À Rivesaltes, stupeur et colère chez les harkis apprenant le transfert des corps de leurs proches
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Des familles de harkis ont laissé exploser leur colère vendredi à Rivesaltes (Pyrénées-Orientales), en apprenant que leurs proches, décédés et enterrés sans sépulture dans le camp où ils étaient parqués, avaient été exhumés et déplacés il y a quatre décennies.
"Je suis choquée", a lancé Djamila Attout. "Vous imaginez, on a éventré leurs tombes!", s'est-elle exclamée la voix pleine de colère. "Pourquoi n’a-t-on pas pris attache avec les familles?"
Son oncle fait partie des 60 harkis, dont 52 bébés, morts dans le camp Joffre de Rivesaltes après l'indépendance de l'Algérie, et dont les corps n'ont jamais été retrouvés.
À l'automne dernier, des tombes ont été découvertes lors de fouilles dans le camp demandées par les familles, mais elles étaient dépourvues d'ossements.
La ministre déléguée aux anciens combattants Patricia Miralles (C), le maire de Rivesaltes André Bascou (D), le maire de Perpignan Louis Aliot (G) et le préfet de la région des Pyrénées-Orientales Thierry Bonnier (2e D) lors d'une table ronde à la mairie de Rivesaltes dans les Pyrénées-Orientales, le 21 février 2025
Lors d’une réunion qui s’est déroulée vendredi dans une ambiance tendue, le maire de Rivesaltes, André Bascou, en poste depuis 1983, a reconnu pour la première fois que les 60 dépouilles avaient en fait été exhumées du camp, où elles étaient enterrées sans sépulture, et déplacées au cimetière communal Saint-Saturnin en septembre 1986.
L’édile octogénaire, qui disait jusqu'ici ne plus se souvenir, a affirmé avoir retrouvé, ces dernières semaines dans les archives municipales, la trace du déplacement des corps.
Excuses aux familles
Dans la salle de la mairie, M. Bascou a présenté ses excuses aux familles, regrettant de ne pas les avoir contactées "à l'époque" et de ne pas avoir fait "vérifier la procédure" menée alors, selon lui, par son adjoint en charge des cimetières.
"Ma plus grande faute est de ne pas avoir suivi de façon plus précise, il y a 40 ans, jeune maire, le déroulement de ces opérations", a-t-il déclaré ensuite à l'AFP.
Après l'indépendance de l'Algérie en 1962, 21.000 harkis - ces Français musulmans recrutés comme auxiliaires de l'armée française pendant la guerre - et leurs familles ont transité par le camp de Rivesaltes, près de Perpignan.
Entre 1962 et 1965, au moins 146 d'entre eux sont décédés sur place ou à l'hôpital de Perpignan, dont 101 enfants.
Table ronde avec le maire et le ministre délégué aux Anciens Combattants, plusieurs mois après la découverte de tombes d'enfants Harkis lors de fouilles, mais sans ossements, à Rivesaltes, le 21 février 2025
Or, six décennies plus tard, les proches des 60 harkis morts dans le camp cherchent toujours à leur offrir une "sépulture digne".
"On attend de savoir définitivement où sont passés nos défunts", s'insurge Rachid Mazouz, dont la sœur est décédée à l’âge d’un mois.
"C’est une promesse que j’ai faite à mes parents décédés, qui n’ont pas pu voir la sépulture de leur enfant", ajoute M. Mazouz, qui voudrait que sa sœur soit enterrée dans les Alpes-de-Haute-Provence avec ses parents.
Les familles se sont rendues pour la première fois sur le cimetière de fortune creusé dans le camp où des fouilles ont été menées à l'automne 2024. À ce jour, 27 fosses ont été mises au jour.
"Où sont-ils ?"
"On voit bien que la terre a été remuée", a témoigné de son côté Ali Amrane, dont le frère jumeau a reposé sur le site. "C’est une preuve matérielle pour nous, on voit que des restes humains ont été enterrés" là, a-t-il déclaré à l'AFP.
Mais "le maire nous doit encore des réponses concernant l’exhumation des corps. Où sont-ils actuellement? Où sont-ils dans le cimetière ? On veut savoir où sont les restes des corps", a-t-il martelé.
"Maintenant j’attends du maire qu’il nous amène les éléments administratifs certifiant qu’il y a bien eu exhumation", a ajouté ce fils de harkis qui réfléchit à saisir la justice.
La ministre délégué aux Anciens Combattants, plusieurs Paricia Miralles rencontre des familles de harkis à Rivesaltes, le 21 février 2025
Les questions des familles sur un arrêté municipal autorisant ces transferts sont restés sans réponse, le maire assurant ne pas avoir signé un tel document.
Pourtant, des pièces remises vendredi à l'AFP et d'autres médias par Ali Amrane attestent d'une correspondance du maire avec l'administration militaire qui gérait le camp et le département entre 1983 et 1986 au sujet du transfert des dépouilles.
Venue pour l'occasion, la ministre déléguée en charge de la Mémoire et des Anciens combattants, Patricia Mirallès, qui avait demandé des fouilles en octobre 2023, a également réclamé que le maire fasse "la lumière sur tout ce qui s'est passé, avec des archives que nous avons nous-mêmes retrouvées au ministère des Armées".
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