Les mamies allemandes font de la résistance contre l'extrême droite
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Demokratie schützen ("protéger la démocratie"), l'un des slogans des omas gegen rechts, avec "apprendre de l'histoire" ou "préserver l'Etat de droit".
Leurs cheveux blancs comptent moins que leur détermination sans faille : le mouvement des "mamies contre l'extrême droite" fait entendre une voix singulière face à la montée des discours nationalistes et anti-migrants en Allemagne.
Leur mission : protéger la démocratie pour les générations futures. Leur emblème : un bonnet en grosse maille souvent tricoté main. On les distingue ainsi nettement dans les manifestations qui ont rassemblé ces dernières semaines en Allemagne des centaines de milliers de personnes, inquiètes du score record que pourrait atteindre le parti d'extrême droite AfD (Alternative pour l'Allemagne) aux élections du 23 février.
Crédité de 21% dans les derniers sondages, il pourrait décrocher la seconde place aux législatives, derrière les conservateur CDU/CSU, même si ses chances d'arriver au pouvoir sont nulles faute d'alliés.
Mais les Omas gegen Rechts n'ont pas attendu la dernière ligne droite avant le scrutin pour se mobiliser, appliquant ce slogan à la lettre depuis maintenant sept ans : "Ce n'est pas parce qu'on est vieux qu'on doit rester silencieux". Sexagénaires, septuagénaires voire nonagénaires, ces activistes qui ont grandi dans les décennies d'après-guerre travaillées par la mémoire de l'Holocauste se sentent investies d'un devoir.
Le mouvement des "Omas" a vu le jour en Allemagne en 2018, sur le modèle d'initiatives similaires en Autriche. Un an plus tôt, l'AfD, fondée en 2013, venait de faire son entrée au parlement allemand, une césure dans la vie politique du pays. Au fil des années, le mouvement a grandi et s'est structuré jusqu'à compter une centaine de sections locales dans toute l'Allemagne.
Préserver la paix pour les générations à venir
"J'ai eu la chance de vivre en paix et en démocratie pendant 58 ans et c'est ce que je veux préserver pour mes trois petits-enfants", dit Gabi Heller, qui anime une groupe d'"Omas" à Nuremberg, grande ville de Bavière, dans le sud du pays. "C'est une solution facile d'accuser les flux migratoires de tous les maux, mais c'est tout simplement un non-sens total", ajoute-elle, un drapeau de l’organisation sur l'épaule.
Nous pensions, dans ma génération qu'on appelle les soixante-huitards, descendue dans la rue contre la vieille clique nazie et fasciste, l'avoir éradiquée. Mais ce n'est pas vrai, elle repousse. Eva-Maria Singer, membre du mouvement "Omas"
Eva-Maria Singer a rejoint le mouvement voici trois ans. "Nous avons été trop naïfs", constate cette femme de 73 ans rencontrée dans une manifestation à Nuremberg. "Nous pensions, dans ma génération qu'on appelle les soixante-huitards, descendue dans la rue contre la vieille clique nazie et fasciste, l'avoir éradiquée. Mais ce n'est pas vrai, elle repousse".
Expériences, résistances et inspiration
"L'année dernière, nous avons organisé ou participé à plus de 80 manifestations", dont de nombreuses mobilisations contre l'antisémitisme, souligne Maja, une activiste de 72 ans interrogée à Berlin. Son engagement a des racines très personnelles : "ma grand-mère a dû quitter l'Allemagne avec mon père" parce qu'elle était juive, raconte-t-elle.
Certains de ses petits-enfants ont des origines "du Moyen-Orient... et je ne veux pas qu'ils aient à quitter l'Allemagne - c'est pourquoi j'ai rejoint les Omas", confie-t-elle.
Elles s'engagent contre le racisme, contre la discrimination, contre la misanthropie. C'est très important et très encourageant. Nicole Büttner
Un premier congrès des Omas gegen Rechts s'est même tenu cet été, en Thuringe, dans le centre de l'Allemagne, un territoire de l'ex-RDA où l'AfD est arrivée en tête des dernières élections régionales et compte de nombreux militants. "Nous avons été choquées par la façon dont nous avons été traitées", raconte Gabi Heller. A Nuremberg, "ce n'est pas encore comme ça, je peux marcher dans la rue avec la pancarte des 'Omas' sans avoir peur", dit-elle.
Sur les réseaux sociaux, elles sont représentées par l'AfD et les ultra conservateurs comme acariâtres et agressives, par rapport à de pimpantes séniors brandissant le drapeau national.
Ou sont dépeintes comme des "boomeuses", "looseuses", frustrées, peureuses...
Pour Nicole Büttner, une "jeune" de 46 ans qui a manifesté à leurs côtés à Berlin début février, l'engagement de ces vétérantes est une inspiration : "Ce sont des personnes âgées, dont certaines ont probablement vécu la période de la guerre. Elles s'engagent contre le racisme, contre la discrimination, contre la misanthropie. C'est très important et très encourageant", assure-t-elle.
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