Tchad : l'ex-Premier ministre Succès Masra condamné à 20 ans de prison ferme
Par Philippe Randrianarimanana Séraphine Charpentier avec Agences
Le verdict est tombé ce samedi 9 août, au quatrième jour du procès à N'Djamena. L'opposant et ex-Premier ministre tchadien Succès Masra est reconnu coupable de "diffusion de message à caractère haineux et xénophobe" et de "complicité de meurtre".
Le verdict est tombé ce samedi 9 août, au quatrième jour du procès à N'Djamena. L'opposant et ex-Premier ministre tchadien Succès Masra est reconnu coupable de "diffusion de message à caractère haineux et xénophobe" et de "complicité de meurtre".
Samedi 9 aôut, la justice tchadienne a condamné l'ancien Premier ministre Succès Masra à 20 ans de prison ferme et au versement d'1 milliard de francs CFA d'amende.
Il vient d'être condamné sur la base d'un dossier videFrancis Kadjilembaye, coordonnateur des avocats du camp Masra à l'AFP
"Notre client vient de faire l'objet d'une humiliation, d'une ignominie" a dénoncé auprès de l'AFP Francis Kadjilembaye, coordonnateur des avocats du camp Masra.
"Il vient d'être condamné sur la base d'un dossier vide, sur la base de supputations et sur l'absence de preuve. Nous assistons à une consternation qui consiste à instrumentaliser la justice", a-t-il déclaré, affirmant ne "pas de désarmer" pour "faire entendre partout ou besoin sera la voix de (s)on client".
(Re)voir Tchad : que veut dire la condamnation de Succès Masra ?
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Un rassemblement des militants du parti "Les Transformateurs" a été annoncé ce samedi soir à N'Djamena. Un message "spécial" y serait diffusé après la condamnation de leur président.
Le chef du parti d'opposition Les Transformateurs avait été arrêté le 16 mai et était jugé pour "incitation à la haine, à la révolte, constitution et complicité de bandes armées, complicité d'assassinat, incendie volontaire et profanation de sépultures".
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Le procès était divisé en deux volets : celui de près de 70 hommes accusés d'avoir participé à un massacre sanglant le 14 mai. De l'autre côté, celui de Succès Masra, accusé d'avoir incité au massacre.
Le 14 mai, 42 personnes, "majoritairement des femmes et des enfants", ont été tuées à Mandakao, dans la région du Logone-Occidental au sud-ouest du Tchad, selon la justice tchadienne.
Vous avez devant vous un homme qui croit en la Justice. Je ne reconnais aucun des faits qui me sont reprochés.Succès Masra, ex-Premier tchadien lors de son procès
Pour incriminer Succès Masra, la justice a mis en avant un message audio, présenté comme datant de 2023.
Le message, en langue ngambaye, contient ces mots, selon la traduction française : "Apprenons-nous les uns et les autres à utiliser une arme à feu. Que ce soit fille ou garçon, que ce soit homme ou femme (...) soyons tous des boucliers protecteurs".
"Aucune preuve tangible"
C'est jeudi que Succès Masra avait pris la parole face à la Cour, vêtu d'une tenue traditionnelle blanche. "Vous avez devant vous un homme qui croit en la Justice. Je ne reconnais aucun des faits qui me sont reprochés".
Le 19 juin, les avocats de Succès Masra avaient déposé une demande de libération provisoire mais elle avait été rejetée. Le 24 juin, 40 jours après son arrestation, l'ancien Premier ministre annonçait dans une lettre écrite depuis sa prison entamer une grève de la faim.
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Vendredi, les avocats du chef du parti d'opposition Les Transformateurs affirmaient qu'aucune preuve tangible n'avait été présentée à la Cour depuis le début du procès mercredi.
Ils déclaraient ceci : "Nous sommes à la recherche d'un lien qui pourrait relier les accusés à la scène de crime, mais nous sommes restés sur notre soif".
De farouche opposant à Premier ministre
Rentré d'exil en novembre 2023 après un accord avec le régime du général Mahamat Idriss Déby Itno, président de transition, Succès Masra était nommé Premier ministre de transition. Cinq mois plus tard, en mai 2024, il se présentait à l'élection présidentielle qu'il perdait face au président tchadien, proclamé vainqueur avec plus de 60% des suffrages.
Avant cela, il était connu surtout pour son opposition farouche au président tchadien Idriss Déby puis à son fils Mahamat, proclamé président de transition par une junte militaire en 2021 à la mort de son père en avril 2021 après 30 ans de pouvoir sans partage. Incarnant une nouvelle génération d'opposants, Succès Masdra a fait des études à Sciences Po Paris et Oxford.
En 2018, il quitte son poste à la Banque africaine de développement (BAD) pour lancer son mouvement, baptisé Les Transformateurs. Il a alors 37 ans, et il a été directement touché par la modification constitutionnelle de 2018 qui a fait passer l'âge minimum pour se présenter à l'élection présidentielle de 35 à 45 ans.
Succès Masra suit une ligne radicale. Son parti s'inscrit résolument au sein de l'opposition tchadienne, notamment comme membre de la coalition Wakit Tamma, un collectif de partis et d'associations de la société civile. Ils boycottent le dialogue de réconciliation nationale.
La répression vire au massacre le jeudi 20 octobre 2022 lors d'une manifestation contre le maintien des militaires au pouvoir. Ces derniers venaient de faire prolonger de deux ans une transition de 18 mois au terme de laquelle ils avaient initialement promis de rendre le pouvoir aux civils par des élections.
Une cinquantaine de personnes ont été tuées ce jour-là selon les autorités, entre une centaine et 300 selon l'opposition et des ONG locales et internationales, pour la quasi-totalité des jeunes manifestants tués par balles par les militaires et les policiers, essentiellement à N'Djamena.
Quelques jours après, Succès Masra est contraint de s'exiler, comme plusieurs autres leaders de l'opposition. Un an plus tard, grâce à la médiation de la RDC, l'accord de Kinshasa du 31 octobre 2023 lui permet de rentrer le 3 novembre à N'Djamena "dans la sécurité juridique et physique", "garantissant le libre exercice de ses activités politiques". Succès Masra promettait alors de "continuer le dialogue (..) en vue d'une solution politique pacifique" au Tchad.
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