Les violences obstétricales et gynécologiques, un enjeu majeur de santé publique au Sénégal

Par Terriennes
Par Isabelle Mourgere


En cette journée du 4 septembre, journée internationale pour la santé sexuelle, état des lieux de la situation au Sénégal dans le cadre de la campagne "Notre corps, notre santé". Entre prise de conscience et obstacles, Aminata Baldé, militante de terrain, confie à Terriennes quelles sont les priorités dans la lutte contre les violences obstétricales et gynécologiques dans son pays.

En cette journée du 4 septembre, journée internationale pour la santé sexuelle, état des lieux de la situation au Sénégal dans le cadre de la campagne "Notre corps, notre santé". Entre prise de conscience et obstacles, Aminata Baldé, militante de terrain, confie à Terriennes quelles sont les priorités dans la lutte contre les violences obstétricales et gynécologiques dans son pays.
"Notre corps, notre santé" sonne comme un slogan. Il s'agit d'un programme de lutte contre les violences gynécologiques et obstétricales (VGO) au Sénégal.
Ce projet entend alerter sur un problème épidémique encore peu reconnu comme enjeu majeur de santé publique, malgré son rôle dans les décès maternels et infantiles, qui pourraient être évités.
Notre corps, notre santé
Cette initiative reprend le titre de l'ouvrage de Fatou Sow, journaliste, sociologue, chercheure, féministe et militante des droits humains. Notre corps, notre santé a marqué des générations de femmes en Afrique subsaharienne en offrant un regard neuf sur leur santé et leur sexualité.
20 ans après, une nouvelle édition est en préparation. Un comité intergénérationnel et pluriel repense cet héritage pour l’adapter aux enjeux d’aujourd’hui. En s’appuyant sur une diversité de voix et d’expériences, ce projet vise à faire évoluer les connaissances et les pratiques en matière de santé sexuelle et reproductive des femmes.
Objectif : documenter les expériences des femmes face aux violences médicales et fournir un outil de plaidoyer féministe adapté aux contextes africains actuels, incluant un volet sur la santé sexuelle.

Parmi les militantes appelées à documenter ces recherches, Aminata Baldé. Actrice de terrain, elle cherche à faire avancer les mentalités sur ces questions dans son pays, le Sénégal. Elle répond aux questions de Terriennes.
Terriennes : D'où vient l'idée de cette campagne ?
Aminata Baldé : Notre projet de lutte contre les violences gynécologiques obstétricales entre dans le cadre général de lutte contre toutes les formes de violences que les femmes vivent au quotidien. Car les femmes nous disaient tout le temps qu'elles n'avaient pas toutes les informations concernant la santé sexuelle et reproductive, surtout lorsqu'elles avaient des besoins liés à la planification, notamment quand elles vivent dans des zones plus reculées, hors de Dakar par exemple.

Ça concerne la contraception par exemple ?
Oui. Parce que parfois on peut se rendre dans un poste de santé et n'avoir accès qu'à quelques méthodes contraceptives, alors que la femme a d'autres besoins beaucoup plus spécifiques. Et puis il faut savoir qu'avec le système patriarcal, la femme peut être obligée de partir avec son mari, ou bien avec l'aval de son mari. Si ce n'est pas le cas, la femme peut ensuite avoir des problèmes avec les méthodes qui sont disponibles, alors qu'elle voudrait avoir d'autres méthodes beaucoup plus discrètes.
Dans le cas de violences obstétricales ou gynécologiques se pose souvent la question du consentement. C'est un sujet dont vous arrivez à parler avec elles ?
Nous avons mis en place des cercles de parole qui nous permettent de discuter avec les femmes dans des groupes restreints, dans un environnement sécurisé, et cela leur donne un espace où elles vont s'exprimer, sans pour autant être jugées ou qu'il y ait une discrimination. Cela nous permet d'aborder la question du consentement.
Nous leur posons la question : par exemple, lorsque vous allez dans les structures de santé, avant qu'on vous administre des pratiques, ou bien qu'on fait des soins sur votre corps, est-ce qu'on vous demande votre consentement ?
Elles vont te dire non, parce que nous, dans notre conscience, on se dit que tout ce que le personnel soignant fait sur mon corps, c'est quelque chose qui est déjà au préalable réfléchi, et c'est quelque chose qui est normal, alors que tel n'était pas le cas. Donc, il faut régulièrement revenir sur le consentement, qui doit être libre et éclairé pour chaque femme. Si je suis dans une structure de santé, mon consentement doit être primordial avant tout acte de soins.
Et les hommes dans tout ça ? Est-ce qu'il y a une prise de conscience de leur côté des violences que peuvent subir les femmes à ce niveau-là ?
Oui, il y a une prise de conscience au niveau des hommes. Il y a des associations qui travaillent avec les hommes sur les masculinités positives et leurs responsabilités par rapport à ces violences. Parce que parfois, lorsque même ces hommes sont au niveau des structures de santé avec leurs femmes, les prestataires de soins utilisent les hommes pour infantiliser les femmes.
Donc, c'est quelque chose dont ils doivent avoir conscience et se dire que la femme avec laquelle je suis a son mot à dire sur tout ce qui est en rapport avec sa santé sexuelle et reproductive.
Le regret, c'est qu'il s'agit de projets locaux, il faudrait élargir ces initiatives au niveau national pour avoir beaucoup plus d'impact sur tout ce qui est cette conscientisation de la violence et pour permettre aussi aux hommes d'être impliqués dans ce processus.
Grâce aux formations dont les hommes ont pu bénéficier, ils se rendent plus compte de cette charge mentale et physique que les femmes endurent et de toutes les difficultés qu'elles affrontent dans les structures de soins.
Au Sénégal, c'est les hommes qui décident, c'est eux qui ont le pouvoir économique, mais aussi le pouvoir décisionnaire sur les femmes. Donc ça serait beaucoup plus impactant pour la satisfaction des besoins des femmes sur la santé sexuelle et reproductive, d'impliquer les hommes et qu'il y ait une prise de conscience chez eux pour qu'ils puissent accepter que c'est une question personnelle que la femme doit prendre elle-même.
Beaucoup d'hommes restent réfractaires à ces idées-là. Quels sont ces obstacles ?
A Dakar et dans les régions, il peut y avoir une différence parce que les réalités socio-culturelles ne sont pas les mêmes. Aussi, il y a l'aspect de la religion. Certains hommes se basent sur la religion pour dire que leur femme ne fera pas telle pratique. Hélas, les conséquences de ces choix impactent la femme. Parce que s'il y a des grossesses, précoces, illicites, s'il y a des complications au cours de l'accouchement, c'est la femme qui va risquer sa vie.
Il y a aussi le sujet de l'excision. Est-ce que ça entre dans le cadre de vos actions ?
Bien sûr, ça entre dans le cadre de nos actions parce que les mutilations génitales féminines, ce sont des pratiques qui sont toujours présentes ici au Sénégal.
Il faut une meilleure sensibilisation et aussi impliquer la communauté dans ces processus que les ONG et les organisations mettent en place pour la lutte contre les MGF. Il faut les mettre face aux faits, et insister sur les conséquences que cela peut engendrer sur le plaisir sexuel de la femme parce que c'est plus lié à l'aspect de la sexualité. Mettre en avant l'aspect du plaisir dans la sexualité, cela relève aussi d'une éducation sexuelle de base. Parce que je pense qu'il y a beaucoup de choses qu'on devrait aborder dès le bas âge sur l'éducation sexuelle pour permettre à toutes ces femmes d'avoir un aperçu ou bien des acquis sur tout ce qui est en rapport avec le plaisir sexuel.
Mais les réalités socio-culturelles de notre pays parfois font que c'est compliqué et sur la manière dont il faut aborder ce genre de sujets avec des communautés qui sont réticentes sur la question.
Est-ce qu'il y a une évolution aussi à ce niveau-là et au lien que cela établit avec la santé sexuelle des femmes ?
Quand on regarde le système sanitaire du Sénégal, nous observons une certaine évolution. Mais il reste beaucoup à faire concernant la médicalisation excessive qu'il y a autour du corps de la femme. Il faut qu'on en parle avec les personnes soignantes et revoir des soins humanisés pour permettre à toutes ces femmes d'avoir de belles expériences lorsqu'elles sont dans les structures de santé.
Parce que les structures de santé aussi sont à l'origine de plusieurs violences. Le projet de lutte contre les violences gynécologiques du projet "Notre Corps, Notre Santé" nous a montré cela avec l'étude que nous avons faite.
Tous les prestataires de santé devraient avoir conscience que le consentement est primordial. Si une personne ne veut pas avoir tel soin ou tel soin, c'est à elle-même de choisir mais aussi quel prestataire va la soigner.
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Qu'est-ce qui vous a menée, vous, à vous engager ?
C'est de voir tous les jours des femmes souffrir. Et qu'il n'y a pas de réponse à cette souffrance. Je me suis dit qu'il était temps de m'engager pour ma communauté.
En tant que jeune activiste féministe, tout ce qui concerne la santé de la reproduction est un défi qu'il faut relever ensemble, entre femmes, en renforçant la sororité entre nous, et se dire qu'il y a des stéréotypes qui sont déjà là, et qu'il ne faut pas accepter ça, mais aussi véhiculer le bon message, véhiculer le message qui va aider toutes ces femmes qui sont en difficulté, et qui n'ont pas la voix pour s'exprimer.
Et c'est facile d'être militante au Sénégal aujourd'hui ?
Je ne dirais pas difficile, car on arrive à avoir des espaces où on s'exprime, où on arrive à s'organiser en réseau, notamment via un consortium avec d'autres féministes de l'Afrique de l'Ouest, et ça c'est un atout parce que nous avons notre propre espace.
Malgré le fait qu'il y a beaucoup de contraintes liées à la situation politique du pays, liées aux réalités socioculturelles, nous savons quelle voie et moyen faire pour s'adapter et s'en sortir, et avoir un résultat sur nos combats de tous les jours.
Et est-ce que vous vous êtes sentie menacée parfois dans votre mission ?
Menacée ? Non, pas du tout. Au sein du Réseau Ouest Africain des Jeunes Femmes Leaders au Sénégal, nous allons à la rencontre de populations vulnérables, et nous arrivons vraiment à faire des interventions, parfois même dans des zones religieuses, donc vraiment, pour l'instant, nous n'avons pas dû faire face à de réelles difficultés.
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