Éthiopie: les déclarations va-t-en-guerre d'Abiy Ahmed s'intensifient contre l’Érythrée

Par Océane Bourdenet


Dans une lettre adressée à l’ONU le 2 octobre, le Premier ministre éthiopien accuse l’Érythrée de préparer une guerre. Une "mascarade mensongère", selon son voisin érythréen. Bien que les deux pays aient signé un accord de paix en 2018, leurs relations se sont nettement dégradées depuis la fin de la guerre civile au Tigré, en 2022.

Dans une lettre adressée à l’ONU le 2 octobre, le Premier ministre éthiopien accuse l’Érythrée de préparer une guerre. Une "mascarade mensongère", selon son voisin érythréen. Bien que les deux pays aient signé un accord de paix en 2018, leurs relations se sont nettement dégradées depuis la fin de la guerre civile au Tigré, en 2022.
Prix Nobel de la paix en 2019 pour avoir mis fin au conflit avec l'Érythrée, le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed multiplie les déclarations va-t-en-guerre contre son voisin. Le 2 octobre, il a adressé une lettre au secrétaire général de l'ONU, dans laquelle il accuse l’Érythrée, de financer des groupes armés dans la région Amhara, au nord de l'Éthiopie. Asmara, la capitale érythréenne, "rémunère, mobilise et dirige des groupes armés comme Fano", écrit à l'ONU, Gedion Timothewos, ministre éthiopien des Affaires étrangères.
Des accusations que l’Érythrée dément fermement. Le ministre érythréen de l’Information, Yemane Gebremeskel, a déclaré, vendredi 10 octobre, que l’Éthiopie mène "une intense campagne de propagande depuis deux ans, visant à attiser ses ambitions irrédentistes". Cette déclaration suggère qu’Abiy Ahmed nourrirait l'ambition d'annexer l’Érythrée, qui fut une province éthiopienne avant de devenir indépendante en 1993.
Selon Mehdi Labzaé, chargé de recherche au CNRS et spécialiste de l’Éthiopie, les déclarations bellicistes s'intensifient entre les deux pays depuis deux ans. "Le chef d’état-major éthiopien a déclaré en septembre à ses troupes de la marine de se tenir prêtes à tout moment pour prendre position sur la mer Rouge", expliquait-il sur le plateau de TV5MONDE, jeudi 10 octobre. "Abiy Ahmed a également affirmé que l’armée de l’air était prête, et il a remis en cause la souveraineté de l'Érythrée."
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Cette montée des tensions entre l'Éthiopie et l'Érythrée serait due au port d'Assab, selon Mehdi Labzaé. "Le port d’Assab et l'accès à la mer Rouge sont devenus une question existentielle pour le Premier ministre éthiopien", affirmait-il sur le plateau de TV5MONDE.
Une alliance entre l'Érythrée et le TPLF ?
Dans son courrier adressé à l'ONU, le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed évoque également une possible alliance entre l’Érythrée et son ennemi de longue date: le TPLF, le Front de libération du peuple du Tigré. Créé en 1975, ce parti politique et ancien mouvement de guérilla est originaire de la région du Tigré, au nord de l'Éthiopie. Acteur majeur de la guerre civile éthiopienne, il prend le pouvoir en 1991 et dirige le pays jusqu’en 2018.
En 2020, les tensions entre le gouvernement fédéral, dirigé par Abiy Ahmed, et le TPLF dégénèrent en guerre ouverte, connue sous le nom de "guerre du Tigré". Le conflit fait des dizaines de milliers de morts et provoque une crise humanitaire majeure. Un accord de paix est signé en novembre 2022, mettant officiellement fin aux combats.
À (re) lire : L'Erythrée, accusée par l'Ethiopie de préparer une guerre, dénonce une "mascarade mensongère"
"On peut douter du fait que le TPLF soutienne militairement les insurgés en région Amhara, qu’on appelle Fano", explique Mehdi Labzaé sur le plateau de TV5MONDE. "Ces Fano ont été responsables de crimes de guerre commis entre 2020 et 2022. Mais en même temps, on observe qu’il y aurait une alliance de facto entre le régime érythréen et le TPLF", conclut-il.
Pourtant, durant la guerre du Tigré, l’Érythrée a soutenu activement Abiy Ahmed, en envoyant ses troupes combattre le TPLF aux côtés de l’armée éthiopienne. Le fait est que l'Érythrée a été écartée de l'accord de paix en 2022 entre le TPLF et Addis-Abeba. De son côté, Asmara a continué de surveiller de près la région du Tigré, située à sa frontière.
À l’occasion du 34e anniversaire de l’indépendance érythréenne, le 24 mai dernier, le président Isaias Afwerki a lancé un message à peine voilé à l’Éthiopie. Il a appelé les "forces extérieures à replier leurs tentacules", visant implicitement le Parti de la prospérité au pouvoir à Addis-Abeba. Il a également estimé que "les perspectives optimistes qui se dessinaient se sont dissipées".
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