"Après avoir lutté pour la liberté de tous, c'est elle qui se retrouve privée de liberté" : Betty Lachgar, jugée au Maroc pour blasphème

Par Terriennes
Par Isabelle Mourgere


Ibtissame "Betty" Lachgar est détenue au Maroc depuis le 10 août. Son crime ? Un post sur les réseaux sociaux où on la voit portant un t-shirt avec une inscription inspirée d'un slogan féministe historique : "Dieu est lesbienne". Survivante d'un cancer, portant une prothèse au bras, son état de santé inquiète ses proches. Terriennes s'est entretenue avec sa soeur Siham Lachgar.

Ibtissame "Betty" Lachgar est détenue au Maroc depuis le 10 août. Son crime ? Un post sur les réseaux sociaux où on la voit portant un t-shirt avec une inscription inspirée d'un slogan féministe historique : "Dieu est lesbienne". Survivante d'un cancer, portant une prothèse au bras, son état de santé inquiète ses proches. Terriennes s'est entretenue avec sa soeur Siham Lachgar.
Elle risque jusqu'à 5 ans de prison pour blasphème. Militante de longue date pour les droits des femmes, de la communauté LGBTQ, Ibtissame Betty Lachgar est une parole connue et reconnue parmi les défenseurs des droits humains, non seulement au Maroc, mais aussi à l'international.
Comment vit-elle sa détention en prison à Salé, où elle a été incarcérée suite à l'"affaire du t-shirt", et cela après avoir été la cible d'un déferlement de haine sur les réseaux sociaux ? Comment se prépare-t-elle pour son procès face à la justice marocaine qui la poursuit pour "atteinte à la religion" ? À la veille de son procès mercredi 3 septembre à Rabat, Terriennes a voulu recueillir la parole de sa soeur Siham Lachgar.
Terriennes : avez-vous pu vous entretenir avec votre soeur, avoir contact avec elle depuis la prison où elle est détenue ?
Siham Lachgar: "J'ai pu aller la voir deux fois parce que les visites sont autorisées uniquement le vendredi donc j'ai pu y aller les deux vendredis lorsque j'étais sur place au mois d'août.
Et tant que j'étais là-bas aussi, on a pu communiquer une fois par téléphone parce qu'elle a le droit de recevoir entre deux et maximum trois appels par semaine. Depuis que je n'y suis plus, elle a pu s'entretenir au téléphone avec ma maman".
Dans quel état d'esprit est-elle ?
Siham Lachgar: "Quand j'ai pu la voir, j'allais dire que ça allait encore. C'est plus moi qui étais inquiète pour plusieurs raisons. D'un côté, il y a l'injustice. Moi, je ne comprends pas ce qu'elle fait en prison, mais je suis aussi inquiète pour son état de santé. Je me demande comment elle fait dans ces conditions parce qu'au-delà des risques d'infection, d'un point de vue pratique, vu son handicap, il y a plein de choses qu'elle a du mal à faire seule.
Je suis aussi inquiète car d'après ce qu'elle me raconte, sa situation s'apparente à l'isolement. Elle est seule en cellule, fait ses promenades toute seule, les détenus n'ont pas le droit de lui parler, et elle n'a pas le droit de leur parler."
Justement, concernant son état de santé, de quoi souffre-t-elle aujourd'hui ?
Siham Lachgar: "Elle est ce qu'on appelle survivante d'un cancer. Elle a eu un cancer diagnostiqué à ses 20 ans. Et depuis, même si elle est considérée comme guérie, elle souffre malheureusement d'une infection longue durée liée à son cancer. C'était un cancer de l'humérus gauche. Elle porte une prothèse au bras, posée il y a 30 ans maintenant, et elle risque l'infection. Il faudrait qu'elle se fasse opérer pour changer de prothèse."
Est-ce qu'elle a pu recevoir la visite d'un médecin en prison ?
Siham Lachgar: "À ma connaissance, je ne sais pas. Habituellement, elle a un suivi assez particulier et très rapproché. Donc ça aussi c'est inquiétant."
Pour revenir à l'affaire qui la concerne, au Maroc, il faut rappeler que l'homosexualité est un délit. Donc ce qu'on lui reproche, c'est d'être contre la loi ?
Siham Lachgar: "Selon moi, c'est ce qu'une partie de la population lui reproche. En tout cas, toutes ces personnes - dont un ancien ministre - qui ont dénoncé ça, avant même qu'elle soit arrêtée, avaient déjà appelé à son arrestation en interpellant la DGSN, (Direction générale de la sûreté nationale, ndlr) sur les réseaux en qualifiant eux-mêmes les faits de blasphème.
Ça me dépasse. Comment des personnes ont pu qualifier des faits avant la justice et qu'on ait laissé faire ça ?
Il faut quand même rappeler que ce T-shirt, elle ne l'a pas porté au Maroc et qu'il s'agit d'une photo. Siham Lachgar
Elle est connue des autorités marocaines pour son engagement depuis des années. Est-ce que ce n'est pas ça qu'elle paye aussi aujourd'hui ? Est-ce qu'elle n'est pas un peu "la bouc émissaire" entre guillemets de ces luttes pour les droits et de porter la voix d'une opposition ?
Siham Lachgar: "C'est une vraie question. Même moi, j'attends des réponses par rapport à ça. Est-ce que ce serait ça ou pas ? C'est pour ça que je vous dis qu'il y a eu quand même confusion. Car si on en revient à l'affaire, il faut quand même rappeler que ce T-shirt, elle ne l'a pas porté au Maroc et qu'il s'agit d'une photo.
Alors certes, certains haters crient en disant que c'est elle qui l'a publiée sur les réseaux. Peut-être. Mais en tout cas, elle ne s'est pas faite arrêter en le portant au Maroc.
Cette photo est sortie de son contexte, parce qu'en fait, il y a un contexte historique à ce T-shirt. À quel moment elle l'a porté la première fois et pourquoi ? C'était pour dénoncer le fait que deux Iraniennes avaient été condamnées pour homosexualité."
Vous craignez qu'elle soit condamnée ?
Siham Lachgar: "Je préfère ne pas y penser, mais voilà, je ne suis malheureusement sûre de rien.
On connait son combat depuis très longtemps, c'est une personne qui a toujours combattu des idéologies et pas du tout des personnes. Siham Lachgar
On connait son combat depuis très longtemps, c'est une personne qui a toujours combattu des idéologies et pas du tout des personnes. Elle ne combat pas les croyants ou les croyantes.
Parmi les femmes qu'elle accompagne, il y a énormément de femmes croyantes, pratiquantes, donc voilà, essayer de lui faire porter certaines choses, je trouve quand même qu'intellectuellement, c'est bas.
Cela fait plus de 20 ans qu'elle se bat pour les libertés individuelles, et on dit bien les libertés au pluriel. Au Maroc, elle accompagne beaucoup de femmes dans des situations de précarité, avec son mouvement M.A.L.I, mouvement alternatif pour les libertés individuelles, elle soutient des femmes qui se retrouvent dans des situations compliquées liées à des grossesses non désirées. Elle a aussi mené campagne contre les tests de virginité.
Sa dernière campagne contre les violences sexistes et sexuelles expliquées aux enfants a été récompensée cet été."
Est-ce qu'on peut qualifier ce procès de procès politique ?
Siham Lachgar: "Je ne sais pas, sincèrement. Pour moi, pour nous, pour les sympathisants et sympathisantes de son mouvement, ça a été vraiment un choc de réaliser qu'elle était vraiment en détention, mais surtout, quand on connaît tout son travail, c'est dur."
Sa parole, son combat, c'est un combat qui dérange dans le Maroc d'aujourd'hui ?
Siham Lachgar: "Si on s'arrête à comment elle a été maltraitée par certaines personnes (sur les réseaux sociaux, ndlr), on pourrait dire oui, mais moi j'ai envie de dire non, parce qu'à chaque fois, elle a réussi, avec son mouvement, à créer le débat sur des sujets de société comme l'avortement, l'héritage, etc, dans un contexte de réforme de la Moudawana, le Code de la famille qui est en cours aujourd'hui.
Il y a eu quand même, et heureusement, certaines féministes qui ont pris la parole, soit via la presse ou sur les réseaux, ainsi que certaines associations marocaines, pour la soutenir.
Et puis il y a toutes les personnes qu'elle accompagne. Alors certes, c'est la partie de la population qui est malheureusement silenciée. Ces femmes n'oseront pas, et ce n'est pas un jugement, prendre la parole et aller dans la rue pour la défendre, mais pour en avoir croisé certaines dans le quartier où elle habite, les messages qu'elles m'ont transmis sont juste très beaux."
Auriez-vous un appel à lancer ?
Siham Lachgar: "Moi, j'ai envie de dire : "regardez tout ce qu'elle fait, elle, à titre personnel, mais aussi via son mouvement, tout le travail qu'elle fait depuis plus de 20 ans, comment elle se bat pour les libertés de tout le monde, c'est quand même dommage maintenant que ce soit elle qui soit privée de sa propre liberté".
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