Kidnappings au Nigeria: à Lagos, les voyageurs prennent la route la peur au ventre
Par AFP © 2025 AFP
À la gare routière d'Iddo, à Lagos, la capitale économique du Nigeria, les voyageurs comme Rasheedat Eniola confient prendre la route avec une appréhension constante.
Cette aide-soignante de 29 ans doit se rendre dans l'État de Kano, dans le nord du pays, pour la remise de diplôme de sa sœur, mais la nouvelle vague d'enlèvements qui touche différentes parties du pays transforme les trajets routiers en source d'angoisse.
"Plus l'heure du départ approche, plus je m'inquiète. Je me demande sans cesse: est-ce que je fais le bon choix ? Est-ce que je devrais être ici ? Toutes les personnes à qui j’ai parlé me disent qu’elles n’ont pas l’argent pour payer une rançon" s'il leur arrivait quelque chose, explique-t-elle.
Le bus met plus de vingt-quatre heures pour rejoindre Kano, dans le nord du pays, traversant la plupart des Etats où ont eu lieu des enlèvements massifs au cours des dix derniers jours.
Si les 25 lycéennes de Maga et 50 élèves de Papiri ont retrouvé leur liberté, des dizaines de personnes restent toujours introuvables.
Hypervigilance
Le Nigeria est en proie à une insécurité persistante et les kidnappings sont courants, en particulier dans les zones rurales. Mais la vague d'enlèvements des derniers jours a augmenté les craintes des voyageurs.
Les ravisseurs ne revendiquent pas toujours les kidnappings. Dans le nord-ouest et le centre du pays, il s'agit généralement de "bandits", des gangs criminels qui pillent les villages, tuent leurs habitants ou les kidnappent pour obtenir des rançons.
"Il s'agit donc principalement de personnes qui luttent pour leur survie financière, et pas nécessairement en raison de leurs opinions islamistes", explique un rapport de SBM Intelligence, un cabinet de conseil basé à Lagos, publié en août.
Dans le nord-est, les enlèvement sont souvent le fait de jihadistes.
Le Nigeria face à une insurrection jihadiste depuis plus de seize ans, qui a fait 40.000 morts et plus de deux millions de déplacés, selon les Nations Unies.
Adamu Inusa, 61 ans, chauffeur du bus qui emmène Rasheedat Eniola vers Kano, décrit un climat d'hypervigilance permanente.
"Si quelque chose arrive, par exemple si je freine brusquement, ils [les passagers] sursautent, pensant que quelqu'un va les enlever ou qu'il y a un problème", explique-t-il.
Malgré la peur, il continue d'exercer. "Nous, les chauffeurs, nous sommes habitués et nous ne pouvons pas arrêter de travailler", déclare-t-il.
Selon Salomon Zachariah, responsable d'un service de transport, la fréquentation a nettement baissé.
"Nous faisions partir trois à quatre bus par jour ces derniers mois. Mais à cause de l’insécurité, de ces enlèvements, je pense que certaines activités se sont arrêtées", regrette-t-il.
Certains Nigérians renoncent à sortir de la capitale économique du Nigeria. C'est le cas de Waheed Shafe Omo Oba, conducteur de minibus à Lagos.
"Je ne peux pas quitter Lagos. Mais nous, à Lagos, nous sommes inquiets de ce qui se passe là-bas. Ne sont-ils pas des Nigérians ?", explique-t-il.
"Je me sens trahie"
"C'est devenu un business (les enlèvements). Quand vous enlevez quelqu'un et que vous demandez de l'argent contre sa libération, n'est-ce pas un business ?" poursuit-il.
Pour beaucoup de Nigérians, cette insécurité reflète l'incapacité de l'État à assurer leur protection.
"Je me sens trahie. J'ai l'impression que le gouvernement ne nous considère pas", déplore Rasheedat Eniola.
"Les filles de Chibok ont été kidnappées il y a des années, et nous savons ce que le pays a traversé pour tenter de les ramener. Voir la même histoire se répéter est vraiment dévastateur", dit-elle.
Le premier enlèvement de masse ayant marqué le Nigeri reste celui des lycéennes de Chibok, lorsque le groupe jihadiste Boko Haram a kidnappé 276 adolescentes dans le nord-est du pays en 2014.
Près de 90 d'entre elles sont toujours portées disparues.
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