des deux parties n'est sortie clairement victorieuse de l'affaire. L'Europe a payé un prix moins élevé qu'initialement prévu, tandis que les États-Unis ont obtenu un effet de levier grâce à leurs tarifs ciblés.
La guerre de la banane
La "guerre de la banane" a été l'un des plus longs conflits commerciaux entre Bruxelles et Washington, qui a duré plus de 15 ans.
En 1993, l'UE adopte un régime commercial préférentiel favorisant les exportations de bananes des pays ACP - un groupe composé d'anciennes colonies européennes en Afrique, dans les Caraïbes et dans le Pacifique - dans le cadre d'une stratégie visant à soutenir les économies fragiles.
Mais les États-Unis contestent cette décision, arguant qu'elle désavantage injustement certaines de leurs multinationales qui jouent un rôle majeur dans le commerce mondial de la banane.
Les États-Unis portent l'affaire devant l'OMC qui, en 1997, condamne l'UE. En 1998, celle-ci modifie alors son système d'importation, mais de manière insuffisante, selon les Washington, qui riposte en imposant des droits de douane sur des exportations européennes telles que les sacs à main français et le fromage italien Pecorino, prélevant ainsi jusqu'à 191 millions de dollars.
Ce n'est qu'en 2009 que l'UE accepte d'abaisser ses droits de douane sur les bananes de 176 à 114 € par tonne.
La guerre du bœuf aux hormones
Ce qui a commencé en 1989 comme une mesure de santé publique s'est rapidement transformé en un autre conflit commercial transatlantique majeur.
Cette année-là, la CEE interdit l'importation de bœuf traité aux hormones de croissance artificielles, invoquant des raisons de sécurité pour les consommateurs. Cette décision a pour effet d'interdire les exportations de bœuf en provenance d'Australie, du Canada et des États-Unis.
Washington et Ottawa contestent cette mesure devant l'OMC. Dix ans plus tard, en 1999, l'OMC se range du côté des plaignants, accordant aux États-Unis le droit d'imposer des droits de douane de rétorsion sur les marchandises de la CEE - devenue entre-temps l'Union européenne (UE) - d'une valeur de 116,8 millions de dollars par an.
Les sanctions touchent des exportations européennes emblématiques, telles que le roquefort français, les jambons italiens et espagnols et les chocolats belges.
Après plus de vingt ans de querelles, le différend est finalement résolu en 2011 : l'UE accepte d'augmenter progressivement ses quotas de bœuf américain de haute qualité et non traité aux hormones ; en échange, Washington lève ses droits de douane punitifs.
Une histoire sans fin : Boeing/Airbus
Pendant 17 ans, l'UE et les États-Unis se sont livrés à une bataille acharnée au sujet des subventions publiques accordées à leurs géants respectifs de l'aérospatiale, Airbus et Boeing.
La saga a commencé par un accord de 1992 visant à réglementer les aides publiques accordées aux deux géants de l'aéronautique. Mais en 2004, Washington accuse l'UE de subventionner injustement Airbus. Les États-Unis se retirent alors de l'accord et déposent une plainte officielle auprès de l'OMC.
S'en suit une longue confrontation juridique et diplomatique, qui atteint son apogée sous la première administration Trump. En 2019, l'OMC autorise les États-Unis à imposer des droits de douane sur près de 7,5 milliards de dollars de biens et services de l'UE par an.
Un an plus tard, en 2020, le balancier bascule cependant en faveur de l'UE, quand l'OMC accorde à Bruxelles le droit d'imposer des droits de douane sur les importations américaines en réponse aux subventions reçues par Boeing.
En 2021, une avancée est annoncée : les deux parties acceptent de suspendre les droits de douane, marquant ainsi une trêve temporaire jusqu'en 2026.
La première guerre de l'aluminium et de l'acier
Le différend commence en 2018, lorsque l'administration Trump impose des droits de douane importants sur les importations d'acier et d'aluminium, en invoquant des préoccupations de sécurité nationale, comme elle le fait aujourd'hui.
L'UE réagit rapidement en déposant une plainte auprès de l'OMC et en imposant des contre-mesures sur 2,8 milliards d'euros de marchandises américaines, dont des produits emblématiques comme le bourbon, les motos et le jus d'orange.
L'impasse dure jusqu'en 2021, date à laquelle les deux parties - sous l'administration Biden - acceptent de suspendre les droits de douane dans une démarche saluée comme un pas vers le rétablissement de la confiance transatlantique.
Toutefois, cette paix fragile s'est aujourd'hui effondrée : les droits de douane américains de 25 % sont de nouveau en vigueur à partir de mars 2025.
Jeu, set et match ?
Ce qui distingue l'actuelle impasse commerciale des précédentes - outre l'intensité du différend - c'est l'apparente rupture avec le rôle d'arbitre joué auparavant par l'Organisation mondiale du commerce (OMC).
Traditionnellement, comme le montrent les exemples ci-dessus, les différends sont menés par l'intermédiaire de l'OMC, l'institution multilatérale conçue pour gérer et arbitrer les tensions commerciales mondiales.
Mais les États-Unis ont récemment entravé les nominations au groupe d'experts chargé de trancher les différends au sein de l'OMC et ont déclaré des droits de douane "réciproques" à l'encontre de plus de la moitié des membres de l'organisation.
Un coup d'œil sur les guerres commerciales passées entre l'UE et les États-Unis nous rappelle que l'OMC - ou son prédécesseur, le GATT - ont joué un rôle crucial pour résoudre les différends dans le passé.
Il nous montre également que personne ne sort véritablement vainqueur d'une guerre commerciale.