"Un processus exaspérant et souvent rageant": voyager en Afrique quand on est Africain

Par TV5MONDE
Par Yoanna Herrera


En rendant les visas gratuits à tous les Africains, le Burkina Faso a fait un pas en avant pour la mobilité des personnes sur le continent. Il s'agit d'un défi majeur pour le développement économique de l'Afrique. La bureaucratie reste néanmoins un frein important pour arriver à une libre circulation à l'échelle continentale.

En rendant les visas gratuits à tous les Africains, le Burkina Faso a fait un pas en avant pour la mobilité des personnes sur le continent. Il s'agit d'un défi majeur pour le développement économique de l'Afrique. La bureaucratie reste néanmoins un frein important pour arriver à une libre circulation à l'échelle continentale.
Le Burkina Faso fait le pari de la mobilité. Le 11 septembre dernier, le gouvernement burkinabé a décidé d’instaurer la gratuité des visas pour l’ensemble de ressortissants africains. Une décision qui vise à contribuer à la libre circulation des personnes à l'intérieur des frontières de l'Afrique.
Si cette mesure est un pas en avant vers l'unification et peut stimuler l'activité économique, elle n'exempte pas les voyageurs des procédures. Malgré la gratuité, il faudra toujours effectuer une demande de visa auprès des autorités.
La libre circulation est un défi de taille pour le développement d'un continent où organiser un voyage peut être une odyssée en soi. Dans un billet publié dans le quotidien Financial Times, Aanu Adeoye, correspondant du journal à Lagos, évoque "le processus exaspérant et souvent rageant de voyager à travers le continent avec un passeport national".
Le journaliste pointe notamment les formalités administratives qui tendent à décourager les visiteurs et, plus particulièrement, les investisseurs potentiels.
Multiplication des accords
Pour pallier ce problème, plusieurs espaces de libre circulation ont été mis en place. Le plus important : celui de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest.
Il stipule que "la libre circulation à l’intérieur de l’espace CEDEAO est une composante essentielle de l’intégration régionale, qui elle-même est l’une des conditions d’une meilleure insertion de l’économie ouest-africaine dans la mondialisation".
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Concrètement, les États membres se sont engagés à prendre des actions telles que la mise en place de postes frontaliers conjoints, de marchés frontaliers, de postes de santé communs et de "développer les relations de bon voisinage".
En outre, "certaines régions, certains blocs sous-régionaux et certains accords bilatéraux ont également mis en place un accès sans visa et même sans passeport dans certains cas", détaille le professeur Alan Hirsch dans un article publié dans The Conversation.
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"Au sein de la Communauté d'Afrique de l'Est, l'Ouganda, le Rwanda et le Kenya autorisent les voyages transfrontaliers sans passeport. Le Botswana et la Namibie ont récemment signé un accord similaire", précise-t-il.
En 2018, l'Union africaine a mis en place un protocole sur la libre circulation des personnes. Idéalement, à terme, il devrait inclure tous les droits économiques. Mais la plupart des pays signataires ne l'ont pas ratifié.
Bureaucratie
Cinq ans plus tard, le président du Kenya, William Ruto, et son homologue rwandais, Paul Kagamé, ont pris des initiatives en ouvrant les frontières de leurs pays aux visiteurs de toute l'Afrique.
Mais, selon Alan Hirsch, ces efforts restent insuffisants à l'échelle du continent : "malgré ces progrès, vers la fin de 2022, seulement 27% des routes africaines permettaient aux Africains de voyager sans visa".
Chaque année, une enquête sur l'indice d'ouverture sur les visas en Afrique est publiée. Dans le dernier rapport, datant de 2024, on constate que "de nombreux pays ont apporté des modifications bilatérales à leur politique en matière de visa, souvent sur une base réciproque et d’une manière apparemment coordonnée."
L'étude souligne que 31% des pays ont amélioré leur note d'ouverture tandis que 15% ont reculé. Une note globale "légèrement inférieure à celle de 2023".
Les tensions politiques et les conflits ont un poids sur les politiques publiques en matière de voyage, note le rapport. Parmi les conséquences, on note : déplacement de personnes, empêchement de bouger et un "vécu expérientiel pour les voyageurs transfrontaliers qui s’écarte de la politique officielle".
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De plus, "la bureaucratie peut entraîner des exigences absurdes pour des voyages qui devraient être simples", estime de son côté Aanu Adeoye dans le Financial Times.
Ainsi, pour aller de Brazzaville à Kinshasa, séparées le fleuve Congo, il faut se munir de son passeport accompagné d'un visa. "Des conditions bien strictes quand on sait que les capitales des deux Congos peuvent être reliées en à peine vingt minutes de trajet en ferry", pointe Marie de Vergès dans une chronique publiée dans Le Monde.
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Selon la journaliste, les pays "redoutent, pêle-mêle, la mainmise des travailleurs étrangers sur les emplois locaux, l’augmentation de la contrebande et de la criminalité ou la propagation des maladies".
Pourtant, ils auraient tout à gagner à ouvrir leurs frontières et renforcer leurs liens économiques et culturels. Et cela passe par la libre circulation des gens : "Il ne peut y avoir de zone de libre-échange continentale africaine sans libre circulation des personnes, car celles-ci doivent se déplacer avec leurs marchandises", affirme la diplomate ghanéenne Amma Twum-Amoah.
Classement africain de l'ouverture sur les visas: Top 10 en 2024
- 1/ Bénin, Rwanda, Seychelles, Gambie
- 5/ Ghana
- 6/ Cap-Vert, Nigeria
- 8/ Guinée-Bissau
- 9/ Mauritanie
10/ Maurice
(Source : Indice d'ouverture sur les visas en Afrique en 2024)
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