"Tchiromavirus", "tchiromania": la candidature d'Issa Tchiroma Bakary a le vent en poupe au Cameroun
Par Christian Eboulé
Ce lundi 6 octobre, le quotidien camerounais Le Jour a été le premier à titrer en Une "Tchiromavirus", afin de souligner le nombre important de participants aux meetings de l'ancien ministre et désormais opposant Issa Tchiroma Bakary. Le politologue camerounais Aristide Mono, "favorable à sa candidature", décrypte ce nouveau phénomène pour TV5MONDE.
Ce lundi 6 octobre, le quotidien camerounais Le Jour a été le premier à titrer en Une "Tchiromavirus", afin de souligner le nombre important de participants aux meetings de l'ancien ministre et désormais opposant Issa Tchiroma Bakary. Le politologue camerounais Aristide Mono, "favorable à sa candidature", décrypte ce nouveau phénomène pour TV5MONDE.
La présidentielle au Cameroun se déroule ce dimanche 12 octobre. Dix candidats, dont l'actuel président Paul Biya au pouvoir depuis 1982, se présentent pour cette élection. Parmi eux: l'ancien ministre de l'Emploi et de la Formation professionnelle, Issa Tchiroma Bakary, désigné à la mi-septembre comme le "candidat consensuel d'une partie de l'opposition".
S'il n'a toujours pas réussi à s'allier avec l'un de ses concurrents, une partie de la presse camerounaise parle déjà de "Tchiromavirus", au regard de l'influence de ses derniers meetings, le 3 octobre à Yaoundé et le 4 à Douala.
TV5MONDE: Depuis quelques jours, les sorties publiques d'Issa Tchiroma Bakary, leader du Front pour le salut national du Cameroun (FSNC) et candidat à la présidentielle du 12 octobre prochain drainent des foules imposantes, au point où le quotidien Le Jour a titré ce lundi 6 octobre: "Tchiromavirus". Pour quelles raisons?
Aristide Mono: "Quatre éléments doivent être considérés par toute analyse du phénomène Tchiroma, ou ce que je considère comme la 'Tchiromania'. D'abord le solidarisme qui caractérise sa base communautaire, les nordistes, qui sont assez nombreux et très itinérants, d'où leur présence partout sur l'ensemble du territoire national.
Presque tous ces meetings sont portés par cette base communautaire qui, il faut le dire, reste très rationnelle dans son penchant pour ce fils de la région du grand Nord, concurrencé localement par son ancien collègue au gouvernement, Bello Bouba Maïgari, lui aussi candidat officiel à la présidence de la République.
Ensuite, il y a la disqualification arbitraire de Maurice Kamto, le leader de l'opposition dont la candidature a été récusée par le commission électorale et le Conseil constitutionnel. Ce qui a provoqué une sorte de transfert des sympathies revanchardes de ses soutiens vers celui qui semble aujourd'hui porter la même verve politique que lui. Issa Tchiroma est aujourd’hui le bénéficiaire du rejet de la candidature de Maurice Kamto.
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Le dernier facteur n'est autre que le charisme et le discours véhément d'Issa Tchiroma. Il maitrise l'art oratoire et tient un discours sans complaisance aux populations éprises de changement. J'ajoute que son équipe de communication digitale est dirigée par un jeune venu des États-Unis pour la cause. Il assure une bonne production des contenus, ainsi que leur publication sur les réseaux sociaux".
TV5MONDE : Vous étiez au meeting organisé dimanche 5 octobre, à Douala, au Cameroun, par le FSNC, du candidat Issa Tchiroma Bakary, avec une affluence comme on en voit rarement pour l'opposition locale. À quel titre avez-vous participé à cet événement?
Aristide Mono: "J’ai pris part à cet évènement en tant que leader d'opinion, intellectuel engagé et acteur de la société civile, très favorable à la candidature d'Issa Tchiroma. Mon soutien à ce dernier tire sa source de l'élimination arbitraire du principal opposant Maurice Kamto, dont la candidature a été récusée par le commission électorale et le Conseil constitutionnel.

C'est ce qui nous a poussé à nourrir une envie d'en découdre avec le régime le 12 octobre prochain. Seulement, il faut choisir parmi les challengers de l'opposition, celui qui sera en capacité de porter avec force et courage, toute notre détermination. Je crois qu’aujourd'hui, les postures radicales du candidat Tchiroma nous donnent raison".
TV5MONDE: Est-ce que vous faisiez partie du comité d’organisation du meeting? Et comment expliquez-vous une telle affluence, sans interdiction des autorités de la ville?
Aristide Mono: "Bien que très proche de certains cadres de l’organisation, mon action est quasiment autonome. Elle consiste d'abord à trouver les scrutateurs ici et au sein de la diaspora, pour le compte du FSNC. Ensuite, j'essaie d'encourager les jeunes à participer aux grands meetings d'Issa Tchiroma Bakary, tout en faisant du porte à porte pour amener leurs proches à voter pour l'homme. Cette action se mène dans le cadre de la plateforme citoyenne 'La Marée Jaune', dont je suis le promoteur.
Quant aux autorités, toujours au service du pouvoir en place, elles sont tout simplement débordées par les exigences de la campagne électorale, période pendant laquelle elles n'ont pas d’autre choix que de desserrer l’étau répressif contre la liberté de manifester dans l’espace public. Elles sont aussi débordées par la taille des foules que drainent les meetings d’Issa Tchiroma Bakary. Peut-être craignent-elles aussi les risques de dérapage dont l'issue pourrait leur être défavorable".
TV5MONDE: Le candidat Issa Tchiroma a-t-il un programme politique? Est-il sincère lorsqu'il regrette aujourd’hui son long compagnonnage avec le régime en place?
Aristide Mono: "On juge la sincérité d'un homme politique à l'aune de ses actes sur le terrain après l'élection. La campagne électorale reste un moment de propagande, et qui dit propagande dit mobilisation de toutes sortes d’argument pour séduire les potentiels électeurs.
C'est des mois après les scrutins qu'on jauge la sincérité des acteurs. Néanmoins, l'homme dégage une certaine clarté d'un 'born again' dans ses prises de position. Moi personnellement, je crois qu'il faut lui accorder non seulement des circonstances atténuantes, mais aussi une présomption de bonne foi.
J'ajoute qu'Issa Tchiroma a un programme politique dans lequel il préconise, par exemple, une période de transition si jamais il venait à gagner cette élection. Malheureusement, beaucoup y compris parmi ses soutiens, ne s'intéressent pas vraiment au programme, encore moins à la sincérité de ses promesses. Car ils n'attendent en réalité qu'une seule chose: la victoire de Tchiroma sur Paul Biya".
TV5MONDE: Le président Paul Biya est annoncé à Maroua pour son début de campagne. Peut-il enfin rompre l'armure pour parler vrai aux populations qui souffrent? Et peut-on envisager une défaite pour lui au vu de la dynamique Tchiroma?
Aristide Mono: "On aura attendu beaucoup de temps avant de le voir faire enfin sa première activité, deux mois et trois semaines après la convocation du corps électoral. Il s'agit certainement d'une formalité, pour échapper à la critique et justifier sa victoire. Car il serait curieux de voir un candidat gagner une élection présidentielle sans battre personnellement campagne.
Nous sommes tout à fait d'accord qu'une chose est de battre Paul Biya dans les urnes, une autre est de lui faire accepter sa défaite. Il lui sera en effet difficile de laisser ses lieutenants, qu'il avait pris le soin de placer à la tête d'ELECAM et du Conseil constitutionnel, dire la vérité des urnes au cas où il perd.
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Du coup, l'option de l'épreuve de force dans le cadre de la surveillance des votes et la revendication de la victoire, devient plus plausible en cas de hold-up électoral de la part du parti au pouvoir".
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