L'Espagne mise sur les migrants pour combler la pénurie de main-d'œuvre et stimuler la croissance

Le gouvernement espagnol souhaite régulariser plus d'un million de migrants d'ici trois ans.
Pour Madrid, c'est l'une des clés de la prospérité future, dans un contexte général de déclin démographique.
D'ici 2027, plus d'un million de migrants en situation irrégulière pourraient obtenir un statut légal en Espagne.
Une réforme gouvernementale, entrée en vigueur en mai 2025, prévoit la régularisation de 300 000 personnes par an pendant trois ans.
Parallèlement, un projet de loi, qui doit encore être débattu au Parlement, vise à régulariser 470 000 migrants en situation irrégulière arrivés avant fin décembre 2024.
L'objectif principal : soutenir la croissance économique et le système de retraite.
Les migrants représentent 13,5 % de la main-d'œuvre espagnole et 40 % des nouveaux emplois en 2024, notamment dans le bâtiment, l'agriculture et le secteur de la santé.
La nouvelle politique de Madrid vise à répondre à la pénurie de main-d'œuvre et au vieillissement de la population.
Ce phénomène concerne toute l'Union européenne, où la population en âge de travailler diminue d'un million de personnes par an.
Entre 2019 et 2023, les travailleurs étrangers ont occupé les deux tiers des nouveaux emplois.
On estime que l'UE compte entre 2,6 et 3,2 millions de migrants en situation irrégulière.
Parmi eux, Lorena Flechas, 31 ans, est arrivée en Espagne depuis la Colombie en mars dernier, avec son mari et leur fille Sol.
« Dans mon pays, il y a actuellement beaucoup de conflits, des bombardements, des enlèvements. Alors, je me suis dit : ‘Non, je ne peux pas laisser ma fille, ma famille, dans cette situation.’ », explique Lorena.
« Mon premier choix était le rêve américain, les États-Unis. Mais je n'ai pas obtenu de visa. J'ai aussi pensé à traverser la frontière, mais je ne voulais pas mettre la vie de ma fille en danger. »
Les ressortissants de la plupart des pays d'Amérique latine, dont la Colombie, n'ayant pas besoin de visa pour entrer dans l'Union européenne.
Lorena et son mari ont opté pour l'Espagne, où réside déjà la famille de la jeune femme.
Le couple a entamé les démarches pour obtenir un permis de séjour et le droit de travailler en Espagne.
« Ma fille est encore très jeune et elle a besoin d'une bonne éducation pour réussir sa vie. Mon bébé qui va bientôt naître mérite aussi de grandir dans les meilleures conditions », explique Lorena, qui rêve d'acheter un jour sa propre maison en Espagne.
En attendant, la famille vit grâce aux petits boulots que trouve son mari et avec l'aide de l'association AESCO, qui soutient les migrants tant matériellement qu'en les aidant à régulariser leur situation.
La majorité des bénéficiaires d'AESCO viennent d'Amérique latine.
« Actuellement, il faut entre 2 et 7 ans pour obtenir tous les documents nécessaires à une intégration complète », explique Andrés Gaviria, président d'AESCO. « La nouvelle réforme accélérerait considérablement ce processus. C'est indispensable pour permettre à un grand nombre de personnes de sortir de l'économie informelle. On estime que cinq à six personnes sur dix venant d'Amérique latine sont diplômées. Elles constituent une main-d'œuvre qualifiée pour des secteurs où le marché du travail européen est en demande. »
L'immigration est aujourd'hui essentielle au marché du travail et à l'avenir démographique de l'Espagne, souligne Claudia Finotelli, sociologue et professeure à l'Université Complutense de Madrid.
« Entre 2022 et 2024, 5,2 millions de emplois ont été créés ; 75 % de ces emplois sont occupés par des personnes de double nationalité ou des étrangers », précise-t-elle.
Le précédent programme de régularisation de 2005 en Espagne a permis de générer 4 000 € de cotisations de sécurité sociale par migrant, tandis que plus d'un million de personnes ont obtenu un statut légal depuis 2009 grâce à un programme de régularisation individuel.
Si le modèle espagnol contraste fortement avec la stratégie européenne, qui privilégie les expulsions, « des mesures similaires ont été prises dans plusieurs pays de l'UE », souligne Claudia Finotelli, comme au Portugal, en Italie ou en Allemagne.
« La Banque centrale européenne a clairement indiqué, dans un rapport publié en mai dernier, que l'Union européenne fait face à une pénurie de main-d'œuvre. En Europe, 50 % des emplois créés ces dernières années sont le fruit de la contribution des migrants. Cela constitue un facteur essentiel de croissance économique et de dynamisme du marché du travail, à un moment où la population vieillit et où les baby-boomers vont bientôt prendre leur retraite », conclut la sociologue.
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