État de droit non respecté : des eurodéputés craignent que Viktor Orbán ne reçoive des millions

La Hongrie pourrait-elle débloquer des fonds européens qui avaient été gelés par la Commission ? C'est ce que craignent certains eurodéputés, qui tentent d'empêcher le Premier ministre hongrois Viktor Orbán d'accéder à ce financement.
Le fonds de cohésion, instrument financier de l'Union européenne visant à minimiser les disparités entre les régions en termes de développement, fait l'objet d'un examen intermédiaire, pour la période 2021-2027.
Cette révision vise à réaffecter les fonds précédemment inutilisés aux secteurs de la défense et aux biens à double usage (produits, technologies ou logiciels qui peuvent être employés à la fois à des fins civiles et à des fins militaires ou de sécurité), ainsi qu’à accélérer la dépense de ces fonds jusqu'en 2027.
Les députés affirment que le gouvernement hongrois pourrait débloquer une partie de l’argent précédemment gelé grâce à cette réallocation, sans respecter les exigences de l’UE en matière de liberté académique ou de droits LGBTQIA+.
La Hongrie a déjà demandé la réaffectation de ce fonds
L'eurodéputé vert allemand Daniel Freund a déclaré, à Euronews, que le gouvernement hongrois avait déjà reçu 160 millions d'euros de fonds précédemment gelés et qu'il était prêt à retirer 600 millions d'euros supplémentaires.
"Viktor Orbán joue une fois de plus à des jeux. Il essaie de transférer de l'argent de ce fonds gelé vers des réserves qui sont encore à sa disposition. Tant que la Hongrie n'aura pas rétabli l'État de droit, pas un seul centime ne devrait être débloqué", assure-t-il. "Si nous échouons à stopper cela, Viktor Orbán peut débloquer jusqu'à 1,68 milliard d'euros. La Commission ne doit pas le permettre."
Euronews n'a pas été en mesure de vérifier l'affirmation selon laquelle 160 millions d'euros de fonds gelés auraient été versés à la Hongrie. Et la Commission n'a pas commenté la demande de la Hongrie concernant les 600 millions d'euros supplémentaires.
"Nous invitons les États membres à ajuster et à modifier leurs programmes de cohésion afin de les adapter aux nouvelles priorités de la Commission. C'est une procédure qui en cours : comme d'autres États membres, la Hongrie y participe, mais comme il n'est pas encore terminé, je ne peux confirmer aucun chiffre ou montant. La procédure devrait se terminer dans les prochains mois", a déclaré le porte-parole de la Commission pour le fonds de cohésion, Maciej Berestecki, ajoutant que tout paiement de ce type nécessite l'accord préalable de la Commission.
Le gouvernement hongrois n'a fait aucun commentaire, affirmant que des discussions étaient en cours sur les fonds de cohésion.
La Commission tente de rassurer les députés européens
La Commission européenne a déjà tenté d'assurer aux députés que l'État de droit resterait une priorité, même après la révision. "Si la condition et le règlement sont appliqués, et si les fonds ont été gelés dans le cadre de cet instrument, vous pouvez être assurés que ces fonds ne peuvent pas être touchés, ni être affectés par les éventuelles flexibilités qui existent dans le cadre de la politique de cohésion", a déclaré Balázs Ujvári, porte-parole de la Commission européenne, à Euronews.
Dans une lettre envoyée au président de la commission du développement régional (REGI) du Parlement européen, le vice-président de la Commission, Raffale Fitto, a assuré que la Commission ne donnera son feu vert à aucune demande de paiement soumise à des gels antérieurs.
"La Commission reste déterminée à garantir le respect de l'État de droit dans la mise en œuvre des fonds et évaluera toute demande de modification du programme conformément au règlement sur les dispositions communes (RDC), au règlement sur la conditionnalité de l'État de droit et aux dispositions du règlement d’examen intermédiaire", a-t-il écrit.
Les députés mettent en garde contre le manque de garanties juridiques
Mais selon Tinneke Strik, eurodéputée néerlandaise et rapporteuse du Parlement sur la Hongrie, cette déclaration ne peut être considérée comme un engagement juridiquement contraignant. La Hongrie pourrait donc utiliser les failles du règlement existant pour retirer de l'argent.
Daniel Freund a également évoqué une autre faille éventuelle : une réaffectation du fonds allant jusqu'à 8 % de son montant ne déclencherait pas l'intervention de la Commission.
En juin, la commission REGI du Parlement a proposé d'ouvrir le règlement sur les dispositions communes (CPR) pour y inclure des garanties plus fortes, proposition qui n'a finalement pas abouti pour des raisons juridiques.
Klára Dobrev, eurodéputée hongroise du groupe Socialiste et Démocrate, estime également que l'examen intermédiaire n'offrira pas suffisamment de garanties. "Après avoir étudié en profondeur ce sujet, nous avons conclu que nous ne devrions pas nous satisfaire de l'engagement de la Commission", a-t-elle assuré à Euronews.
"Ursula Von der Leyen et le Parti populaire européen (PPE) ont offert à Viktor Orbán un "cadeau électoral" en 2022 et 2024. La promesse a été vaine, et la possibilité d’un tel arrangement n’est toujours pas exclue aujourd’hui. Le regard du monde, et le nôtre, sera tourné vers eux pour voir s’ils tiennent parole. Mais cette garantie ne peut être considérée comme suffisante", a-t-elle déclaré.
Klára Dobrev a été l'un des huit députés ayant voté contre la proposition d’examen intermédiaire au sein du comité REGI, ce mercredi 3 septembre. Cependant, la majorité (27 pour et 5 abstentions) a approuvé le texte, qui sera donc présenté en séance plénière la semaine prochaine, où il devrait être adopté.
La plupart des fonds hongrois bloqués pour des raisons d'État de droit
Si la Hongrie était en mesure de débloquer certains fonds de cohésion, cela représenterait une victoire majeure pour Viktor Orbán.
Au total, 18 milliards d'euros, sur un total de 28 milliards, sont gelés à la suite de l'activation du mécanisme de l'État de droit, en raison de préoccupations liées à la corruption et, dans le cas du Fonds de cohésion, du non-respect de la Charte des droits fondamentaux de l'UE. La Hongrie doit notamment garantir la liberté académique, la protection des droits LGBTQIA+ et le respect du droit d’asile pour pouvoir accéder aux fonds.
En décembre 2023, la Commission européenne avait débloqué 10,2 milliards d'euros de fonds de cohésion, précédemment gelés, en faveur de la Hongrie, juste avant un sommet clé de l'UE au cours duquel Viktor Orbán a levé son veto sur le programme d'aide de 50 milliards d'euros pour l'Ukraine. De nombreux députés européens ont alors accusé l'UE d'avoir conclu un accord secret avec Budapest et ont menacé la Commission d'une action en justice. Les critiques estiment que, sans garanties solides et juridiquement contraignantes, de tels accords pourraient se reproduire à l'avenir.
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