Le procès du "plus grand pédocriminel de France", Joël Le Scouarnec, s'ouvre lundi à Vannes

Dès ce lundi, la cour criminelle du Morbihan aura à juger Joël Le Scouarnec, soupçonné d'être le plus grand pédocriminel de France, pour des viols aggravés et des violences sexuelles aggravées sur 299 victimes, pour la plupart des enfants. Pour ces crimes commis pendant 30 ans en toute impunité, l’ancien chirurgien de 74 ans encourt une peine maximale de 20 ans de réclusion.

Le Scouarnec a "reconnu son implication" dans la majorité des viols et agressions sexuelles dont il est accusé, affirme le procureur de Lorient, Stéphane Kellenberger, qui mènera l'accusation à Vannes.

Joël Le Scouarnec a déjà été condamné, en octobre 2005 par le tribunal correctionnel de Vannes, à quatre mois de prison avec sursis pour possession d'images pédopornographiques.

Ensuite, il écope de 15 ans de réclusion criminelle en 2020 pour des faits de viols ou d’atteintes sexuelles sur quatre mineures et fait appel, puis se désiste un an plus tard.

Il est, finalement, accusé dans ce second volet pour viols et agressions sexuelles sur plus de 300 victimes potentielles.

« Sans doute le plus gros dossier de pédocriminalité en France »

Le procès qui débute le 24 février, déjà labellisé "hors normes", devrait durer quatre mois et a requis une salle d'audience spécialement créée pour l'occasion. Faute de place, la ville met à disposition les locaux de son ancienne faculté de droit située à 300 mètres seulement du tribunal. L'un des amphithéâtres du bâtiment sera destiné aux parties civiles et à leurs familles. Elles pourront suivre les discussions en direct. 

«Il s’agit sans doute du plus gros dossier de pédocriminalité en France, en tout cas du dossier qui compte le plus de victimes agressées sexuellement ou violées par un seul homme. Et l’ampleur du procès qui en découle est à la hauteur de l’ampleur de cette affaire», résume un acteur judiciaire.

Au total, Joël Le Scouarnec sera jugé pour 111 viols et 189 agressions sexuelles, aggravés par le fait qu'il abusait de sa fonction de médecin.

158 victimes de sexe masculin et 141 de sexe féminin ont été enregistrées. La veille du début du procès, 202 se sont constituées parties civiles. Elles étaient âgées de 11 ans en moyenne au moment des faits.

Pour les 15 patients du docteur (dont, notamment, les quatre victimes du premier volet du 2020) les faits sont totalement frappés de prescription, une sorte de "double peine".

Le procès devrait coûter près de 3 millions d'euros au ministère de la Justice, pour reconfigurer les lieux, acheter, installer le matériel technique et mobiliser des personnels supplémentaires et indemniser les frais de déplacement des victimes. 1,2 million d’euros auraient déjà été dépensés.

Au cours du procès, plusieurs séquences se dérouleront à huis clos. Mais, il suffirait néanmoins qu’une seule partie civile demande un huis clos total pour qu’elle l’obtienne, et que tout le procès Le Scouarnec se déroule sans presse et sans public.

Procès "hors normes" aussi, car les victimes n’étaient pas conscientes des agressions qu’elles ont subies. Elles ont découvert les faits, des dizaines d'années après, lors de leur audition par les gendarmes. Nombre de victimes ont été confrontées à une amnésie traumatique, effaçant partiellement ou entièrement le souvenir du médecin.

Tout au long du procès, les parties civiles pourront compter sur le soutien de l’association France Victimes 56, qui mettra à disposition un juriste et un psychologue pour les accompagner. Un chien d’assistance judiciaire a également été proposé aux personnes qui devront témoigner à la barre.

Pour la sérénité des parties civiles qui feront face à de nombreux journalistes, un système de tours de cou - vert ou rouge - sera mis en place pour savoir si elles souhaitent ou non être interviewées et filmées.

Environ 300 journalistes représentant une centaine de médias sont accrédités pour ce procès, mais beaucoup n’y assisteront pas en intégralité.

Soixante-cinq avocats seront mobilisés pour assister les victimes au cours des audiences, qui n’auront lieu que l’après-midi.

Connu de toute la commune, exempt de tout soupçon ?

Âgé de 66 ans au moment de son interpellation, le 2 mai 2017, Joël Le Scouarnec est un chirurgien digestif bien connu dans la commune de Jonzac (Charente-Maritime), exempt de tout soupçon. 36 ans de carrière : la veille de la perquisition, il venait d'entamer sa retraite.

L'affaire débute avec les déclarations d'une petite fille de six ans domiciliée à Jonzac. Celle-ci déclare à ses parents, en avril 2017, que son voisin s'était exhibé devant elle avant de lui faire subir des agressions sexuelles.

Pendant la perquisition, les gendarmes ont retrouvé plusieurs poupées, environ 70, garçons et filles, du poupon à l’enfant de 12 ans. Sur certaines, Joël Le Scouarnec avait attaché des godemichets. Son domicile était truffé de jouets sexuels, de perruques et d’images pédopornographiques.

Des disques durs contenant plus de 300.000 documents, dont certains d’une rare violence, ont été découverts sous son matelas.

On retrouve également des photomontages réalisés par le chirurgien à partir de clichés d’enfants, ainsi que d’autres éléments qui attestent d’activités sadomasochistes, scatophiles et zoophiles avec ses animaux de compagnie.

Surtout, les enquêteurs tombent sur ce qu’ils ont surnommé les "carnets noirs" du chirurgien. Des cahiers manuscrits sur lesquels Joël Le Scouarnec a écrit pendant une trentaine d’années des récits pédopornographiques.

Joël Le Scouarnec commet ses crimes au gré de ses affectations. Il est chirurgien contractuel et au cours de sa carrière, il exercera dans une quinzaine d’établissements hospitaliers : à Lorient (56), Quimperlé (29), Le Mans (72), Nantes (44), Saint-Brieuc (22) ou encore Flers (61). C’est à la clinique du Sacré-cœur à Vannes, où il travaille régulièrement entre 1994 et 2003, qu’il fera le plus de victimes.

Il commet ses actes pédocriminels sur des filles comme sur des garçons. Certains ne sont âgés que de quelques mois, d’autres peuvent être adultes. Sur les 299 victimes recensées par le parquet de Lorient, 256 avaient moins de 15 ans au moment des faits.

Calendrier

Les deux premières semaines du procès seront consacrées à l'enquête de personnalité de l'accusé, au déroulé de l'enquête, mais aussi aux témoignages de ses proches.

Son ex-épouse (qui affirme ne jamais avoir soupçonné la pédocriminalité de son mari, malgré une première condamnation pour détention d'images pédopornographiques en 2005) est ainsi attendue à la barre dès mardi.

Présidée par la juge Aude Buresi, la cour criminelle du Morbihan suivra l'ordre chronologique des violences sexuelles commises par Le Scouarnec.

Une quarantaine de parties civiles ont déjà exercé leur droit à huis clos.

Le 19 mai, la cour auditionnera plusieurs anciens hauts responsables des hôpitaux et des services de santé. Selon des documents confidentiels consultés par l'AFP, certains avaient été informés dès 2006 de la première condamnation du chirurgien, sans que sa carrière n'en soit impactée. 

Le médecin avait exercé onze ans encore, poursuivant ses violences sexuelles présumées sur les enfants qu'il opérait.

Après une journée consacrée à l'expertise psychiatrique de l'accusé (le 20 mai), viendront les plaidoiries des 63 avocats des parties civiles (22-28 mai), les réquisitions le 2 juin, puis la défense, le 3 juin.

Joël Le Scouarnec prononcera ses derniers mots devant la cour le jour-même, ou le lendemain, avant un délibéré du 4 au 6 juin et un verdict dans la foulée.