"Nous devenons des cibles en exerçant notre métier": informer à Gaza, une mission impossible?

Par Océane Bourdenet


Deux ans après les attaques du Hamas contre Israël, 220 journalistes ont été tués par l'armée israélienne dans la bande de Gaza. Sur le plateau de TV5MONDE, lundi 6 octobre, quatre reporters ont témoigné des conditions de travail de ces correspondants gazaouis. Selon le directeur de Reporters sans frontières, une campagne de discrédit de l'armée israélienne rend possible "un permis de tuer" ces journalistes.

Deux ans après les attaques du Hamas contre Israël, 220 journalistes ont été tués par l'armée israélienne dans la bande de Gaza. Sur le plateau de TV5MONDE, lundi 6 octobre, quatre reporters ont témoigné des conditions de travail de ces correspondants gazaouis. Selon le directeur de Reporters sans frontières, une campagne de discrédit de l'armée israélienne rend possible "un permis de tuer" ces journalistes.
"Avant, on couvrait l'information. Aujourd'hui, nous sommes l'information", explique Rami Abou Jamous, journaliste à Gaza, en direct sur le plateau de TV5MONDE. "On est à la fois reporters et sujets. Non seulement nous rencontrons des difficultés pour travailler, mais en plus, nous devenons des cibles en exerçant notre métier", confie-t-il.
Depuis les attaques du 7 octobre 2023, 220 journalistes ont perdu la vie dans l'enclave palestinienne, selon les chiffres de Reporters sans frontières (RSF). Thibaut Bruttin, directeur de l'ONG, a déclaré sur notre antenne détenir des preuves selon lesquelles 56 d’entre eux ont été tués dans l’exercice de leurs fonctions.
Il estime que la Cour internationale de justice (CIJ) devrait enquêter sur la mort de ces journalistes palestiniens, les seuls autorisés à couvrir le conflit depuis la bande de Gaza. "Ce que nous savons après 40 ans d'existence à Reporters sans frontières, c'est que ceux qui paient le prix le plus lourd sont les journalistes locaux, ceux qui travaillent dans leur propre pays", affirme-t-il.
Présente également sur le plateau de TV5MONDE, la journaliste Hélène Lam Trong, co-réalisatrice du documentaire Inside Gaza et lauréate du prix Albert Londres en 2023, a expliqué que les conditions de travail des journalistes palestiniens étaient une "atteinte à la liberté d'informer". Elle interroge: "Qui peut travailler pendant deux ans sans repos, sans maison, en pleurant sa famille?".
"Les yeux et les oreilles de la communauté internationale"
Les journalistes internationaux ne sont pas autorisés à se rendre dans la bande de Gaza. Les reporters palestiniens sont donc "les yeux et les oreilles de la communauté internationale", selon Thibaut Bruttin. "Ils sont la garantie de la sauvegarde de la population civile face a de potentiels crimes de guerre. Et la campagne de discrédit qui a été menée contre eux était injuste et infondée", assure-t-il.
Mohammed Abed al-Baba, photographe à l'Agence France-Presse (AFP) depuis près de 20 ans, a été la cible d'une campagne de discrédit. Après la publication, à Gaza, d’une de ses photos montrant un bébé mort, l’armée israélienne a affirmé qu’il s’agissait d’une poupée.

Dans le documentaire Inside Gaza, il raconte: "Le lendemain des déclarations de l’armée israélienne, j’ai été submergé d’appels du Washington Post, du New York Times, du Wall Street Journal. Toute la presse internationale m’a demandé des preuves que ce n’était pas une poupée."
"Un permis de tuer" les journalistes palestiniens
Selon Yann Olivier, journaliste et co-réalisateur d'Inside Gaza les journalistes palestiniens sont des journalistes. "Il y a des gens qui prétendent qu’à Gaza il n’y a pas de journaliste et qu’il n’y a que des militants du Hamas", explique-t-il sur le plateau de TV5Monde. "Il y a des journaliste à Gaza qui ont une éthique de leur métier, qui sont attachés au journalisme de faits, qui le font avec professionnalisme, et qui aussi éprouvent ce besoin de témoigner."
Un point de vue partagé par Hélène Lam Trong, co-réalisatrice d’Inside Gaza: "Après la campagne de discrédit menée par l’armée israélienne, ce sont les médias eux-mêmes qui se sont mis à douter. C’est fou d’en être arrivé là. Ce sont pourtant des journalistes aguerris, formés", rappelle-t-elle.
Face à elle, Thibaut Bruttin va plus loin et affirme que cette campagne de discrédit revient à accorder "un permis de tuer les journalistes palestiniens". L’armée israélienne, de son côté, justifie son action en déclarant qu’elle ne peut garantir la sécurité des journalistes à Gaza. Une défense que Thibaut Bruttin qualifie de "stratégie" et qu’il dénonce fermement. Il appelle également le gouvernement de l'État hébreux à ouvrir la bande de Gaza à la presse étrangère.
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