Exclusif : les habitants de l'Utah encore sous le choc après l'assassinat de Charlie Kirk sous leurs yeux

En rentrant de son travail à Orem, petite ville de l'Utah, David Young raconte à Euronews que le quartier est rempli de "toutes les confessions et tous les types de personnes, et à peu près tous les types de personnes que l'on peut imaginer".

"Mais c'est un quartier familial", ajoute-t-il rapidement.

Young est le maire de cette ville de 100 000 habitants qui s'est retrouvée au centre de l'attention médiatique mondiale la semaine dernière, lorsqu'un influenceur et commentateur conservateur a été abattu devant une foule nombreuse lors d'un événement à l'université de Utah Valley, sous leurs yeux.

Balayant d'un revers de main une collision évitée de justesse alors qu'il passait devant ses administrés, le maire avait l'air de digérer les événements de la semaine précédente.

"Je veux dire que nous avons rarement des meurtres. Nous n'avons pratiquement pas de crimes. Nous le voyons à la télévision, et nous voyons d'autres endroits où il y en a, mais ce n'est pas le cas ici. C'est tellement étranger."

Ses propos sont presque identiques à ceux du représentant local de l’État, Nelson T Abbott, qui s'est entretenu séparément avec Euronews.

"On entend parler de ce genre de choses dans le monde ou dans le pays, mais pas à Orem, dans l'Utah. Ce n'est pas la façon dont nous faisons les choses ici", a-t-il déclaré.

Les politiciens n'ont pas été les seuls à s'exprimer ainsi. Un habitant a déclaré qu'en dépit de sa taille, Orem "se considère comme une petite ville [...] une ville universitaire" dynamique et remplie de jeunes. Il a ajouté que cela ne faisait qu'ajouter au sentiment de choc.

À la suite du meurtre de Charlie Kirk, les deux camps politiques se sont engagés dans une guerre des mots qui ne cesse de s'intensifier, une échauffourée que les habitants d'Orem tentent d'ignorer.

"Cela ne représente pas notre communauté"

Au cours de la longue conversation qu'Euronews a eue avec le maire Young, celui-ci a admis que le rôle qu'il a assumé après la tuerie avait fondamentalement changé. Il était habitué à traiter avec les médias locaux, mais pas avec l'attention nationale, voire internationale.

Se décrivant comme un "politicien en théorie, mais pas en réalité", il avait voulu gérer la ville comme il avait géré son entreprise, mais les événements récents ont radicalement changé la donne. Young a évoqué une veillée pour Kirk, à laquelle il a pris la parole dans la ville et qui a rassemblé des milliers de personnes le 11 septembre, le lendemain de la fusillade.

"Plus de 3 000 personnes s'y sont rendues. J'ai donc pris la parole à cette occasion. C'était une expérience difficile parce que je n'avais jamais prononcé un discours devant une telle foule de jeunes gens et je n'avais jamais vu la tristesse sur leurs visages et les larmes dans leurs yeux".

Le maire a appelé à l'unité, tout comme le député représentant la ville à Washington, Mike Kennedy, qui a parlé en exclusivité à Euronews et a soutenu que "l'histoire de l'Amérique a toujours été l'histoire de gens qui, bien que profondément divisés, ont choisi l'unité plutôt que l'amertume, l'espoir plutôt que le désespoir".

Un habitant nommé Robert a déclaré à Euronews que la ville s'était sentie relativement unie à la suite de l'attentat. "Tout le monde est triste qu'un homme qui est un père et un mari et qui essayait de faire ce en quoi il croyait ait été abattu de façon insensée à dix pâtés de maisons de chez nous".

Les hommes politiques de l'Utah, à tous les niveaux, ont souvent évité le vitriol du débat national et en ligne. Le gouverneur de l'Utah, Spencer Cox, a été félicité par les habitants, ainsi que par les républicains et, bien que plus discrètement, par les démocrates, pour sa réaction, qui a appelé au calme.

Dans les rues d'Orem, en tout cas, le représentant de l'État Abbott a laissé entendre que les gens avaient tenu compte de ces appels. "Les enfants continuent de jouer dans la rue. On voit des étudiants marcher sur la route ou faire du vélo. Les gens ne voient pas vraiment le monde différemment".

"Notre réponse à cette tragédie a été de nous serrer les coudes et de poursuivre cette histoire (d'unité)", a conclu Mike Kennedy.

Pourtant, il n'est pas nécessaire de s'éloigner de la ville pour trouver une image moins cohérente.

Beaucoup de colère et de souffrance

À quelques dizaines de kilomètres au nord, dans la capitale de l'État, Sahara Hayes, représentante démocrate principale de l'État, donne une image très différente.

"C'est un peu effrayant d'être démocrate dans l'Utah en ce moment", explique-t-elle à Euronews, décrivant les messages vocaux "chargés d'injures" et même les menaces de mort qu'elle et ses collègues ont reçus au cours des jours précédents.

Bien qu'il s'agisse aujourd'hui d'une pratique courante pour les politiciens des deux bords, elle affirme que le volume des abus et l'extrémisme de leur contenu étaient "sans précédent".

Dans des messages transmis à Euronews, une personne a accusé la représentante de l'État - qui est la seule députée ouvertement gay et fait partie d'une infime minorité de démocrates au sein de l'assemblée législative de l'Utah - et ses pairs d'être des "meurtriers, pédophiles, bizarres ... partisans des droits des homosexuels".

Le parti démocrate représente moins de 20 % de l'ensemble du corps législatif. Un autre a demandé une loi au nom de Charlie Kirk pour rétablir les exécutions publiques à l'extérieur de l'assemblée législative, offrant des conseils sur la façon de construire des potences.

La représentante Hayes a ajouté qu'elle et d'autres membres de la communauté LGBTQ+ de l'État s'étaient sentis particulièrement visés, en raison des articles qui circulaient dans les médias sur la relation du tireur avec son colocataire, qui est transgenre.

"Je pense qu'il est regrettable que le colocataire de Tyler Robinson soit mêlé à cette affaire, car nous ne savons même pas s'il a fait son coming-out auprès de sa famille. On a vraiment l'impression que c'est un récit ciblé parce qu'ils n'ont tiré sur personne", s'est-elle interrogée.

Dans le même ordre d'idées, elle a évoqué le langage de Kirk à l'égard de la communauté LGBTQ+ et s'est inquiétée du fait que des personnes étaient ciblées parce qu'elles croyaient en son opinion selon laquelle il était "normal de ne pas pleurer quelqu'un qui a activement lutté contre votre propre humanité".

Selon la représentante de l'État, la responsabilité en incombe à l'administration Trump, dont le langage, selon elle, "attise les flammes", soulignant l'annulation de la populaire émission de fin de soirée animée par Jimmy Kimmel après qu'il a critiqué la réaction discrète de Trump à celle de Kirk dans un monologue comique.

Elle n'était pas la seule. Michael, qui se décrit comme un conservateur issu d'une famille libérale, a fréquenté l'université de Utah Valley et est "d'accord avec 75 % de ce qu'a dit Kirk".

Il a cité la procureure général Pam Bondi, qui a déclaré qu'elle "ciblerait absolument" ceux qui propagent un "discours de haine" à propos de Kirk.

Même le représentant Abbott s'est montré ferme dans sa conviction que "le gouvernement n'a aucun rôle à jouer dans la poursuite, l'inculpation ou l'action contre les personnes qui ont fait des commentaires inappropriés et qui ont tourné en dérision" son assassinat.

Les représentants de l'administration Trump, notamment le vice-président JD Vance - un ami proche de Kirk - ont également appelé à l'unité nationale à la suite de l'assassinat de Kirk.

Vance lui-même a déclaré qu'il en avait "désespérément besoin" lorsqu'il a animé le podcast Charlie Kirk Show lundi.

Toutefois, le vice-président américain a également déclaré que les personnes qui célèbrent l'assassinat de Kirk doivent être dénoncées et tenues pour responsables.

"Il faut les dénoncer, et même appeler leur employeur", a déclaré le vice-président américain. "Nous ne croyons pas en la violence politique, mais nous croyons en la civilité".

Pendant ce temps, à Orem, la question de la liberté d'expression a été éclipsée par un autre amendement constitutionnel.

Un appel aux armes ?

Pour ses 100 000 habitants, la ville d'Orem compte quatre armureries. Comme l'a déclaré le maire, "les gens possèdent des armes ici. Je possède des armes et nous croyons au deuxième amendement. Nous chassons beaucoup. Nous les voulons aussi pour nous protéger".

Michael organise des cours de maniement des armes, y compris pour les enfants. "Tout le monde dans la rue possède une arme à feu et nous allons régulièrement tirer. C'est juste une activité de quartier", a-t-il déclaré à Euronews.

Euronews s'est entretenu avec des représentants des quatre magasins, dont trois ont fait état d'une augmentation des ventes à la suite de la fusillade à l'université d'Utah Valley.

Gunnies et Ready Gunner, qu'un représentant d'un magasin concurrent a qualifié de "magasins de proximité pour les armes", ont déclaré que l'augmentation de l'activité était "significative".

"Nous avons probablement vendu deux fois plus d'armes à feu que d'habitude la semaine dernière, presque exclusivement des armes de poing dissimulables", a déclaré un représentant du magasin à Euronews, ajoutant qu'il s'agissait d'un groupe démographique différent.

"Je dirais que 80% de nos clients ont 40 ans et plus. La semaine dernière, la moitié des personnes qui ont franchi les portes du magasin avaient moins de 25 ans. La quasi-totalité d'entre eux étaient des étudiants", affirment-ils.

"Cela a changé le point de vue de beaucoup de nos clients, qui ont compris que des choses comme la fusillade de Kirk se produisent partout, ce qui a ouvert les yeux de beaucoup de gens".

Les cours de Michael sont désormais complets.

Quand Euronews a parlé à quelqu'un de Ready Gunner, il a raconté une histoire similaire. "Oh oui, les ventes ont beaucoup augmenté", s'exclame-t-on, avant de sonner la charge. "Je ne peux pas parler maintenant, je suis tellement occupé à vérifier les antécédents des nombreux nouveaux clients", a déclaré le représentant.

Le centre de recherche Pew, basé aux États-Unis, a publié cette année un rapport indiquant que 47 000 personnes sont mortes de blessures liées à des armes à feu aux États-Unis en 2023, dernière année pour laquelle des données annuelles complètes sont disponibles. Dans l'Union européenne, qui compte environ deux fois plus d'habitants, ce chiffre est légèrement inférieur à 7 000.

Pourtant, dans l'Utah, où près de la moitié des habitants posséderaient une arme à feu, rares sont ceux qui considèrent les armes comme le problème. Même la législatrice démocrate a fait référence à des mesures de "sécurité des armes" plutôt qu'à une interdiction pure et simple.

Elle a toutefois déclaré que "Charlie Kirk serait probablement encore en vie si le tueur avait eu un couteau, n'est-ce pas ?"

"S'il l'avait attaqué sur la scène, il serait encore là", estime-t-elle.

À Orem, le maire Young n'est pas d'accord.

"Je ne pense pas que cela aurait fait la moindre différence, parce que c'est ce que le tireur voulait bien faire".