Poussée russe à Koupiansk, situation énergétique critique... L'Ukraine doit-elle s'inquiéter du retour de l'hiver?
Par Séraphine Charpentier
L'armée russe a revendiqué ce jeudi 20 novembre la prise de la ville de Koupiansk, à l'est du pays. L'Ukraine fait face à une poussée russe constante ces derniers mois. Et elle s'apprête à affronter cinq mois d'hiver, alors que ses installations énergétiques et ses réseaux de transmission font l'objet d'un ciblage intense. "Ce que la Russie cherche à faire, c’est isoler toute la zone Est de l'Ukraine", explique une experte interrogée par TV5MONDE.
L'armée russe a revendiqué ce jeudi 20 novembre la prise de la ville de Koupiansk, à l'est du pays. L'Ukraine fait face à une poussée russe constante ces derniers mois. Et elle s'apprête à affronter cinq mois d'hiver, alors que ses installations énergétiques et ses réseaux de transmission font l'objet d'un ciblage intense. "Ce que la Russie cherche à faire, c’est isoler toute la zone Est de l'Ukraine", explique une experte interrogée par TV5MONDE.
Aux portes de l'hiver, son quatrième depuis l'invasion russe en février 2022, l'Ukraine veut tenir. Au-delà du froid qui s'annonce, c'est surtout le spectre d'une avancée des troupes russes et d'un pilonnage continu des infrastructures énergétiques qui inquiète. Ce jeudi 20 novembre, l'armée russe a annoncé la prise de la ville de Koupiansk après des semaines de combat. Une information que Kiev dément.
Sur les 1.000 kilomètres de front, l'armée russe exerce une poussée permanente. Pour autant, les gains territoriaux, de 200 à 300 kilomètres carré, ne sont pas tant significatifs, selon le général François Chauvancy. "Ces poussées ont lieu, elles se maintiennent dans la durée".
Sur le front, le retour des chars et du brouillard
À Koupiansk, il semblerait que des contre-attaques ukrainiennes "remettent en cause le contrôle général des russes sur la ville". La ville de Kostiantynivka, plus au centre, fait elle l'objet d'une "nouvelle poussée russe". Non loin, à Siversk, les Russes encerclent la ville. À Pokrovsk, où les combats font rage, "on est dans le flou", poursuit François Chauvancy.
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Enfin, à l'est de Pokrovsk, l'armée russe enregistre une progression, tout comme à Zaporijia. "Une fois que toutes ces villes sont dépassées par l'armée russe, les paysages de plaines arrivent". Et qui dit plaines, dit progression rapide, selon le général.
"On observe depuis trois-quatre semaines le retour des chars de combat, ce qui n’était plus le cas depuis des mois. Cela veut dire que le terrain permet la progression des chars et que la météo le permet aussi." Il semble que le brouillard de cette fin d'année, particulièrement présent, soit un allié précieux pour les Russes. Il les aurait aidé dans leur progression, raconte François Chauvancy.
Pour autant, l'Ukraine ne baisse pas les bras. L'expert militaire ne voit aucun des deux belligérants lâcher prise cet hiver. "Les Européens, l’Ukraine et la Russie de l’autre côté, se préparent à une guerre qui va dépasser 2026. À moins que d’un côté, il y ait un effondrement qu’on ne peut pas identifier aujourd’hui. Mais l’acharnement est réel, on se bat de chaque côté". Le général ne voit pas de changement de donne dans le conflit, tout au contraire, il entrevoit une guerre "qui va durer au moins un an, peut-être deux, on en sait rien".
Une situation énergétique critique y compris pour l'armée?
Cet automne, les coupures de courant dans les foyers atteignent jusqu'à 16 heures par jour. En cette fin d'année, la stratégie russe de frapper les installations électriques du pays semble s'intensifier. "Elle est beaucoup plus efficace et plus massive", observe auprès de TV5MONDE le général François Chauvancy. Malgré la résistance des forces armées ukrainiennes, la résilience des habitants et l'aide énergétique fournie par l'Europe, les cinq prochains mois comportent leur lot de risques pour le pays.
Depuis l'invasion russe en Ukraine le 24 février 2022, "Kiev a perdu entre 70 et 80% de sa capacité de production d'énergie", explique à TV5MONDE Annabelle Livet, chercheuse à la Fondation pour la recherche stratégique. L'ONU estime que 93% des infrastructures et des installations ont été endommagées ou détruites dans le secteur de l'énergie, contraignant Ukrenergo, l'opérateur du réseau électrique, à instaurer des coupures de courant sur presque tout le territoire en octobre.
La consommation d'électricité par les industries a été divisée par deux depuis 2022, quand la consommation électrique des foyers a baissé de 20%. Cette dernière représente désormais la "plus grande part de la demande globale" dans le pays, selon l'Agence internationale de l'energie. "L’Ukraine a besoin de 18 gigawatt (GW) par hiver, mais seulement 9 GW sont disponibles", détaille François Chauvancy.
L'Union européenne vient compenser seulement en partie ce manque à gagner avec 2 GW mais "elle ne peut pas faire plus car la capacité de transport électrique. Elle ne peut pas aller au-delà", continue le général. Des milliers de groupes électrogènes fournis par l'Union européenne viennent compléter la production d'électricité.
"Certainement pas suffisant" pour rétablir une sécurité énergétique pour François Chauvancy. Un point de vue contrebalancé par Annabelle Livet pour qui "l’UE a contribué énormément à la sécurité énergétique: s'il n'y avait pas eu tout ça depuis le début, le réseau ukrainien serait déjà tombé depuis longtemps".
"Le volume énergétique que l’on doit allouer à l’Ukraine montre qu’en Europe, il faut intégrer complètement la politique énergétique et notamment la capacité de produire de l’énergie sur le territoire européen, comme étant intégralement un effort de défense territorial pour aider les Ukrainiens".
Annabelle Livet, chercheuse à la Fondation pour la recherche stratégique
L'experte en sécurité énergétique reconnaît malgré tout les coûts faramineux de l'énergie engagés par l'Ukraine, pas tenables économiquement.
Couper le pays en deux d'un point de vue énergétique
En 2023, l'énergie nucléaire produisait un peu plus de la moitié de l'électricité consommée dans le pays, suivie par l'industrie du charbon à 23%, des énergies renouvelables à 9%, de l'énergie hydraulique à 7% et du gaz à 5%. L'Ukraine dispose de 15 réacteurs nucléaires, 300 mines de charbon, la plupart dans le Donbass, neuf grandes centrales hydroélectriques.
Un certain nombre de ces différentes infrastructures, comme la centrale de Zapporijia, le barrage de Kakhovka ou certaines mines de charbon, ont soit été détruites, soit récupérées par l'armée russe. Des "énormes îlots de capacité de production" en énergie sont désormais indisponibles, confirme Annabelle Livet de la Fondation pour la recherche stratégique.
Le réseau de transmission lui-même, "c'est-à-dire tous les câbles, tout ce qui permet de connecter les points de productions énergétiques aux points de consommation" sont eux aussi ciblés de manière intense par la Russie ces dernières semaines, appuie la chercheuse.
Elle souligne une tentative russe de couper le pays en deux d'un point de vue énergétique, avec l'ouest du pays maintenu grâce aux imports énergétiques venus de l'UE. De l'autre côté, à l'est, les infrastructures énergétiques sont ciblées et "cette zone a tendance à s’étendre. Ce que la Russie cherche à faire, c’est isoler toute la zone Est de l'Ukraine".
"Remettre en cause l'industrie d'armement"
Les foyers ukrainiens en subissent des coupures d'électricité récurrentes. Dans la destruction et le froid qui s'installe déjà, le quotidien attaque le moral du pays. "Il y a rien de plus déprimant que de détruire un pays et laisser un champ de ruine, y compris sur le plan énergétique. Cela démotive les troupes et la population et rajoute des coûts d’investissement pour la reconstruction", déclare Annabelle Livet.
Pourtant, la stratégie russe va plus loin que faire peser cette pression sur la population. "Il n’y a aucune guerre qui a montré qu’une population pourrait se révolter en cas de coupures énergétiques. Le vrai objectif, c’est surtout remettre en cause l'industrie d'armement ukrainienne qui fournit des armes aux combattants", commente François Chauvancy.
Sans infrastructures énergétiques pour fournir de l'énergie, les usines ne peuvent plus fonctionner. Il y a quinze jours, le président ukrainien Volodymyr Zelensky donnait la consigne d'exporter des armements venant d'Ukraine et d'ailleurs, poursuit le général, "ce qui veut dire qu’il y a aussi un besoin économique de produire des armes. Cela remet en cause tout le système économique de l’Ukraine en guerre".
Un point de vue nuancé par Annabelle Livet, pour qui les atouts "géographiques, territoriaux, de manufactures, de compétences" de l’Ukraine lui permettront de ne pas tomber en perdition, tout au plus, "cela ralentira son redécollage économique".
Absorber physiquement l'est de l'Ukraine par le biais énergétique
La chercheuse met en avant une autre stratégie russe. Avant la guerre, Moscou dominait le marché mondial des énergies, grâce à un tentaculaire réseau de gazoducs et d'oléoducs. Aujourd'hui, l'État exportateur d'énergie cherche à "reconnecter son système énergétique à l'Ukraine et notamment aux parties est du pays". "Elle le fera, c'est dans son intérêt", appuie Annabelle Livet.
C'est la particularité dans le domaine de l'énergie. Un pays a la capacité d'intégrer un espace géographique, "grâce aux interconnexions et aux infrastructures que vous interconnectez". "Ces interconnexions sont vraiment une intégration physique d'un territoire, d'un espace à un autre. La Russie, comme elle exporte, peut absorber des territoires et les interconnecter à sa propre géographie, à ses espaces", détaille l'experte en sécurité énergétique.
Historiquement, la Russie utilise son secteur de l'énergie comme un vecteur "permettant d'assoir son influence auprès des collectivités, des élus locaux, de tous les promoteurs de projet pour que ça puisse lui servir et créer une cohésion territoriale", abonde Annabelle Livet.
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