Discours sur l'état de l'Union européenne : le moment de vérité pour Ursula von der Leyen

Lorsque Ursula von der Leyen montera sur le parquet du Parlement européen mercredi matin pour prononcer le traditionnel discours sur l'état de l'Union européenne, elle se trouvera dans une position à laquelle elle n'est pas habituée : la fragilité.

Pratiquement inconnue lors de son élection en 2019, la présidente de la Commission européenne a réussi à se forger une image de dirigeante fiable et efficace, capable de mener le bloc en eaux troubles, contre vents et marées.

Sa réponse à la pandémie de COVID-19 a vu son exécutif entreprendre les tâches sans précédent d'acheter des vaccins pour 450 millions de citoyens et de déployer un fonds de relance basé sur l'émission d'une dette commune.

L'invasion à grande échelle de l'Ukraine par la Russie a encore renforcé sa crédibilité, faisant d'elle l'une des principales voix du front occidental contre l'invasion agressive de Vladimir Poutine.

Motions de censure

À la fin de l'année 2022, le magazine Forbes a désigné Ursula von der Leyen comme la femme la plus puissante du monde, un titre qu'elle a conservé depuis. L'année dernière, elle a été réélue haut la main, recueillant 401 voix pour un second mandat, un score plus important que les observateurs ne l'avaient prévu.

Mais en l'espace de quelques mois seulement, sa cote a brusquement chuté, face à des accusations et des reproches émanant des quatre coins de l'échiquier politique.

L'opposition a atteint son paroxysme en juillet, lorsque Ursula von der Leyen a dû défendre sa présidence contre une motion de censure déposée par des eurodéputés de la droite dure. Tout en qualifiant les auteurs de la motion de "marionnettes" contrôlées par la Russie, elle a tendu la main aux autres eurodéputés.

"Je reconnais qu'il y a des membres qui n'ont peut-être pas signé cette motion mais qui ont des préoccupations légitimes sur certaines des questions qu'elle soulève", leur a-t-elle dit.

"C'est tout à fait normal. Cela fait partie de notre démocratie et je serai toujours prête à débattre de toute question souhaitée par cette Assemblée, en m'appuyant sur des faits et des arguments".

Cette ouverture ne semble cependant pas avoir porté ses fruits : deux autres motions de censure distinctes sont déjà en cours de la part de la gauche radicale et de l'extrême droite.

"Ursula von der Leyen est confrontée à une tâche délicate dans son état de l'Union", estime Fabian Zuleeg, directeur exécutif en chef du European Policy Centre (EPC), soulignant que les tumultes intérieurs qui secouent de nombreux États membres, tels que la France, compliquent encore la situation.

"Le mieux qu'elle puisse espérer est de maintenir le navire stable, il est donc peu probable que cet état de l'Union propose l'agenda réellement ambitieux qui est nécessaire".

Le Pacte vert européen au cœur des tensions

Le mécontentement à l'égard de la présidence d'Ursula von der Leyen est omniprésent au sein du Parlement.

Sa propre famille politique, le Parti populaire européen (PPE), a lancé une offensive tous azimuts pour saper la législation adoptée dans le cadre du Pacte vert, qu'Ursula von der Leyen défend farouchement.

Le PPE est allé jusqu'à s'aligner avec les forces dures et d'extrême droite pour atteindre cet objectif, déclenchant la fureur des socialistes, des libéraux et des verts, qui considèrent cette alliance informelle comme une violation de la promesse faite par Ursula von der Leyen lors de sa campagne de réélection.

À l'époque, la présidente avait en effet refusé de poursuivre une "coopération structurée" avec la droite dure, une demande clé des progressistes pour lui apporter des voix.

Mais le PPE, qui n'est pas lié par sa déclaration, a profité de l'élan de simplification de la réglementation, accueilli avec enthousiasme par les Etats membres, pour faire passer son programme anti-Pacte vert à l'étape suivante.

L'affrontement idéologique a fracturé la coalition centriste pro-européenne qui était censée ancrer le second mandat d'Ursula von der Leyen. Lorsqu'elle a soumis son tout nouveau collège de commissaires au vote du Parlement, le résultat était de 370 voix pour, soit nettement moins que les 401 voix qu'elle avait obtenues quelques mois plus tôt.

Guerre à Gaza et accord commercial avec les États-Unis

La réticence du bloc à sanctionner Israël pour sa guerre contre Gaza a également mis en colère les eurodéputés de gauche et a poussé Teresa Ribera, la seconde responsable de la Commission, à rompre les rangs en public.

Mais c'est l'accord commercial entre l'Union européenne et les États-Unis qui a réellement mis le feu aux poudres.

Selon les termes de l'accord, qu'Ursula von der Leyen a finalisés lors d'une réunion en tête-à-tête avec Donald Trump en Écosse, la grande majorité des produits fabriqués dans l'UE et destinés au marché américain sont soumis à des droits de douane de 15 %, tandis que la plupart des produits américains destinés au marché de l'UE sont exemptés de taxes.

En outre, le bloc s'est engagé à dépenser 750 milliards de dollars pour l'énergie américaine, à investir 600 milliards de dollars dans l'économie des États-Unis et à acheter pour 40 milliards de dollars de puces d'intelligence artificielle américaines d'ici la fin du mandat de Donald Trump. Les États-Unis n'ont pris aucun engagement similaire.

Étant donné la compétence exclusive de la Commission en matière de politique commerciale, la responsabilité de cet accord extrêmement déséquilibré incombe en grande partie à Ursula von der Leyen, portant atteinte à ce qui était jusqu'à présent son principal atout : sa réputation d'habile gestionnaire de crise.

Ursula von der Leyen est-elle entièrement responsable de cet accord ?

Plus inquiétant encore pour la présidente de la Commission, les critiques les plus sévères sont venues des forces résolument pro-européennes qui soutiennent sa coalition et qui estiment que l'accord est une capitulation qui soumet le bloc aux desseins américains et torpille l'objectif de l'autonomie stratégique.

Nathalie Tocci, directrice de l'Istituto Affari Internazionali (IAI), estime que la responsabilité devrait être partagée avec les Etats membres, qui ont "sapé" le pouvoir de négociation de l'exécutif en s'exprimant publiquement pour défendre leurs intérêts individuels.

"Le problème est vraiment la manière dont le nationalisme croissant en Europe et la montée de l'extrême droite ont fondamentalement vidé de sa substance l'agenda intégrationniste de l'UE - et très clairement, presque par définition, c'est ce dont la Commission s'occupe", a-t-elle déclaré à Euronews.

"Je pense qu'il serait injuste de blâmer exclusivement Ursula von der Leyen pour cet accord, car à bien des égards, elle est la victime d'un contexte politique plus large. On peut dire qu'elle n'en fait pas assez pour y remédier, mais il y a des limites à ce qu'elle peut faire".

Après des jours de silence, la présidente a admis que l'accord était "solide mais imparfait", tout en affirmant qu'il apporterait au moins "stabilité et prévisibilité" en cette période de troubles.

Cette affirmation a cependant été contredite peu après, lorsque Donald Trump lui-même a menacé d'appliquer des droits de douane supplémentaires à l'UE en représailles à l'amende antitrust de 2,95 milliards d'euros infligée par la Commission à Google.

Lorsqu'elle prendra la parole pour prononcer son discours à Strasbourg mercredi, Ursula von der Leyen aura donc fort à faire pour s'attirer de nouveau les grâces des eurodéputés.