Kaouther Ben Hania, la caméra dans la plaie

Par AFP Par Aurélie MAYEMBO © 2025 AFP

Elle a créé l'événement à Venise avec son film sur Gaza, "The Voice of Hind Rajab": à 48 ans, Kaouther Ben Hania est une réalisatrice qui frappe fort avec des films aux frontières du réel, ne laissant personne indifférent.
Pour "Les filles d'Olfa" qui lui a valu un César du documentaire en février 2024, elle évoque la radicalisation de deux jeunes Tunisiennes en interrogeant leur mère et leurs sœurs et en faisant rejouer des scènes par des actrices.
Pour "The Voice of Hind Rajab", en lice pour le Lion d'or remis samedi à la Mostra, les appels de détresse d'une fillette palestinienne au Croissant-Rouge palestinien sont la matière première du film.
Hind Rajab, 5 ans, a été retrouvée morte à l'intérieur d'une voiture criblée de balles dans la ville de Gaza le 10 février 2024, alors que le véhicule dans lequel elle voyageait avec des membres de sa famille, retrouvés morts eux aussi, avait été visé par des soldats israéliens plusieurs jours auparavant.
"Lorsque j'ai entendu pour la première fois la voix d'Hind Rajab, il y avait quelque chose de plus que sa voix. C'était la voix de Gaza qui appelait à l'aide et personne ne pouvait entrer", a affirmé la réalisatrice franco-tunisienne mercredi devant la presse à Venise.
Elle avait déjà pris à partie le gratin du cinéma français à la cérémonie des César, demandant à ce que "le massacre cesse" à Gaza. "Arrêter de tuer des enfants devient une revendication radicale", avait-elle déploré.
Révélée grâce à son thriller sur une victime de viol "La belle et la meute", présenté à Cannes en 2017, Kaouther Ben Hania aime à se saisir de sujets brûlants et brouiller les frontières entre fiction et réél, même si elle s'en défend.
Constitué de neuf plans séquences, le long-métrage suit au plus près Mariam, qui lutte pendant une nuit pour porter plainte après avoir été violée par des policiers.
Nouvelle génération
Née le 27 août 1977 à Sidi Bouzid (centre de la Tunisie), où il n'y avait pas de cinéma, Kaouther Ben Hania appartient à "la génération VHS" qui a "grandi avec les films indiens de Bollywood".
En arrivant à Tunis pour des études commerciales, elle change de voie grâce à la fédération tunisienne des cinéastes amateurs.
Installée ensuite à Paris, elle a suivi notamment un atelier d'écriture d'un an à la Fémis, école de cinéma reconnue, avant un master de recherche.
En 2010, après plusieurs courts-métrages, Kaouther Ben Hania choisit la forme documentaire pour "Les imams vont à l'école" puis en 2014, le faux documentaire satirique pour "Le Challat de Tunis", balafreur réel ou fantasmé de fessiers féminins. Elle le qualifie elle-même de "documenteur".
Deux ans plus tard, dans "Zaineb n'aime pas la neige", elle livre une chronique sensible du passage à l'adolescence de l'héroïne, filmée entre 9 et 15 ans, entre la Tunisie et le Québec.
Revendiquant un message universaliste, Kaouther Ben Hania fait partie de la génération de cinéastes tunisiens qui ont mis à l'écran des questions sociétales et politiques longtemps bannies sous le régime de Zine El Abidine Ben Ali (1936-2019), comme Erige Sehiri ("Promis le ciel", en salles fin novembre).
"Sous la dictature, je n'aurais jamais pu réaliser les films que je fais aujourd'hui et qui sont soutenus par la Tunisie", confiait-elle à l'AFP en 2020.
Elle a été la première à représenter la Tunisie aux Oscars en 2021, avec "L'homme qui a vendu sa peau", qui suit un Syrien arrivant en Europe au prix d'un pacte faustien faisant de lui une œuvre d'art vivante.
La Tunisie a d'ores et déjà présélectionné "The Voice of Hind Rajab" pour les Oscars 2026. Le film doit sortir dans le pays le 17 septembre.
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