Sénégal: un Livre blanc pour "réhabiliter la vérité historique" sur le massacre de tirailleurs par l'armée française

Par AFP Par Lucie PEYTERMANN et Malick Rokhy BA © 2025 AFP

Un Livre blanc sur le massacre de Thiaroye, près de Dakar, où des tirailleurs africains qui réclamaient leurs soldes ont été massacrés par l'armée française en 1944, a été remis jeudi au président sénégalais, qui l'a qualifié d'"étape décisive dans la réhabilitation de la vérité historique" sur l'un des derniers dossiers mémoriels douloureux entre la France et le Sénégal.
"La cérémonie qui nous réunit aujourd'hui ne célèbre pas un souvenir, elle consacre un acte de vérité", a lancé le chef de l'Etat sénégalais Bassirou Diomaye Faye au cours de cette cérémonie de remise du Livre blanc rédigé par un comité de chercheurs dirigé par l'historien sénégalais Mamadou Diouf, en présence du Premier ministre Ousmane Sonko et de membres du gouvernement sénégalais.
"Le Livre blanc constitue une étape décisive dans la réhabilitation de la vérité historique", a-t-il estimé.
Le Livre blanc de 301 pages est intitulé "Le massacre des Tirailleurs sénégalais à Thiaroye, le 1er décembre 1944. Un massacre de la libération".
Pour ses rédacteurs, "la tuerie a été préméditée" par l'armée française.
Au matin du 1er décembre 1944, au camp militaire de Thiaroye, des troupes coloniales et des gendarmes français ont tiré, sur ordre d'officiers de l'armée française, sur des tirailleurs rapatriés des combats en Europe, pas seulement sénégalais mais aussi issus de Côte d'Ivoire, Haute-Volta (devenu le Burkina Faso), Guinée notamment.

Le traumatisme lié à cette tuerie est toujours vif au Sénégal et sur le continent africain.
De nombreuses zones d'ombre subsistent sur ses circonstances: le nombre des tirailleurs tués, leur identité, le lieu de leur inhumation.
Les autorités sénégalaises avaient mis en place ce comité de chercheurs en avril 2024.
Le corps français des "tirailleurs sénégalais" - créé sous le Second Empire (1852-1870) et dissous dans les années 1960 - rassemblait des militaires des anciennes colonies françaises d'Afrique, notamment des Sénégalais, des Soudanais (actuels Maliens), des Voltaïques (aujourd'hui Burkinabés), des Ivoiriens. Le terme a fini par désigner l'ensemble des soldats d'Afrique qui se battaient sous le drapeau français. Ils ont participé aux deux Guerres mondiales et aux guerres de décolonisation.
"Amertume"
Les quelque 1.300 tirailleurs rassemblés au camp de Thiaroye - d'ex-prisonniers de guerre des Allemands qui avaient participé aux combats de 1940 - avaient embarqué en France début novembre 1944 pour être renvoyés en bateau à Dakar.
Après leur arrivée au camp, ils se révoltent contre le retard du paiement de leurs arriérés de soldes, plusieurs refusant de rentrer dans leurs pays et foyers sans être payés.
"Les autorités françaises ont tout fait pour camoufler (la tuerie), elles ont modifié les registres de départ (des tirailleurs de la France) et d'arrivée à Dakar", écrivent les rédacteurs du Livre blanc.
Si "le bilan officiel français dénombre 70" tués, "les estimations les plus crédibles avancent les chiffres de 300 à 400 victimes", indiquent-ils.

Les fouilles archéologiques menées par le comité ont permis d'exhumer dans le cimetière de Thiaroye, où sont inhumés des victimes, "sept squelettes" dans "des tombes qui sont postérieures aux inhumations", selon eux.
Un des squelettes est "caractérisé par une absence de crâne et sa partie gauche est dépourvue de côtes. La moitié de sa colonne vertébrale est absente" et "une balle a été localisée du côté gauche de sa poitrine", lit-on dans le Livre.
Sur un squelette dans une autre tombe, ont été découverts "des restes de chaînes de fer au bas des tibias gauche et droit". Des brodequins, des boutons, des anneaux, des bagues et des pattes de collet notamment ont été exhumés.
Les archéologues recommandent dans l'ouvrage de compléter ces informations avec "des "études d'anthropologie physique et des analyses génétiques".
Jeudi, le président sénégalais a annoncé avoir validé la "poursuite des fouilles archéologiques sur tous les sites susceptibles d'abriter des fosses communes". "La vérité historique ne se décrète pas, elle se découvre excavation après excavation, jusqu'à la dernière pierre soulevée", a-t-il martelé.
En novembre 2024, à l'approche du 80ème anniversaire des événements de Thiaroye, le président français Emmanuel Macron avait reconnu que les forces coloniales françaises avaient commis un "massacre" à Thiaroye.
"La coopération attendue de la République française dans la mise à disposition complète des archives n'a pas toujours été à la hauteur de nos espérances", a regretté jeudi le président Bassirou Diomaye Faye, confiant une "certaine amertume".
"Cette réserve n'a en rien entamé notre détermination à faire toute la lumière sur cette tragédie dans la collaboration avec l'ancienne puissance coloniale", a-t-il toutefois ajouté.
Quant aux autres pays africains ayant participé aux contingents des tirailleurs, le Livre blanc recommande "d'organiser toutes les commémorations" à venir "en collaboration" avec eux.
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