Commerce, diplomatie, engagement militaire... La Chinafrique, une coopération stratégique

Par Mylène Girardeau et Niagalé Bagayoko


L’Afrique est-elle menacée par les intérêts chinois ? Comment la présence militaire de la Chine protège ses intérêts sur le continent ? Décryptage avec Les Mots de la Paix.

L’Afrique est-elle menacée par les intérêts chinois ? Comment la présence militaire de la Chine protège ses intérêts sur le continent ? Décryptage avec Les Mots de la Paix.
31 décembre 2024, le président de la République populaire de Chine, Xi Jinping, adresse ses vœux aux Chinois et au reste du monde : « La Chine, en tant que grand pays responsable, promeut activement la réforme de la gouvernance mondiale et l'approfondissement de la solidarité et de la coopération entre les pays du Sud. (...) Le sommet de Pékin du Forum sur la coopération sino-africaine a été un franc succès. »
C’est en Afrique que le président Xi Jinping avait effectué son premier déplacement à l’étranger après son accession au pouvoir en 2013. Et ce n’est pas un hasard si le ministre chinois des Affaires étrangères y consacre systématiquement son premier voyage chaque année. Le continent revêt une importance majeure dans la géostratégie de Pékin. Et cet intérêt suscite aussi bien l’enthousiasme que la méfiance. Alors à quoi ressemble exactement la relation entre l’Afrique et la Chine ?

Depuis quand la Chine entretient-elle des relations avec l’Afrique ?
Dès sa fondation en 1949, la République populaire de Chine a soutenu les mouvements de libération africains et proclamé sa solidarité avec les peuples du continent.
Depuis la Conférence de Bandung en 1955, en Indonésie, la Chine affirme promouvoir en Afrique le non-alignement, la solidarité entre nations en développement, la coopération Sud-Sud et un modèle de « non-intervention ». Dès cette époque, la Chine tisse des liens avec les grands mouvements indépendantistes en Égypte, en Algérie, au Cameroun, en Afrique du Sud, en Angola, en Tanzanie et au Zimbabwe, pour amplifier l’influence « maoïste ».

Dans les années 1960 et 1970, la Chine apporte une assistance militaire aux États nouvellement indépendants qui choisissent le socialisme dans le cadre de sa politique dite « pencher d’un côté ».
Mais depuis vingt ans, la stratégie de la Chine en Afrique connaît une transformation significative. Et plus particulièrement depuis 2008, avec l’internationalisation des grands groupes et des investissements chinois à l’étranger.
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Avec son programme « Belt and Road Initiative » dit des «Nouvelles Routes de la soie », l’économie est bien sûr l’un des vecteurs essentiels du déploiement de la Chine sur le continent.
Pékin est ainsi devenu son premier partenaire. En 2024, le commerce sino-africain a atteint 295 milliards de dollars, avec une balance commerciale largement défavorable à l’Afrique, qui représente moins de 5% du commerce extérieur chinois.
La stratégie de la Chine se concentre largement sur l’octroi de prêts, principalement orientés vers l’extraction de minerais, les zones franches, les hydrocarbures, les services et surtout les grands projets d’infrastructures.
Dans certains pays, 80 % des infrastructures sont ainsi réalisées par des opérateurs chinois. La Chine a par exemple offert la construction du siège de l’Union africaine en Ethiopie. Des micros et logiciels espions y ont ensuite été découverts.

Les relations politiques entre la Chine et l’Afrique sont aussi très importantes : le Parti communiste chinois entretient des liens avec 130 partis politiques dans la quasi totalité des pays africains.
Le Forum sur la coopération sino-africaine, désigné par son acronyme anglais FOCAC (Forum on China Africa Cooperation), joue un rôle majeur dans les relations diplomatiques et politiques. Il organise des rencontres régulières et un Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement tous les 3 ans.
Le 5 septembre 2024 à l’issue du FOCAC à Pékin, Jean-Claude Gakosso, ministre des Affaires étrangères de la République du Congo se félicite : « Je crois qu'il est désormais évident aux yeux de tous que les relations de coopération entre la Chine et l'Afrique constituent un cas exceptionnel dans l'histoire du monde moderne. De mémoire d'Africain, sauf erreur de ma part, jamais encore coopérations économiques et commerciales entre l'étranger et le continent qui est le nôtre n'avaient été aussi prospères, aussi exemplaires, aussi prometteuses. »

Le plan d’action 2025-2027 du FOCAC s’inscrit dans le cadre de l’Initiative pour la sécurité mondiale, l’Initiative de développement mondial, et l’Initiative de civilisation mondiale, cette architecture internationale alternative créée par la Chine.
Ce plan prévoit des programmes de modernisation et de développement, allant de l’industrialisation et de l’expansion des zones de libre-échange chinoises à la coopération militaire toujours plus intense.
Et lors de sa tournée africaine début 2025, le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, en visite à Abuja au Nigeria, assure le soutien total et l'aide militaire de Pékin au continent : « Nous nous efforcerons de faire progresser l'action de partenariat pour la sécurité commune et fournirons 1 milliard de yuans de subventions sous forme d'assistance militaire à l'Afrique. (....) La Chine aidera les pays africains à former 6 000 militaires et 1 000 policiers et agents chargés de l'application de la loi. La Chine continuera également à soutenir la construction de l'armée permanente et des forces rapides africaines. »
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Où la Chine est-elle le plus présente militairement en Afrique ?
Certaines images marquent les esprits. En 2011, des ferrys accostent en Grèce avec à leur bord plus de 35 000 travailleurs chinois qui quittent la Libye en pleine insurrection. C'est à partir de ce moment, que la présence militaire de Pékin sur le continent commence à s’accroître.

Aujourd’hui, l’engagement militaire de la Chine en Afrique prend plusieurs formes.
Depuis 2017, la base militaire navale de l’Armée Populaire de Libération chinoise à Djibouti, garantit un accès privilégié aux routes commerciales stratégiques de la mer Rouge. Il s’agit de l’unique base militaire chinoise à l’étranger, pour l’instant, car Pékin semble chercher à en installer une autre sur la côte Atlantique.
La Chine apporte aussi une assistance aux Forces de défense et de Sécurité nationales, régionales et panafricaine. 47 États africains et deux organisations (la Mission de l’Union africaine en Somalie ATMIS et la Force en attente de la CEDEAO) ont été identifiés comme ayant reçu une assistance chinoise de la part de l’Armée Populaire de Libération et de la Police Armée du Peuple.
En 2023, des exercices militaires conjoints ont été menés en Afrique du Sud par la Chine, avec la Russie. Et d’autres organisés avec la Tanzanie et le Mozambique en 2024.
Les forces chinoises sécurisent également les ambassades, les entreprises, les plateformes ou les sites d’extraction minière de la Chine sur le continent. Mais aussi les infrastructures portuaires, nécessaires au déploiement commercial chinois et dotées d’équipements d’interceptions, qu’on trouve sur tout le littoral africain (El Hamdania en Algérie, Alexandrie en Égypte, Djibouti, Bagamoyo et Dar es Salam en Tanzanie, Lobito en Angola, Durban en Afrique du Sud, Kribi au Cameroun, Lomé au Togo, Nouakchott en Mauritanie).
Enfin la Chine a considérablement augmenté ses contributions financières et humaines aux missions de l’ONU en Afrique.
Quelles sont ces forces chinoises présentes en Afrique ?
Il y a certes l’Armée populaire de libération. Mais la grande majorité de la protection des projets d’infrastructure et des citoyens chinois en Afrique est assurée par des entreprises privées de sécurité.
Les sociétés militaires chinoises présentes en Afrique sont relativement nombreuses. Même si la Chine est leader sur le marché de la sécurité privée dans le monde avec plus de 16 000 entreprises, seule une cinquantaine de ces sociétés opèrent à l'étranger, et moins de la moitié en Afrique. Selon Djenabou Cisse, chargée de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), on compterait environ une vingtaine d'entreprises de services de sécurité et de défense dans une trentaine de pays du continent, en particulier au Nigeria et en Afrique du Sud, principaux partenaires économiques de la Chine. « La présence de ces entreprises correspond aux intérêts économiques du régime chinois dans des pays dits stables économiquement, explique la chercheuse. Car la Chine a tendance à prioriser les pays où le climat commercial et économique est favorable à ses activités. C'est très différent, par exemple de pays comme la Russie qui, avec le groupe Wagner ou Africa Corps, va au contraire prioriser des pays avec des régimes autoritaires, où on aura justement des crises sécuritaires que ces entreprises peuvent instrumentaliser. »
« L'implantation géographique des sociétés de sécurité et de défense chinoises en Afrique est motivée principalement par les intérêts économiques de la Chine » explique Djenabou Cisse, chargée de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS).
Ces entreprises interviennent surtout dans la protection de site, le gardiennage, des patrouilles, mais très peu voire pas dans des activités militaires significatives, avec toutefois de la diversification comme les escortes maritimes armées, la logistique ou encore l'assurance. « En comparaison aux autres, le modèle chinois manque d'expérience de combat, de compétences techniques et linguistiques, analyse la chargée de recherche à la FRS. Étant donné la concurrence d'autres entreprises étrangères, on peut conjecturer que ce modèle va continuer d'évoluer rapidement, précisément pour répondre à l'expansion économique chinoise à l'international. »
Les critiques suscitées par ces sociétés de défense et de sécurité portent davantage vers le régime lui-même. Elles tendraient à être de plus en plus utilisées pour contrôler et surveiller la diaspora chinoise à l'étranger, aider à la collecte de renseignements, identifier des opérations illégales. « Ce contrôle s'opère notamment via la conclusion de partenariat avec des associations de la diaspora, traditionnellement liées au système du Front uni (ndlr : une stratégie politique et un réseau de groupes et d'individus clés influencés ou contrôlés par le Parti communiste chinois et utilisés pour faire avancer ses intérêts) ou encore avec des stations de police communautaires » explique Djenabou Cisse.
« Les critiques contre les entreprises chinoises portent davantage sur les risques sociaux et environnementaux que sur des exactions contre des civils » explique Djenabou Cisse de la Fondation pour la recherche stratégique.
« Les liens entre les sociétés militaires privées chinoises et le gouvernement chinois sont très étroits puisque la plupart de ces entreprises ont souvent été créées par le ministère de la sécurité publique chinois. Les dirigeants de ces entreprises sont généralement d'anciens cadres du parti ou de l'Armée populaire de libération, d'anciens militaires. Ces entreprises sont souvent alignées avec les objectifs de la politique étrangère de Pékin, comme les Nouvelles Routes de la Soie, ou encore le Forum sur la Coopération sino-africaine (FOCAC). Il est d'ailleurs assez fréquent de trouver dans les délégations du FOCAC des entreprises de sécurité privée chinoise, ajoute la chercheuse.
On compte 1,2 million de ressortissants chinois sur le continent. La taille de cette diaspora explique l'existence d'entreprises locales développées par des expatriés chinois pour assurer leur propre protection et qui disposent d'une certaine autonomie sur le terrain. Le lien de ces sociétés avec le régime reste quand même difficile à quantifier car chaque jour des expatriés montent leur propre entreprise, et il est difficile de traquer précisément leur nombre, la nature exacte des liens et des activités, au modèle très discret. Il est d'ailleurs peu probable que l'on voit se développer dans les années à venir un Wagner ou un Blackwater à la chinoise, puisque Pékin voit d'un mauvais œil ce type d'entreprise. Pour Pékin, il s'agit de respecter un principe de non-ingérence dans les affaires internes des pays. »
« Pékin favorise la stabilité économique et institutionnelle. Une entreprise comme Wagner qui va instrumentaliser les crises sécuritaires et s'occuper de la protection rapprochée de certains leaders n'est pas une entreprise que la Chine voit d'un bon œil » analyse Djenabou Cisse, chargée de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS).
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Outre la sécurisation de ses intérêts économiques, l’assistance sécuritaire chinoise est conditionnée à la reconnaissance du principe d’« une seule Chine ». Aucun État africain ne reconnaît Taïwan, à l’exception de l’Eswatini.
La Chine considère l’Afrique comme un partenaire essentiel dans sa volonté explicite de contrebalancer l’influence occidentale jugée hégémonique et impérialiste. Elle sollicite un soutien africain au sein de l’Assemblée générale des Nations Unies, essentiel pour influencer les équilibres mondiaux. En contrepartie, Pékin appuie systématiquement les réformes du Conseil de sécurité de l’ONU favorables à l’Afrique.
La Chine se positionne ainsi en chef de file du Sud global, dont l’Afrique constitue une composante essentielle.
Comment la Chine étend-t-elle son influence militaire en Afrique ?
La formation, souvent dispensée dans des académies militaires chinoises, constitue un moyen privilégié. Plusieurs milliers de militaires et policiers africains ont bénéficié de bourses d’échange chinoises.
La Chine élargit aussi son approche aux ventes d’armes et de matériel de guerre, de plus en plus modernes et lourds, alors que les armes légères dominaient jusqu’ici. Entre 2017 et 2022, la part de la Chine dans les achats d’armes africains a doublé. Selon le SIPRI, l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm, en 2023, elle représentait près de 20% des livraisons à l’Afrique subsaharienne. Elle fait partie des trois principaux fournisseurs d’armes du continent.
Enfin, dans le domaine spatial, plus de vingt États ont établi un partenariat avec Pékin, dont le Nigeria, l’Éthiopie, l’Égypte, l’Algérie ou l’Afrique du Sud.
De nombreux dirigeants africains ont accueilli favorablement cette implication croissante de la Chine. Son discours prônant la non-ingérence est considéré comme une alternative séduisante aux politiques occidentales.
Quel avenir pour la Chinafrique ?
L’avenir de la Chine en Afrique dépendra cependant de sa capacité à répondre aux critiques et frustrations liées à ce qui est perçu comme l’exploitation économique des populations locales par des entreprises chinoises, la présence trop importante de leurs travailleurs, l’accaparement des terres agricoles, ou les montants colossaux des dettes africaines contractées.
La Chine n’est à l’évidence pas la cible de violentes campagnes comme d’autres partenaires étrangers. Mais elle devra se montrer attentive à la « méfiance sans hostilité » qui croît à bas bruit sur le continent.
EN SAVOIR PLUS
Sources institutionnelles
Wang Yi expose le point de vue de la Chine sur la réforme du Conseil de sécurité - Ministère chinois des Affaires étrangères - septembre 2024
Document de réflexion sur l'Initiative de sécurité globale - Ministère chinois des Affaires étrangères - 2022 (lien en anglais)
Déclaration de Beijing sur la construction conjointe d’une communauté d’avenir partagé Chine-Afrique de tout temps à l’ère nouvelle - Ministère chinois des Affaires étrangères - septembre 2024
Les forces du marché et le rôle du secteur privé, Investissements de la Chine en Afrique - FOCAC - août 2021
Rapports, ouvrages, articles académiques
Djenabou Cisse, Simon Menet, Marie de Vries, Entreprises de services de sécurité et de défense russes et chinoises en Afrique : deux modèles concurrents ? - Recherches & Documents - Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS) - juin 2024
Emmanuel Véron, Chine-Afrique : une relation asymétrique et stratégique pour Pékin - Fondation Méditerranéenne d'Études Stratégiques - mai 2024
Focus thématique : Chine en Afrique – Centre d’études stratégiques de l’Afrique
Paul Nantulya, Cartographie du développement portuaire stratégique de la Chine en Afrique – Centre d’Études Stratégiques de l’Afrique - mars 2025
Paul Nantulya, À quoi s’attendre dans les relations Chine-Afrique en 2025 – Centre d’Études Stratégiques de l’Afrique - janvier 2025
Christian-Géraud Neema, What FOCAC 2024 Reveals About the Future of China-Africa Relations - Carnegie Endowment for International Peace - novembre 2024 (lien en anglais)
Ilaria Carrozza et Nicholas Marsh, Great Power Competition and China’s Security Assistance to Africa: Arms, Training, and Influence, Journal of Global Security Studies vol. 7 issue 4 – Peace Research Institute Oslo (PRIO) - 2022 (lien en anglais)
Dans les médias
La sécurité en Afrique, priorité croissante de la Chine pour préserver ses intérêts commerciaux - Le Monde - septembre 2024
FOCAC 2024 : La Chine renforce son alliance politique avec l'Afrique - Projet Afrique-Chine - septembre 2024
Pékin mène une diplomatie de l’armement en Afrique - Courrier International - mars 2023
Des prêts plus ciblés, nouvelle stratégie de la Chine en Afrique - La Croix avec AFP - septembre 2024
Quel est le volume d'affaires de la Chine en Afrique ? - BBC - septembre 2024
Les sociétés militaires privées chinoises : ni Blackwater, ni Wagner - Le Rubicon - mars 2024
En Afrique du Sud, des exercices militaires menés avec la Russie et la Chine provoquent l'irritation des Occidentaux - France Info - février 2023
Commerce : la Chine à la conquête de l'Afrique - Statista - janvier 2023
A Addis-Abeba, le siège de l’Union africaine espionné par Pékin - Le Monde - janvier 2018
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