Entretien exclusif avec Mohammed, un Palestinien de retour chez lui dans le nord de Gaza
La semaine dernière, Mohammed, 22 ans, est retourné chez lui, dans le nord de Gaza, pour la première fois depuis le début de la guerre de 15 mois entre Israël et le Hamas.
Lui et sa famille font partie du demi-million de Palestiniens qui ont fait le long voyage vers le nord le long du corridor de Netzarim, qu'Israël a récemment rouvert dans le cadre de l'accord de cessez-le-feu avec le Hamas.
Comme beaucoup d'autres, Mohammed a fait le voyage à pied, avec sa mère, sa sœur et leurs quatre enfants, âgés de deux à sept ans. Ils ont marché pendant plus de cinq heures, depuis Deir Al-Balah, dans le centre de Gaza, à une vingtaine de kilomètres.
"Nous sommes partis vers sept heures du matin", raconte-t-il à Euronews. "La route qui nous attendait était extrêmement difficile. Il n'y avait ni eau ni nourriture sur le trajet".
Mais lorsqu'ils sont revenus à la maison que la famille de Mohammed avait mis presque toute sa vie à obtenir, ils l'ont trouvée en ruines. "C'était très difficile, un sentiment horrible", raconte-t-il.
15 mois de déplacement
Pendant 15 mois, la famille de Mohammed a vécu dans des tentes de fortune et a été déplacée quatre fois, dit-il.
"Le premier jour, le 7 octobre, nous avons été réveillés à six heures du matin par le bruit des frappes de missiles, en très grand nombre. Nous ne savions pas ce qui se passait", explique Mohammed. "Nous avons attendu jusqu'à neuf heures du matin pour comprendre qu'il s'agissait d'une vaste offensive, après que le Hamas a pénétré sur le territoire israélien, et qu'Israël avait lancé une guerre à grande échelle sur la bande de Gaza".
Face aux bombardements israéliens, Mohammed et sa famille ont d'abord fui vers Deir Al-Balah, puis Khan Younès, et enfin Rafah, avant de revenir à Deir Al-Balah, où ils sont restés pendant près d'un an.
La vie sous les tentes ne les protégeait guère du froid et de la pluie. De retour chez eux, ils ont au moins un toit au-dessus de leur tête, explique Mohammed, mais ils craignent qu'il ne s'effondre sur eux à tout moment.
"L'immeuble dans lequel je me trouve est à moitié détruit. À tout moment, Dieu nous en préserve, il peut s'effondrer", a-t-il déclaré. "Nous vivons un miracle et nous risquons tout, moi, ma famille, les enfants de mes sœurs, juste pour nous abriter des rigueurs de l'hiver".
Mohammed ajoute : "Si je pouvais trouver une autre maison où rester, je le ferais, mais ce n'est pas possible".
L'aide humanitaire peine toujours à parvenir dans le nord de Gaza
Les bombardements israéliens et les opérations terrestres ont transformé des quartiers entiers de Gaza en terrains vagues. Le nord, où habite Mohammed, est la partie la plus détruite du territoire.
Il est par conséquent extrêmement difficile pour l'aide humanitaire de parvenir à la population, même depuis le début du cessez-le-feu, il y a trois semaines.
Mercredi, les Nations unies ont déclaré que les organisations humanitaires "étendent actuellement leur présence opérationnelle et leurs services dans des zones qui étaient auparavant difficiles ou impossibles d'accès", y compris le nord.
Au cours des deux dernières semaines, le Programme alimentaire mondial (PAM) a livré plus de 10 millions de tonnes de nourriture dans la bande de Gaza.
Mais pour Mohammed, les besoins de base comme la nourriture, l'eau et les soins de santé sont devenus plus difficiles à satisfaire depuis le cessez-le-feu. Il explique que s'il devait déjà voyager loin pour recevoir de l'aide lorsqu'il était déplacé, il lui faut maintenant encore plus de temps pour recevoir de l'eau ou atteindre l'hôpital le plus proche.
"C'est très, très difficile", déclare-t-il à Euronews. "Mon domicile se trouve à environ une demi-heure de l'endroit où nous pouvons obtenir de l'eau. Je dois porter toutes les bouteilles avec moi, puis revenir à pied pendant encore une demi-heure. C'est devenu plus difficile qu'avant".
La reconstruction de Gaza pourrait prendre 350 ans, selon l'ONU
Bien que les organisations humanitaires aient renforcé leur présence dans le nord, l'absence totale d'infrastructures signifie que certaines zones restent impossibles à atteindre, laissant des milliers de personnes comme Mohammed sans accès aux produits de première nécessité.
Les Nations unies ont indiqué que sur les 25 équipes médicales d'urgence présentes dans la bande de Gaza, une seule opère dans le nord. Elle ajoute que si 565 092 personnes se sont rendues dans le nord au moment du cessez-le-feu, plus de 45 678 se sont dirigées vers le sud en raison du manque de services et de la destruction généralisée des maisons et des communautés.
À l'aide de données satellitaires, les Nations unies ont estimé le mois dernier que 69 % des structures de Gaza avaient été endommagées ou détruites, dont plus de 245 000 habitations. La Banque mondiale a estimé à 18,5 milliards de dollars les dégâts causés par les quatre premiers mois de la guerre, soit presque la production économique combinée de la Cisjordanie et de la bande de Gaza en 2022.
Elle estime que la reconstruction pourrait prendre plus de 350 ans si le blocus israélien, imposé en 2007 lorsque le Hamas a pris le pouvoir, est maintenu.
Réactions après les déclarations de Donald Trump
La question de la reconstruction de Gaza a été particulièrement remise en question lorsque le président américain Donald Trump a suggéré que les Palestiniens déplacés à Gaza soient réinstallés de manière permanente en dehors du territoire et que les États-Unis deviennent "propriétaires" de l'enclave.
Cette proposition a été unanimement condamnée par les dirigeants internationaux, qui l'ont qualifié d'"inacceptable", de "contraire au droit international" et "en contradiction flagrante avec les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies".
Des organisations de défense des droits de l'Homme comme Human Rights Watch ont par ailleurs averti qu'un tel plan équivaudrait à un nettoyage ethnique.
Mais même si les Palestiniens ne sont pas expulsés en masse de Gaza, beaucoup craignent de ne jamais pouvoir retourner chez eux ou que la destruction du territoire y rende la vie impossible.
Après la déclaration de Donald Trump, plusieurs responsables américains, dont le secrétaire d'État Marco Rubio, ont affirmé qu'il ne cherchait qu'à déplacer temporairement les quelque 1,8 million d'habitants de Gaza pour permettre la reconstruction.
Mais de nombreux Palestiniens ont déjà déclaré qu'ils ne quitteraient pas leurs maisons, y compris Mohammed.
"De notre côté, en tant que Palestiniens, nous rejetons complètement cette idée", a déclaré Mohammed à Euronews. "Nous avons passé un an et demi en guerre, nous n'accepterons pas l'idée de partir. Ceux qui quittent leur pays souffrent de manière indicible. Nous ne quitterons ni ne fuirons notre pays".
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