Le RN souhaite la réouverture de maisons closes tenues par des travailleuses du sexe
Les maisons closes vont-elles faire leur retour en France ? C'est en tout cas le souhait de Jean-Philippe Tanguy qui souhaite "ouvrir le débat". En commission des finances, ce lundi 8 décembre, le député du Rassemblement national a proposé la réouverture de ces lieux, "mais tenus par les prostituées elles-mêmes, en mode coopératif".
"Quand j'étais jeune, j'ai un peu participé au travail du Bus des femmes au bois de Boulogne", association permettant l'accès aux droits et aux soins de personnes en situation de prostitution. "J’ai alors vu la précarité, la souffrance, l’horreur quotidienne que vivaient ces femmes", a-t-il expliqué pour justifier sa position.
Dans les colonnes du Monde, Jean-Philippe Tanguy a déclaré que la législation avait rendu la vie des travailleurs du sexe plus précaire et plus dangereuse en poussant le commerce dans la clandestinité par le biais de la criminalisation des clients. "Elles sont battues, parfois égorgées, et personne n'en parle. Le système actuel est le summum de l'hypocrisie bourgeoise", a-t-il assuré.
La proposition, qui a été très légèrement commentée, a été défendue, le lendemain, par Sébastien Chenu. Le vice-président du RN a assuré qu'il ne s'agissait pas de "la réouverture des maisons closes telles qu'on l'imagine". Devant les journalistes, il a assuré que le sujet est apparu "au détour d'une conversation", mais que ce n'était pas "un sujet d'urgence".
Pour le parti d'extrême-droite, le texte devrait permettre "aux prostituées de se mettre dans une sorte de coopérative où elles géreraient elles-mêmes un endroit qu'elles définiraient et qui leur donneraient également des droits sociaux qu'elles n'ont pas aujourd'hui, notamment pour la retraite", a précisé Sébastien Chenu.
"La seule solution, c'est que les prostituées soient leurs propres patronnes, qu'elles soient impératrices dans leur royaume", a défendu Jean-Philippe Tanguy, sur RTL. Ce dernier a réfuté l'idée qu'il s'agissait de "donner le pouvoir à une forme de proxénétisme ou d'esclavage humain".
Une proposition très largement critiquée
Mais ce possible projet de loi du Rassemblement national est loin de faire l'unanimité. Djohar Elkou, porte-parole du Syndicat du Travail Sexuel (Strass), juge que la sortie de Jean-Philippe Tanguy est "un effet d'annonce" et que les termes utilisés, comme celui de maison close, "prouvent la méconnaissance" du RN sur ce sujet.
Le Syndicat, qui lutte contre la criminalisation du travail sexuel et pour l’application du droit commun aux travailleurs et travailleuses du sexe (TDS), regrette que le parti à la flamme n'ait pas consulté les principaux concernés avant de s'emparer du sujet.
Le Strass appelle à réfléchir pour que les travailleurs et travailleuses du sexe "puissent travailler librement, avoir accès au droit commun... Tout simplement exercer une activité de manière légale", a-t-il assuré à Euronews. "Cet accès au droit commun, nous le réclamons depuis des années. Mais si ce n'est pas un accès via le salariat, notamment, qui nous rendrait totalement dépendants d'un patron, ça ne servirait à rien", poursuit-il.
Enfin, Djohar Elkou, qui assure ne pas vouloir être "complice" du Rassemblement national, dit son appréhension quant à la possible instrumentalisation de la prostitution par le parti. "Le RN souhaite que les TDS français puissent exercer sans problème. Et qu'inversement, le cadre légal exclut les TDS étrangers pour pouvoir les renvoyer chez eux. Instrumentaliser l'accès aux droits de certaines TDS pour pouvoir mieux pourchasser les autres, c'est évident que nous sommes totalement contre", explique-t-il.
L'association EACP, qui lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains, se dit farouchement opposé à la réouverture des maisons closes, car cela reviendrait à "déposer l'idée que le corps des femmes doit être accessible à tous moments aux hommes". "La base de la prostitution, c'est la violence", assure la présidente Lucile Mercier, qui milite pour l'abolition totale de la pratique. L'association "lutte contre la marchandisation des corps" et estime que la prostitution est "négative pour l'ensemble de la société", précise-t-elle à Euronews.
Selon elle, les maisons closes ne résoudraient pas le problème de violences dont sont victimes les travailleuses du sexe. Elle prend alors l'exemple de l'Allemagne, des Pays-Bas ou de la Nouvelle-Zélande, qui ont mis en place ce système, mais où "les taux de violences et homicides envers les prostituées sont très largement supérieurs à celui de la France".
Lucile Mercier cite ensuite Jean-Philippe Tanguy qui a assuré qu'il n'y aurait pas, dans ces lieux, de proxénètes et que les femmes pourraient s'organiser entre elles. "Mais le nombre de femmes proxénètes est loin d'être négligeable. Donc on ne comprend pas bien où il veut aller", assure-t-elle.
Elle met également en avant la situation des prostituées étrangères. "Ces maisons seraient ouvertes aux personnes en situation régulière", mais cela ne changerait pas le quotidien de celles en situation irrégulière. "Je ne pense pas qu'ils [le RN] feront grand-chose pour les étrangères", termine-t-elle.
40 000 personnes en situation de prostitution
En France, les maisons closes sont interdites depuis 1946 et la loi Marthe Richard, du nom d'une ancienne prostituée et ex-agent double lors de la Première Guerre mondiale.
En 2016, une loi a été adopté reconnaissant alors les travailleuses du sexe comme victimes de violences. La loi a renforcé "la lutte contre le système prostitutionnel", écrit le ministère chargé de l'Égalité entre les femmes et les hommes. Elle a notamment abrogé le racolage passif, qui avait été instauré en 2003 et pénalisait les travailleuses du sexe.
Depuis son adoption sous la présidence de François Hollande, 2 102 personnes ont pu bénéficier d'un parcours de sortie de la prostitution. Le 31 décembre 2024, 903 autres personnes étaient en parcours de sortie, a indiqué le ministère.
En 2024, quelque 40 000 personnes étaient en situation de prostitution en France, a indiqué le ministère, et 97 % des victimes sont exploitées dans un réseau de proxénétisme.
La même année, l'Observatoire national des violences faites aux femmes a recensé 1 579 victimes de proxénétisme ou de recours délictuel à la prostitution enregistrée. 94 % de ces personnes étaient des femmes ou des filles et 42 % des victimes étaient mineures.
La loi de 2016 a surtout permis la pénalisation des clients. Dans son rapport, l'Observatoire a recensé 1 226 mises en cause pour recours à la prostitution en 2023 et 492 condamnations pour proxénétisme ou recours à la prostitution la même année. 1 146 personnes ont également été verbalisées pour achat d'actes sexuels en 2024.
En Europe, le débat sur la manière d'aborder le travail du sexe fait rage depuis des décennies, en particulier depuis le début des années 2000, lorsque les Pays-Bas ont commencé à réglementer la prostitution. En 2022, la Belgique est devenue le seul pays d'Europe à dépénaliser le travail du sexe, tandis que les Pays-Bas, l'Allemagne et l'Autriche ont tous une forme de légalisation de la prostitution.
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