La loi Duplomb, ou la chronique d'une vie politique encalminée

Par AFP Par Baptiste PACE © 2025 AFP

Une loi agricole partiellement censurée, un parcours législatif chaotique, une pétition de protestation à plus de 2 millions de signatures, un "combat" qui "continue" de part et d'autre, des polémiques sur le Conseil constitutionnel: l'épisode de la loi Duplomb illustre le blocage latent de la vie politique française, depuis la dissolution.
Emmanuel Macron n'a mis que quelques minutes, jeudi, pour faire savoir qu'il entendait rapidement promulguer la loi Duplomb après la décision du Conseil constitutionnel, écartant toute nouvelle délibération du Parlement. La censure de la disposition la plus controversée - la réintroduction d'un pesticide interdit de la famille des néonicotinoïdes - lui ôte le poids de trancher cette épineuse question, qui a viré au feuilleton politique estival.
Même tonalité chez Jean-Luc Mélenchon (LFI) qui prône d'"élargir et d’étendre le combat sur ces nouvelles bases déjà jusqu’à l’abrogation complète de la loi".
Côté partisans de la mesure, le sénateur LR Laurent Duplomb envisage de déposer un autre texte, soutenu par le syndicat agricole FNSEA qui a jugé "inacceptable et incompréhensible" la décision du Conseil.
François Bayrou ne s'est pas exprimé. En déplacement en Charente-Maritime, il avait semblé prendre ses distances quelques heures avant la décision, soulignant que cette loi était une "initiative parlementaire"... néanmoins soutenue par son gouvernement.

Ou presque: "socle commun" oblige, ses ministres sont divisés. Agnès Pannier-Runacher (Ecologie, Renaissance) a rappelé son opposition à la "fausse solution" de la réintroduction de l'acétamipride quand Annie Genevard (Agriculture, LR), tout en prenant "acte", déplore la "concurrence inéquitable" avec les agriculteurs européens.
L'épisode vient abonder la chronique d'un pouvoir politique déréglé depuis la dissolution de l'Assemblée et les législatives de juin-juillet 2024.
Avec les ingrédients désormais habituels: un gouvernement qui privilégie les textes d'origine parlementaire, s'appuie essentiellement sur le Sénat pour contourner son absence de majorité à l'Assemblée où il s'essaie à des manœuvres tactiques, comme le vote de motions de rejet sur des textes que pourtant, il soutient, afin d'abréger les débats face à "l'obstruction" des oppositions. Jusqu'au Conseil constitutionnel parfois sciemment convoqué en juge de paix, comme pour la loi immigration de 2024.
Conseil constitutionnel ciblé
A cet ordinaire est venu s'ajouter un impromptu estival: une pétition lancée par une étudiante contre la loi Duplomb a recueilli le nombre record de 2,1 millions de signatures contre un texte adopté par le Parlement. Pulvérisant le seuil de 500.000 signatures ouvrant la voie à un débat à l'Assemblée, possiblement organisé à la rentrée.
"La voix du peuple compte. Elle est légitime. C’est là que commence le vrai travail", a réagi jeudi l'intéressée, Éléonore Pattery.

Un avertissement pour le pouvoir politique sur fond de défiance envers les institutions et alors que fleurissent sur les réseaux sociaux des appels à "bloquer" le pays le 10 septembre, notamment pour protester contre les économies annoncées par François Bayrou. Un contexte qui évoque les "Gilets jaunes" de 2019.
La séquence ravive également le clivage autour du rôle du Conseil constitutionnel, fortement critiqué par la droite et l'extrême droite.
"En se comportant comme un législateur alors qu'il n'en détient pas la légitimité démocratique, le Conseil constitutionnel scie la branche sur laquelle il est assis", a réagi Marine Le Pen.
"Le niveau d’ingérence des juges constitutionnels devient un vrai problème pour notre démocratie", a renchéri Laurent Wauquiez (LR), qui a également critiqué la censure du texte allongeant la durée de maintien en centre de rétention administrative (CRA) des étrangers présumés dangereux, porté par le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau.
Des critiques qui "portent atteinte à l’Etat de droit, à la séparation des pouvoirs et à notre ordre constitutionnel", a réagi Manuel Valls, tandis que l'ancien Garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti a rappelé que Laurent Wauquiez avait voté en 2005 l'adossement de la Charte de l'Environnement à la Constitution, voulue par Jacques Chirac et sur laquelle s'est appuyée jeudi l'institution de la rue de Montpensier.
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