L’Éducation nationale ouvre une enquête administrative après le suicide d'une directrice harcelée

Le suicide de Caroline Grandjean, directrice d’école à Moussages (Cantal), bouleverse la communauté éducative.
Lundi 1ᵉʳ septembre, cette enseignante de 42 ans, victime de harcèlement lesbophobe depuis près de deux ans, a mis fin à ses jours.
Mardi soir, le ministère de l’Éducation nationale a annoncé l’ouverture d’une enquête administrative, confiée à l’Inspection générale, afin de faire « toute la lumière » sur « l’ensemble des faits et des procédures » ayant précédé le drame.
La ministre de l’Éducation Elisabeth Borne a exprimé "ses plus sincères condoléances" à la famille de Caroline Grandjean, qui a mis fin à ses jours lundi, jour de la rentrée. "Elle était une figure respectée, pleinement engagée auprès de ses élèves", peut-on lire dans un communiqué du ministère.
Un drame en plein jour de rentrée
Dans la matinée de lundi, Caroline Grandjean avait contacté le 3114, le numéro national de prévention du suicide, pour faire part de ses intentions. Alertés, les gendarmes ont tenté de la retrouver. Mais la quadragénaire a été découverte sans vie au pied d’une falaise à Anglards-de-Salers, à une dizaine de kilomètres de son école, ont confirmé les autorités.
Le calvaire de la directrice débute en décembre 2023, lorsqu’elle découvre un premier tag homophobe dans l’école de Moussages, où sont scolarisés une quinzaine d’élèves.
Quelques mois plus tard, en mars 2024, un nouveau graffiti apparaît, suivi d’une lettre de menace. Les plaintes s’enchaînent, mais les insultes persistent.
L’inspection académique lui propose une mutation, qu’elle refuse. Peu avant la rentrée 2024, de nouvelles insultes la conduisent à s’arrêter de nouveau. Elle ne reprendra jamais son poste.
Selon ses proches, l’enseignante s’est sentie abandonnée par l’institution, qui aurait préféré la déplacer plutôt que la protéger.
« Le choix de Caroline de mettre fin à ses jours le jour de la rentrée, c’est un message adressé à l’Education Nationale. Elle l’accuse de toute la situation. Elle voulait que ça se sache et que ça fasse du bruit. Parce que l’institution se nourrit du silence et a tout fait pour la faire taire », témoigne Christophe Tardieux, enseignant et auteur de la BD Cas d’école qui retrace son histoire, dans un article publié dans 20 minutes.
Une colère partagée dans la communauté éducative
Pour Aurélie Gagnier, co-secrétaire générale et porte-parole du syndicat FSU-SNUipp, ce drame révèle des failles structurelles au sein de l’Éducation nationale.
Elle souligne notamment l’absence de moyens concrets pour accompagner les enseignants en difficulté : « Dans des cas comme ça, il est évident que l’autorité éducative doit afficher un soutien ferme et sans faille. Pour nous, c’est évident qu’il faut un déplacement des autorités et une prise en charge psychologique. »
La porte-parole dénonce dans une interview accordée à Euronews un manque criant de ressources : « On a seulement un médecin du travail pour 16 000 agents de l’Éducation nationale. Les psychologues du travail, il n’y en a quasiment pas. »
Le syndicat FSU-SNUipp pointe également le tabou persistant autour des suicides dans l’institution. « C’est un sujet tabou, explique Aurélie Gagnier. Nous avons élaboré un guide à destination des alertes suicidaires en 2021, mais il n’a jamais été publié. La raison ? Il parle de suicide, et la Direction générale des ressources humaines ne veut pas que le mot circule. Il y a un frein énorme sur ce sujet. » Pour les syndicats, chaque drame devrait pourtant servir de déclic.
L’appel à une protection plus ferme
Même colère du côté des associations de lutte contre l’homophobie. Pour Julia Torlet, Présidente de l'association SOS Homophobie, la mort de Caroline Grandjean aurait pu être évitée : « On protège les élèves harcelés, mais on constate que du côté du personnel, ce n’est toujours pas le cas. On se contente de changer de poste. »
Pour elle, la réponse doit être à la fois immédiate et structurelle : « La solution de court terme serait de prendre acte et protéger. Sur le long terme il faut créer un environnement sain avec une sensibilisation et des formation plus poussées. Il faut agir sur tous les degrés de l’échelle, sensibiliser tout le monde, les rectorats, le ministère etc. »
Un contexte alarmant pour les personnes LGBT+
SOS Homophobie alerte sur une tendance plus générale : « On constate une hausse des actes homophobes ces dernières années. »
Les chiffres sont édifiants : « Sur les jeunes LGBTQ de moins de 25 ans, il y a quatre fois plus de suicides que chez la population générale. Et sept fois plus pour les jeunes personnes transgenres. »
Dans le monde du travail, « plus d’une personne sur deux n’ose pas déclarer son identité sexuelle », rappelle Julia Torlet à Euronews.
« Ce n’est pas parce qu’il y a des droits que les mentalités ont changé. Juste parce qu’on a des lois, ça ne veut pas dire que les institutions protègent de ce fait. On veut souligner ce décalage. »
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