"Des témoins seront en danger": en Centrafrique, la fermeture annoncée d'une Cour qui juge les criminels de guerre inquiète

Par Océane Bourdenet


L'ONG Amnesty International a affirmé, le 17 octobre, que la Cour pénale spéciale (CPS) de République centrafricaine menace d'être fermée, faute de financements de la part des acteurs internationaux. Depuis sa création, elle a jugé 30 Centrafricains pour "crimes de guerre" et "crimes contre l'humanité". Dans le village de Koundjili, théâtre de massacres entre deux minorités musulmanes en 2019, une victime alerte sur les risques liées à cette fermeture.

L'ONG Amnesty International a affirmé, le 17 octobre, que la Cour pénale spéciale (CPS) de République centrafricaine menace d'être fermée, faute de financements de la part des acteurs internationaux. Depuis sa création, elle a jugé 30 Centrafricains pour "crimes de guerre" et "crimes contre l'humanité". Dans le village de Koundjili, théâtre de massacres entre deux minorités musulmanes en 2019, une victime alerte sur les risques liées à cette fermeture.
"Comme chaque famille de mon village, j'ai touché 350.000 francs CFA (environ 530 euros) de réparation à l'issue du procès contre les auteurs de la tuerie de 2019", raconte à TV5MONDE Simplice Bissi, président de l’Association des victimes du massacre de Koundjili et Lemouna. "Mais ce n’est pas ça qu’il faut retenir. Le 23 octobre 2023, quand je suis sorti de la Cour pénale spéciale, j’ai surtout compris ce qu’il s’était passé en 2019. Et lorsqu’on comprend, on peut commencer à réparer".
Selon un communiqué de l'ONG, Amnesty International, publié le 17 octobre, la CPS basée dans la capitale Bangui risque de fermer faute de moyens. Depuis janvier 2025, les États-Unis ont suspendu leur financement, laissant environ 4,15 millions de dollars d’engagements impayés. Cette réduction drastique a profondément affecté la capacité de la Cour à fonctionner, compromettant les procédures en cours et les services essentiels apportés aux victimes et aux témoins.
"Une justice pour les criminels de guerre"
Dans son village, Simplice Bissi s'occupe d'une vingtaine d'orphelins centrafricains dont les parents ont été tués le 21 mai 2019. Ce jour-là, des combattants du groupe armé Retour, Réclamation et Réhabilitation, ou "3R", ont massacré au moins 46 civils dans la province de l'Ouham Pendé, au nord-ouest de la République centrafricaine.
Le groupe 3R affirmait que sa présence était nécessaire pour protéger les minorités contre les attaques des milices anti-balaka. Ce groupe d'autodéfense avait pris les armes en 2013 contre une coalition rebelle, la Seleka, opposée au président de l’époque, François Bozizé, plongeant le pays dans une troisième guerre civile.
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Le processus de paix entre le gouvernement du président Faustin-Archange Touadéra et les groupes armés fut long. En avril 2025, un accord a finalement été conclu pour arrêter la guerre.
Mais pour que la paix tienne, il faut une justice pour ces criminels. C'est pour ça que la Cour pénale spéciale (CPS) doit exister.
Simplice Bissi, président de l’Association des victimes du massacre de Koundjili et Lemouna
Une Cour pénale "indépendante"
La Cour pénale spéciale a été créée en 2018 à l'issue d'un sondage menée à travers toute la Centrafrique pour savoir ce que la population attendait d'un accord de paix. Gervais Bodagay, chargé de communication à la Cour, explique à TV5MONDE: "80% de la population voulait que justice soit rendue et que les milices soient punies pour leurs exactions. Alors avec l'impulsion de la société civile, de l'ONU, des États-Unis et de l'Union européenne, nous avons créé la Cour pénale spéciale, ou CPS".
À (re) voir : République centrafricaine: désarmement des rebelles du groupe 3R
Avant 2018, il existait deux instances capables de traduire en justice les criminels de guerre centrafricains: d'une part le tribunal ordinaire et d'autre part la Cour pénale internationale (CPI) basée à La Haye. Mais selon Gervais Bodagay, ces organes manquaient de moyens pour enquêter en Centrafrique. "La CPS dispose d'une enveloppe de 12 millions de dollars par an. Elle a trois grandes missions: enquêter, punir, et éduquer", énumère-t-il. "Elle a surtout un atout qui la rend indispensable: elle est indépendante". La CPS est composée de magistrats centrafricains et internationaux.

"Si la CPS disparait, ces témoins seront en danger"
Simplice Bissi et Gervais Bodagay étaient tous deux présents, le 23 octobre 2023, lors du premier verdict de la Cour Pénale spéciale à Bangui. Trois membres du groupe armé 3R ont été condamnés pour "crimes de guerre" et "crimes contre l’humanité". Ils s’appelaient Issa Sallet Adoum, Yaouba Ousman et Mahamat Tahir. Ils ont été reconnus coupables du massacre d’une trentaine de civils dans les villages de Koundjili et Lemouna.
"Depuis, je n’ai pas peur", affirme Simplice Bissi, qui a témoigné à visage découvert devant la Cour. Mais Gervais Bodagay alerte: "De nombreuses victimes sont venues témoigner à la Cour pénale spéciale depuis sa création. Une protection a été mise en place. Mais si la CPS disparaît, ces témoins seront de nouveau en danger."

Car même si un accord de paix a été signé entre le gouvernement centrafricain et les groupes armés, le groupe 3R reste actif dans le pays. "Au-delà de notre protection en tant que victimes, il y a aussi la poursuite de certains dossiers qui nous inquiète. La vérité doit être connue. Si la Cour pénale spéciale disparaît, les orphelins de Koundjili ne connaîtront jamais la vérité sur les autres massacres", conclut Simplice Bissi.
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