Les drive-in, un symbole du cinéma américain en sursis

Par AFP Par Pierre HARDY © 2025 AFP

Installés derrière le volant de leur voiture ou à l'arrière de leur pick-up, un cornet de pop-corn à portée de main, les spectateurs du Family Drive-In regardent l'immense écran prendre vie sous le ciel étoilé de Virginie, dans l'est des Etats-Unis.
En cette soirée automnale, la projection a un goût particulier: elle pourrait être l'une des dernières dans ce cinéma en plein air réservé aux voitures, l'un des rares encore en activité dans la région de Washington, près de 70 ans après ses débuts.
"C'est très triste", déplore auprès de l'AFP Michelle Hutson, 52 ans, qui fréquente le drive-in depuis sa plus tendre enfance et y emmène désormais sa petite-fille.
"Je m'apprête à devenir grand-mère pour la seconde fois et ça me fend le coeur de penser que cet enfant pourrait ne pas connaître cette expérience".
Les propriétaires du terrain du Family Drive-In ont décidé il y a quelques mois de le mettre en vente. Le prix? 1,5 million de dollars, explique à l'AFP le patron du cinéma Andrew Thomas.
"Cela ferait plus que tripler notre loyer mensuel si on l'achetait aujourd'hui, avec le remboursement de l'emprunt. Ce n'est tout simplement pas faisable".
Pour tenter de sauver le cinéma, il a lancé début septembre une campagne de financement participatif qui a pour l'instant permis de récolter environ 30.000 dollars.
"C'est bouleversant, dans le bon sens du terme, de voir à quel point les gens tiennent à ce lieu. Même en période d'incertitude économique, cela montre que, pour eux, c'est quelque chose qui vaut la peine d'être sauvé", commente M. Thomas, pour qui il s'agit de "préserver un morceau d'histoire".
Fréquentation en baisse

Vestiges du siècle dernier, les drive-in ne sont plus qu'environ 300 aux Etats-Unis, "contre plus de 4.000 à leur apogée à la fin des années 1950", raconte à l'AFP l'historien du cinéma Gary Rhodes.
Leur déclin s'explique notamment, selon lui, par la démocratisation de la télévision et par le développement urbain, qui a fait augmenter la valeur des terrains.
Aujourd'hui, après un regain d'intérêt "temporaire" pendant la pandémie du Covid-19, "la fréquentation continue de baisser" et l'horizon semble s'être de nouveau assombri, constate M. Rhodes.
"Je pense que la majorité des drive-in qui sont encore là le sont grâce à la volonté de leurs dirigeants: s'ils existent encore, c'est par amour du métier", juge auprès de l'AFP D. Vogel, copropriétaire d'un drive-in de la côte est et vice-président de l'association des exploitants.
"Malheureusement, nous arrivons à un point où beaucoup veulent prendre leur retraite", regrette-t-il, craignant que "la route ne soit très difficile désormais", en raison notamment de la concurrence des plateformes de streaming.
Pour assurer la préservation des drive-in, son association a développé un site web pour mettre en relation des propriétaires qui souhaitent céder leur établissement avec des acheteurs potentiels.
"Nous avons été inspirés par de nouveaux propriétaires qui ont décidé de relever le défi. C'est ce qui nous donne foi dans le fait que cette activité peut avoir un avenir", se réjouit M. Vogel, saluant aussi la mobilisation des passionnés qui "contribuent à promouvoir la fréquentation des drive-in".
Mike White et Melissa Sims font partie de ces nouveaux exploitants.
Le couple a investi un demi-million de dollars pour lancer un nouveau drive-in en Louisiane, dans le sud du pays, qui devrait ouvrir à l'automne.
Un pari audacieux auquel ils continuent de croire dur comme fer, malgré les difficultés qui les ont poussés à reporter plusieurs fois l'inauguration.
"Nous avons interrogé beaucoup de gens avant de nous lancer, et 99% nous ont dit qu'ils seraient ravis de venir", affirme Mike White.
Pour sa compagne, "les drive-in représentent une période où ma famille était réunie et faisait des choses ensemble".
"C'est cela que nous voulons ramener dans cette communauté."
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