La crise politique française menace l'influence du pays sur l'UE

La France s’apprête à entrer dans une nouvelle période d’incertitude politique après l’effondrement quasi certain du gouvernement Bayrou, qui devrait suivre l’échec programmé du vote de confiance au Parlement ce lundi soir. Une crise qui menace aussi le rôle de l’Hexagone comme moteur de l’UE.
Ce cinquième changement de Premier ministre en moins de deux ans ouvre un nouveau chapitre dans l’histoire de l’instabilité qui marque la vie politique française sous le second quinquennat d’Emmanuel Macron.
Cette fois ci, le déclencheur a été le projet du budget 2026 – avec 44 milliards d’euros de coupes, la suppression de jours fériés et le gel des dépenses sociales, – il est très impopulaire. Mais la crise dépasse largement la seule politique budgétaire : elle révèle une rupture de confiance entre les Français et leurs dirigeants, alimentant une colère qui pourrait redessiner le paysage politique à l’approche de la présidentielle de 2027.
Un nouvel équilibre des forces en Europe
Les conséquences dépassent largement Paris et touchent également Bruxelles. Pendant des décennies, la France se targuait d’incarner la stabilité dans l’Europe, notamment face aux gouvernements italiens à répétition. Cette comparaison s’est désormais inversée. L’Italie, ancien "homme malade de l'Europe", sous Giorgia Meloni projette une image de solidité, tandis que la France est en proie à la paralysie politique et à la surveillance financière.
La dette publique française s’élevait à 113 % du PIB en 2024, avec un déficit de 5,8 %. L’Italie, malgré un endettement global plus lourd, a enregistré un déficit limité à 3,4 % sur la même période. Les deux pays sont soumis à la « procédure de déficit excessif » de la Commission européenne, mais les analystes estiment que Rome progresse plus vite que Paris dans la consolidation de ses finances.
Cela se reflète aussi à Bruxelles, où le tandem franco-allemand qui pilotait traditionnellement la politique de l’UE montre des signes d’essoufflement : Berlin est freiné par ses propres contraintes budgétaires, tandis que Paris est paralysé par ses crises politiques. L’Italie, en revanche, sous la houlette de Meloni, achève les démarches nécessaires pour sortir de la procédure de déficit excessif et commence déjà à projeter son influence sur les affaires européennes.
« Compte tenu du poids de la France dans la zone euro et dans l’Union européenne, cela pourrait aussi avoir des conséquences pour l’ensemble de la zone euro, pour les relations économiques entre les différents partenaires européens et, par extension, pour le poids politique de la France dans les décisions à prendre sur des dossiers majeurs, en particulier les questions commerciales, de politique industrielle et de compétitivité, de transition technologique et de changement climatique », explique Éric Maurice, analyste politique du think tank bruxellois EPC.
Le président Emmanuel Macron, qui nomme le Premier ministre, a déjà écarté l’hypothèse d’élections anticipées ou de démission. Il lui revient désormais de choisir un nouveau chef de gouvernement, dans les couloirs de l’Élysée plusieurs noms circulent déjà: Catherine Vautrin, ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles, Sébastien Lecornu, ministre des Armées, ou Gérald Darmanin, ministre de la Justice – mais aussi un visage bien connu de la droite Xavier Bertrand, président LR du Conseil régional des Hauts-de-France.
Mais avec un Parlement fragmenté entre gauche, extrême droite et centristes, tout successeur risque de se heurter au même blocage.
A Bruxelles, les partenaires européens s’interrogent de plus en plus sur la capacité de la France à tenir ses engagements à Bruxelles alors que la scène politique nationale est paralysée. Les marchés aussi s’inquiètent : les taux d’emprunt de long terme de la France ont récemment atteint leur plus haut niveau depuis 2008, traduisant les doutes sur la capacité du gouvernement à maîtriser ses dépenses.
« Dans quelques jours, les agences doivent publier leurs notations. On verra alors si cela complique un peu plus le financement de la France. Mais pour l’instant, nous sommes très loin d’une intervention du FMI, et même d’une intervention de la Banque centrale européenne pour racheter de la dette, comme cela a pu être fait par le passé au sein de l’Union européenne », ajoute Éric Maurice.
Un risque croissant sous fond de contestation sociale
Depuis le pari manqué d’Emmanuel Macron avec les législatives anticipées de 2024, la vie politique française est paralysée par un gouvernement issu de la troisième force du scrutin, laissant de nombreux électeurs se sentir ignorés malgré une participation record. Cette frustration se traduit désormais par de nouveaux mouvements de contestation, avec des appels à “tout bloquer” cette semaine et des grèves annoncées dans la santé et les transports. Le 10 septembre, la grève générale réunissant des organisations allant de la gauche à la droite est prévue pour protester contre le gouvernement Bayrou et la politique du président.
La crise ne se résume donc pas à la chute d’un Premier ministre supplémentaire. Elle met en lumière une fracture profonde entre les citoyens français et leurs institutions politiques, une fracture qui pourrait redéfinir le rôle du pays en Europe, tout en renforçant les forces radicales à l’intérieur.
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