Canada: APTN, le réseau de télévision autochtone qui porte la voix des premières nations

Par Catherine François


Le Canada célèbre, ce mardi 30 septembre, la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation avec les peuples autochtones. Divers hommages aux victimes et aux survivants des pensionnats se tiennent partout au pays. Le réseau APTN, Aboriginal Peoples Television Network, est lui en programmation spéciale toute la journée.

Le Canada célèbre, ce mardi 30 septembre, la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation avec les peuples autochtones. Divers hommages aux victimes et aux survivants des pensionnats se tiennent partout au pays. Le réseau APTN, Aboriginal Peoples Television Network, est lui en programmation spéciale toute la journée.
Le Canada observe la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation ce mardi 30 septembre. Cette journée, devenue fériée pour les fonctionnaires en 2021, est le fruit d'une recommandation de la Commission de vérité et réconciliation, qui a mis en lumière les atrocités commises dans les pensionnats autochtones.
Les pensionnats autochtones, établis au début du 20e siècle, avaient pour but d'assimiler les enfants autochtones en les séparant de leurs familles et en les coupant de leurs racines culturelles. Ces institutions ont été le théâtre de nombreux abus, tant physiques que psychologiques, laissant des cicatrices profondes qui se transmettent encore aujourd'hui de génération en génération. La Commission de vérité et réconciliation a été créée pour enquêter sur ces abus et proposer des mesures de réparation.
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Une journée majeure pour le réseau Aboriginal Peoples Television Network (APTN). Cette télévision, qui a vu le jour en septembre 1999, a une mission claire: être la voix des communautés autochtones du Canada, raconter leurs histoires et leurs cultures, et représenter ces communautés dans l'univers médiatique canadien.
"S'assurer qu'il y a une visibilité d'autochtones dans les médias"
C'est parce que les communautés autochtones étaient si peu représentées dans les médias canadiens qu'est venue l'idée de créer APTN. Il existait déjà une chaine, dans le nord du Canada, qui était dirigée par des Inuits et qui diffusait pour les peuples inuits, et quand est venue l'idée de créer un réseau autochtone, ils se sont ralliés aux premières nations et aux métis pour fonder APTN.
Le CRTC, l'organisme canadien qui gère tout ce qui est du domaine de la communication, radio et télévision dans le pays, a soutenu le projet du début jusqu'à la fin, en donnant son aval pour que le réseau fasse partie du bouquet de chaines obligatoires dans toutes les entreprises de câblodistribution du pays. C'est ainsi qu'a été mis en onde, le 1er septembre 1999, APTN.
La mission d'APTN est simple: s'assurer qu'il y a une visibilité d'autochtones dans les médias et raconter nos histoires à notre façon. Les autochtones ne se voyaient pas à la télé, il y en avait très peu, un peu comme s'il n’y avait pas de place pour les autochtones au Canada
Monika Ille, la directrice générale du réseau APTN
Et pour elle, 25 ans plus tard, c’est mission accomplie: "On peut dire: quel exploit! Je pense qu'on a encore beaucoup à faire, mais on a été capable de faire notre marque, s'installer au Canada, dans le milieu de l'audiovisuel, montrer que c'était important pour nous, les autochtones, de prendre la parole, de pouvoir contrôler, pas simplement notre image, mais nos voix, et de bien représenter les différentes communautés à la télévision, de donner aussi l’opportunité aux créateurs autochtones de prendre leur place".

APTN diffuse, en anglais majoritairement mais aussi en français, des émissions de divertissement, des documentaires, des films et des séries, la chaine a aussi un service d’information dans les deux langues. Lors de notre passage dans les studios montréalais du réseau, l’animatrice et productrice Kim Sullivan était en train d’enregistrer le bulletin de nouvelles de trente minutes en français qui est diffusé tous les vendredis soir.
"On va au-delà de la nouvelle sensationnelle"
"Ça me permet de donner une voix à des communautés qui n'en ont pas. Je trouve qu'on a des histoires qui sont extrêmement importantes et on n'a pas la portée qu’il se doit, donc en travaillant ici, ça me permet de donner une voix à ces communautés et de le faire haut et fort", explique-t-elle à TV5MONDE.

Le service d'info en français compte trois journalistes qui couvrent l’actualité des peuples autochtones du Québec. Le service d’info en anglais est plus substantiel, avec des bulletins quotidiens, des émissions, des enquêtes: "On voulait s'assurer de pouvoir aller dans nos communautés et raconter ce qu’il s’y passe. Les médias en général vont couvrir les sujets autochtones lorsque c'est sensationnel. Nous, on va au-delà de la nouvelle sensationnelle, on veut rapporter les histoires qui sont importantes pour nos communautés et de donner aux gens, dans tout le Canada, l’opportunité de parler", souligne Monika Ille.
Faire revivre les langues autochtones
Depuis septembre 2024, APTN a changé son modèle de diffusion. Le réseau a maintenant deux antennes: une en français et en anglais, l'autre dans des langues autochtones. "Ça, c'est un rêve que j'avais quand je suis devenue chef de la direction, précise Monika Ille. Je voulais amener un changement. Je voulais donner plus de priorités aux langues autochtones. Vous savez, quand on perd une langue, on perd une partie de notre identité. Parce que la langue, une langue, ça contient tes histoires, ça contient tes danses, tes chants, ça fait partie intégrante de toi. Alors il y a quelque chose de magique dans une langue, quelque chose de profond. Donc c'est important et APTN a un rôle important à jouer pour préserver et promouvoir les langues autochtones".
APTN langues a une programmation spéciale de plus de 150 heures par semaine, soit plus de 20 heures d’émissions dans plus d’une douzaine de langues autochtones, dont certaines qui sont de moins en moins parlées.
De nombreux défis à relever
Comme toutes les télévisions généralistes, le gros défi actuel d'APTN, c'est son financement: il dispose d'un budget annuel de 48 millions de dollars, issus des abonnements au câble et de la publicité. Mais depuis cinq ans, ces revenus baissent de trois pour cent en moyenne, parce que les gens se désabonnent du câble. "Donc ça fait mal, reconnait Monika Ille, on essaie de trouver différents moyens de compenser, mais c'est extrêmement difficile. Il faut vraiment, il faudrait qu'APTN ait du financement continu, du financement stable sinon c’est extrêmement difficile de planifier, de budgéter".
L'autre gros défi d'APTN, c’est de maintenir son auditoire, notamment auprès des jeunes, qui, on le sait, n’écoutent pas la télévision. Le spectateur type d'APTN a 50 ans et plus. La chaine a lancé en 2019 sa plateforme LUMI, avec la formule d’un abonnement payant, sur laquelle est déposé une bonne partie de sa programmation. APTN diffuse aussi sur des plateformes très populaires auprès des jeunes comme Instagram et TikTok. « Notre défi, c'est de garder notre place dans le milieu médiatique, tout en développant le côté en ligne et avoir un autre auditoire qui va venir nous regarder, nous apprécier » poursuit la directrice.
APTN veut aussi développer des partenariats avec des plateformes comme Netflix: "Il faut davantage avoir des collaborations, des partenariats avec d'autres diffuseurs qui ne sont pas traditionnels pour donner une plus grande portée à nos histoires. Je pense que pour les médias en général, pour les télés traditionnelles, ici au Canada, il faut ouvrir, élargir notre éventail et travailler plus ensemble", croit Monika Ille.
Un réseau qui est maintenant une référence
Malgré tout, Monika Ille reste confiante en l’avenir du réseau APTN: "C'est tellement beau ce qu'on a fait, c’est vraiment une histoire à succès tout ce qu'APTN a fait pendant les 25 dernières années, mais il n’y a pas de garantie, il faut continuer à bûcher, à travailler pour s'assurer de maintenir notre présence. On dessert une population qui n'est pas servie par les médias traditionnels, on donne des opportunités à des créateurs autochtones que d'autres ne donneront pas".
Et d'ajouter: "Donc cela va au-delà de la simple diffusion. Nos nouvelles couvrent des histoires que les autres télévisions ne vont pas couvrir parce qu'elles ne les intéressent pas. On a une histoire traumatisante, les peuples autochtones ont été colonisés, martyrisés. Mais c'est à force de communiquer que l'on apprend à mieux comprendre l'autre. Et quand on comprend, souvent, on apprécie. Et c'est lorsqu'il y a cette appréciation que les mythes et les préjugés commencent à tomber".
C'est ça, le rôle d'APTN. Oui, on communique entre nous, entre autochtones, mais aussi avec beaucoup de non autochtones et pas juste ici au Canada, à l'international aussi. Vous savez, APTN est le premier diffuseur autochtone national du monde, on est devenu un modèle. Et ça, ça me rend très fière".
Monika Ille, directrice générale du réseau APTN
Kim Sullivan abonde: "De savoir qu'on a une portée internationale, de savoir qu'on a une voix qui se fait écouter aussi loin, j'en ai la chair de poule. J'espère que je vais avoir une longue vie ici, je vois quelque chose qui m'anime, qui me passionne, qui me donne le goût de venir travailler. C'est rare que l’on puisse dire ça".
APTN en quelques chiffres:
- Un réseau lancé le 1er septembre 1999
- Quelque 165 employés d’un bout à l’autre du Canada, dont 65% sont d’origine autochtone, le siège social est à Winnipeg, au Manitoba.
- Un budget annuel de 48 millions de dollars qui proviennent des abonnements aux compagnies de câblodistribution et de revenus publicitaires, mais depuis cinq ans, baisse de 3% de ces revenus à cause de la baisse des abonnements.
- Durant l’hiver 2010, APTN est devenu le premier diffuseur autochtone d’un événement olympique en diffusant en anglais, en français et dans huit langues autochtones les Jeux olympiques de Vancouver.
- Lancement en septembre 2020 de la plateforme numérique LUMI, avec abonnement payant
- Lancement en septembre 2024 de l’antenne APTN Langues, une programmation spéciale de plus de 150 heures par semaine, soit plus de 20 heures d’émissions dans plus d’une douzaine de langues autochtones. Il y a actuellement au Canada plus de 70 langues autochtones et seules trois d’entre elles sont stables : le cri, l’inuktitut et l’anishnaabemowin. Selon Statistique Canada, en 2021, quelque 243 000 personnes parlaient une langue autochtone au Canada
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