Crise politique en France : quels scénarios après la démission de Sébastien Lecornu ?

La France se retrouve dans une nouvelle période de turbulence politique après la démission surprise de Sébastien Lecornu lundi, ce qui fait de lui le chef de gouvernement ayant exercé le mandat le plus éphémère de la Ve République.
Malgré sa démission, Sébastien Lecornu n’a pas totalement quitté la scène politique. L’Élysée a annoncé qu’Emmanuel Macron lui avait demandé de mener ce qu’il a appelé d'"ultimes négociations" afin de sortir de la crise avant mercredi soir.
La présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, le président du Sénat, Gérard Larcher, le patron de Renaissance, Gabriel Attal, l'ancien Premier ministre, Édouard Philippe, et le chef des députés MoDem, Marc Fesneau, ont été reçus par Sébastien Lecornu à Matignon, ce mardi 7 octobre.
Dans un message publié sur X lundi soir, le Premier ministre démissionnaire a confirmé avoir accepté cette mission, déclarant : "Je dirai au chef de l’État mercredi soir si cela est possible ou non, afin qu’il puisse en tirer toutes les conclusions qui s'imposent."
Emmanuel Macron s’est ainsi offert quelques jours supplémentaires avant de prendre une décision définitive, mais son entourage a laissé entendre que, si les négociations échouaient, il "prendrait ses responsabilités".
Ajoutant à l’impasse, Sébastien Lecornu a déjà indiqué au président qu’il n'accepterait pas le poste de Premier ministre même si les négociations aboutissaient.
Il a été le cinquième Premier ministre sous Emmanuel Macron depuis 2022 et le troisième depuis les élections législatives anticipées de l’été dernier.
Ces élections ont laissé la France avec une Assemblée nationale sans majorité, divisée en trois blocs : l’alliance centriste du président, une coalition de gauche et le Rassemblement national et ses alliés.
La crise politique est aussi une crise financière. Le déficit de la France était proche de 6 % du PIB en 2024 — le double de la limite fixée par l’UE — et sa dette figure parmi les plus élevées du bloc.
Faire adopter un budget d’austérité par cette Assemblée fragmentée a déjà coûté leur poste à deux des prédécesseurs de Sébastien Lecornu, et ce dernier a rapidement compris qu’il subirait le même sort.
Les réactions aux premières nominations de son gouvernement l’ont confirmé. En reconduisant de nombreuses personnalités dimanche soir, Sébastien Lecornu a irrité aussi bien ses alliés que ses opposants.
Les Républicains ont estimé que ces choix ne représentaient pas la "rupture" promise, tandis que d’autres y ont vu la preuve qu’Emmanuel Macron refusait tout compromis avec les autres partis.
Désormais, la responsabilité incombe pleinement au chef de l’État français. Voici les différents scénarios de ces prochains jours.
Nommer un nouveau Premier ministre
La première étape serait de nommer un autre Premier ministre. En théorie, Emmanuel Macron pourrait tenter de nouveau avec quelqu’un de son alliance, mais la chute rapide de Sébastien Lecornu a montré les limites de cette approche.
Tout gouvernement dirigé exclusivement par son camp risque de rencontrer la même hostilité des autres partis à l'Assemblée.
Une alternative serait de chercher au-delà de sa base, en nommant une figure de l’opposition, pour une cohabitation.
Le ministre démissionnaire de l'Intérieur, Bruno Retailleau, s'est dit ouvert à un "gouvernement de cohabitation" sur CNews ce mardi.
Une partie de la gauche, notamment le Parti socialiste, espère également une cohabitation et revendique Matignon.
Dans un communiqué publié lundi après-midi, le PS a précisé qu’il n’appelle "ni à une dissolution, ni au départ du chef de l’État". Le parti estime que "la priorité doit être donnée à la gauche et aux écologistes pour gouverner".
Cependant, cela comporte des risques importants. Une nomination de gauche obligerait probablement Emmanuel Macron à faire des compromis sur certaines réformes, notamment sur celle des retraites.
Choisir quelqu’un à droite pourrait, en revanche, aliéner la gauche et provoquer de nouvelles motions de censure.
De plus, la fonction de Premier ministre est de plus en plus perçue comme un cadeau empoisonné. Avec l’élection présidentielle de 2027 qui se profile, peu veulent risquer leurs chances en acceptant ce poste.
Dissoudre à nouveau l’Assemblée nationale
Constitutionnellement possible depuis que le délai d’un an après la dernière dissolution est écoulé. En cas de nouvelle dissolution, les électeurs retourneraient aux urnes dans un délai de 20 à 40 jours.
Pourtant, de nouvelles élections risqueraient de reproduire les mêmes divisions, voire de renforcer l'extrême droite.
De leur côté, les élus du Rassemblement national ne veulent plus se contenter de compter les sièges, mais souhaitent les remettre en jeu.
Marine Le Pen, qui réclamait déjà une dissolution avant la nomination de Sébastien Lecornu, la juge désormais "absolument incontournable". "On est au bout du chemin, il faut que ça cesse", a-t-elle déclaré lundi.
Elle-même ne pourrait toutefois pas se présenter en cas de législatives anticipées, en raison de sa condamnation à une peine d’inéligibilité avec exécution provisoire en première instance pour l'affaire des assistants parlementaires.
Les élections législatives anticipées de 2024 ont été largement considérées comme une erreur de calcul.
Le président a toujours exprimé sa réticence à parier sur une nouvelle dissolution, mais si le blocage persiste et qu’aucun budget n’est adopté, il n'aura pas d'autre choix.
Emmanuel Macron démissionne
Une possibilité plus radicale serait qu'Emmanuel Macron démissionne, comme le réclament certains partis de l’opposition.
Même son ancien Premier ministre Edouard Philippe, invité mardi sur RTL, a demandé au président de la République d'organiser une "élection présidentielle anticipée" après l'adoption du budget.
L'annonce d'une présidentielle anticipée pour début 2026 "serait de nature à donner un peu de visibilité à tout le monde", a dit Edouard Philippe, lui-même candidat à la présidentielle.
En cas de démission, la Constitution prévoit que le président du Sénat, Gérard Larcher, assure l’intérim, avec une nouvelle élection présidentielle organisée dans un délai de 20 à 50 jours.
Cependant, ce scénario reste peu probable. Emmanuel Macron a répété à plusieurs reprises qu’il irait jusqu'au bout de son mandat en 2027.
La destitution du président
Une étape encore plus radicale serait une destitution. Ce scénario est surtout défendu par le parti de gauche radicale La France Insoumise (LFI).
Pour tenter de le pousser à quitter l’Élysée, LFI a réclamé lundi "l’examen immédiat" à l’Assemblée nationale de sa motion de destitution du chef de l’État, après une première tentative en septembre 2024, largement rejetée en commission.
La réforme constitutionnelle de 2007 prévoit bien une voie légale : en cas de "manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat", le président peut être destitué. Mais la procédure est extrêmement complexe et n’a jamais abouti.
Qu'en est-il du budget ?
Pour l’instant, la France est dirigée par un gouvernement démissionnaire. Comme après la chute du gouvernement de François Bayrou en septembre, Sébastien Lecornu et ses ministres ne peuvent gérer que les affaires courantes.
Ils ne peuvent ni introduire de réformes majeures ni procéder à des nominations significatives.
Cela signifie que la tâche la plus urgente de la France — l’adoption du budget 2026 — ne peut être avancée par Sébastien Lecornu.
Sa démission a rendu obsolète la présentation du budget prévue, et un nouveau gouvernement devra désormais rédiger et défendre un nouveau projet de loi de finances.
Selon la loi française, le projet devrait être soumis avant le 13 octobre pour laisser le temps au débat et à l’examen constitutionnel.
Mais ce délai est impossible à respecter, même si un nouveau Premier ministre est nommé rapidement, car la préparation d’un budget révisé peut prendre des semaines.
Une solution de repli serait l’adoption d’une "loi spéciale" qui prolonge temporairement le budget de l’année précédente, comme fut le cas en 2025.
Cela permettrait à l’État de continuer à financer les services publics pendant que les négociations politiques se poursuivent.
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