Propagande pro-russe : les noms de vrais journalistes sont usurpés pour de faux articles
Les affirmations falsifiées, les citations fabriquées et les reportages inexacts peuvent nuire à la crédibilité d'un journaliste voire compromettre leur carrière. Mais que se passe-t-il lorsqu'un journaliste trouve son nom et sa photo sur un article qu'il n'a jamais écrit ?
Cette situation est de plus en plus fréquente, dans le cadre de campagnes orchestrées par des acteurs de la désinformation pro-russe - dont certains font partie de l'opération Storm-1516, un groupe de propagandistes russes qui diffuse en ligne de faux récits sur l'Ukraine et l'Occident.
"Je n'ai jamais écrit cet article"
Romain Fiaschetti, journaliste spécialisé dans le divertissement dans le sud de la France, s'est retrouvé au cœur d'une telle campagne. En juin, il a reçu une demande Facebook inattendue - qu'il a présumé être un spam - de la part d'une gynécologue basée à Paris.
Elle lui demandait s'il avait bien publié un article qui affirmait qu'Orano, une entreprise française de traitement des déchets nucléaires, soudoyait secrètement des fonctionnaires arméniens pour qu'ils prennent en charge les déchets français.
"J'ai vu mon nom et ma photo sur le titre de l'article, mais je ne l'ai jamais écrit", explique Romain Fiaschetti, journaliste pour le média de divertissement français Public.
Selon ce faux article, la société française aurait commencé à expédier des déchets toxiques en Arménie en juin, après avoir versé de l'argent à une fondation dirigée par Anna Hakobyan, l'épouse du Premier ministre arménien Nikol Pachinian.
Ces allégations sont toutefois fausses : la loi française interdit le transfert de déchets vers des pays étrangers, tandis que les autorités arméniennes et Orano ont démenti ces allégations.
L'article a été publié sur le site web CourrierFrance24, aujourd'hui suspendu. Bien qu'il soit difficile d'identifier l'origine exacte du site web, les affirmations ont été relayées par les médias azerbaïdjanais, ainsi que par une série de comptes pro-russes sur les réseaux sociaux, dont certains sont liés à Storm-1516.
De faux sites à l'apparence crédible
Les propagandistes feignent également la crédibilité en adoptant des noms similaires à ceux d'organes de presse réputés : CourrierFrance24 est une combinaison de Courrier International - un média qui traduit et publie des extraits de centaines de journaux internationaux - et de France 24, la branche internationale du radiodiffuseur public français.
"Le site original contenait cinq ou six pages d'articles portant mon nom", indique Romain Fiaschetti, et les titres de deux de mes collègues étaient également usurpés.
Dans les jours qui ont suivi, le journaliste a commencé à recevoir des messages de confrères azerbaïdjanais qui le félicitaient pour son "excellente enquête".
"J'ai eu peur de recevoir des menaces de la part de personnes mécontentes de l'article", explique Romain Fiaschetti. "J'ai publié des avertissements sur les réseaux sociaux pour avertir que je n'étais pas l'auteur de l'article et j'ai déposé une plainte auprès de la police pour usurpation d'identité, mais je ne sais pas si cela a abouti à quelque chose".
"Il y a quelques années, j'ai écrit des articles sur Poutine et sa femme, mais ce n'est pas mon domaine de prédilection, alors je ne comprends pas : pourquoi moi ?".
Les vérificateurs de faits en première ligne
Dans d'autres cas, ceux qui travaillent directement à la lutte contre la propagande pro-russe sont effectivement les premières cibles de l'usurpation d'identité.
Radu Dumitrescu est un journaliste roumain qui couvre la politique, notamment les interférences électorales en Roumanie et en Moldavie, pour Romania Insider. Il a donc été surpris de voir son nom associé à un article sur le type même de propagande qu'il s'efforce de combattre.
Portant sa signature, l'article publié en mai - et toujours en ligne - colportait la fausse allégation selon laquelle la présidente moldave Maia Sandu aurait détourné 2,6 millions de dollars de fonds de l'Agence des États-Unis pour le développement international (USAID).
Cet article s'inscrit dans une longue liste d'allégations de corruption qui ont visé la dirigeante avant les élections moldaves de septembre.
"Je sais que ce sont des choses qui arrivent, mais on ne s'attend jamais à ce que cela nous arrive à nous", a déclaré Radu Dumitrescu à Euronews, ajoutant : "Je ne me considère pas comme une voix aussi importante dans le paysage roumain, mais c'est peut-être en partie pour cela que j'ai été choisi".
"Malheureusement, nous n'avons pas encore entrepris d'action en justice pour faire fermer le site web ; notre équipe est petite. Nous n'avons pas vraiment les ressources nécessaires pour entamer ou maintenir une bataille juridique aussi longtemps, mais nous le ferons probablement si cela continue ou se répète", poursuit-il.
Cette tactique de propagande, qui consiste à prendre le contrepied des publications d'un journaliste, est récurrente.
Par exemple, Benoit Viktine, ancien correspondant à Moscou du journal français Le Monde, a découvert son nom dans un article qui affirmait que le président Emmanuel Macron aurait dépensé une fortune pour un bunker de guerre luxueux pour se préparer à la troisième guerre mondiale.
L'article a été publié sur un site web nommé "brutinfo[.]fr" - un nom qui imite le véritable organe de presse français "Brut".
Bien que Benoit Viktine n'ait jamais écrit d'article sur Emmanuel Macron, il avait en revanche publié un article sur le bunker dans lequel Vladimir Poutine s'est réfugié pendant la pandémie de COVID-19.
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