A l'ombre de la présidentielle au Cameroun, le juteux business de la fuite des cerveaux

Par AFP Par Léa NKAMLEUN FOSSO © 2025 AFP

"Visa d'étude, visa de travail, résidence permanente. Voyagez quand et comme vous voulez", promet une publicité. Alors que les Camerounais se préparent à voter pour la présidentielle dimanche, les diplômés regardent ailleurs, une fuite des cerveaux qui nourrit un marché en pleine expansion.
A Douala, capitale économique du pays, impossible de rater la dizaine de bannières rouges et blanches serties de feuilles d'érables alignées sur une avenue du quartier de Bonamoussadi. Elles signalent les locaux d'"Objectif Canada", une agence récemment ouverte pour "accompagner à la procédure d'immigration canadienne".
A la réception, Michael, 38 ans, est venu se renseigner pour sa compagne. "Elle est titulaire d'une licence en sécurité informatique mais n'a pas trouvé de travail dans son domaine", explique-t-il.

Le Cameroun, dirigé depuis 43 ans par Paul Biya, 92 ans, plus vieux chef d’État au monde et candidat à sa réélection, est l'une des plus grandes économies d'Afrique centrale. Mais son développement reste entravé par ses problèmes de gouvernance. L'an dernier, 40% des 30 millions de Camerounais vivaient sous le seuil de pauvreté, selon la Banque mondiale.
Dans ce contexte, plus de la moitié des jeunes Camerounais (51%) "ont pensé à émigrer", indiquait l'an dernier un sondage de l'institut africain Afrobarometer.
"La recherche de travail, les difficultés économiques et la pauvreté sont les principales raisons", et l'Amérique du Nord la "destination préférée", soulignait-il.
"C'est une perte" à plusieurs niveaux, déplore le politologue Stéphane Akoa: ce sont des "individus hautement qualifiés", et l'argent dépensé par l’État pour les former n'est "pas rentabilisé et profite à d'autres pays".
L'an dernier, le Cameroun a été le premier pays pourvoyeur de nouveaux résidents permanents au Canada, tant au Québec francophone (9.127 personnes, en hausse de 42% par rapport en 2023) que dans le reste du pays anglophone (10.395), selon les autorités canadiennes.
"Millions de francs"
"L’immigration canadienne a le vent en poupe", confirme Stéphane Bofia, fondateur d'Objectif Canada.
Cet informaticien de 34 ans fournit un site en ligne de préparation aux examens de langue réclamés par les services de l'immigration, moyennant 45.000 francs CFA (70 euros) pour trois mois.

Il propose également un service d'accompagnement personnalisé qui se facture "en millions de francs" CFA, soit un minimum de 1.500 euros.
"On ne fait pas la promotion de l’immigration", mais "la demande existe" et "le client adhère facilement", souligne M. Bofia.
A 27 ans, Martial s'est offert les services d'une autre agence de Douala. Après avoir déboursé près de 3.000.000 de francs CFA (4.500 euros), l'ingénieur en agronomie espère rejoindre le Canada d'ici huit mois.
"Ici, les opportunités sont limitées à un petit nombre de personnes", justifie-t-il. Il a choisi ce pays après avoir été encouragé par des camarades d'études déjà sur place, et parce que l'immigration y est "plus ouverte et plus facile".
Et l'élection présidentielle de dimanche n'y changera rien. "Il peut y avoir du changement, mais je préfère d'abord partir", dit-il en riant.
Dubaï, Lettonie, Bélarus...
Cécile 25 ans, étudiante en master de droit, souhaite également quitter le Cameroun, car pour y devenir avocate, "les procédures sont très longues" et "il faut avoir des relations".
"Je vais revenir", assure-t-elle. "Mais je vais d'abord exercer quelques années au Canada en tant qu'avocate, le temps pour moi de mettre sur pied mes projets", explique celle qui s'est offert une préparation aux tests de langue en agence pour 210.000 francs CFA (320 euros).
Le domaine de l'émigration est "vertigineux et truffé d'arnaques", reconnaît Ghislain Ngongang, un consultant qui aide ses clients à obtenir des visas vers la France et le Canada.
"Il y a au moins 200 agences à Douala" mais "très peu sont fiables", prévient-il, affirmant avoir fait partir 40 personnes depuis fin 2023.
Sur les réseaux sociaux, des agences postent une myriade d'offres et promeuvent des destinations plus inhabituelles pour un résultat rapide: un visa étudiant en Biélorussie en 3 semaines pour 2.750.000 FCFA (4.200 euros), des postes de carreleurs recherchés à Dubaï, "premiers venus, premiers servis", un contrat de travail en Lettonie en trois mois...
Théophile, un artiste plasticien de 24 ans, n'ira pas voter dimanche car il n'a "plus aucun d'espoir pour le pays" et rêve d'ailleurs. A la première opportunité, "je m'en vais", "peu importe le pays", confie-t-il.
"Certaines personnes ici ont l'impression de survivre, les Camerounais veulent plus que ça", explique Ghislain Ngongang.
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