"Allah est lesbienne": la militante féministe Ibtissame Betty Lachgar condamnée pour blasphème au Maroc

Par Terriennes
Par Liliane Charrier



30 mois de prison : le jugement est tombé ce mercredi 3 septembre à Rabat. À 50 ans tout juste, Ibtissame Betty Lachgar, née d'un père syndicaliste et défenseur des droits humains, milite au Maroc pour les libertés individuelles, à commencer par celles des femmes et des LGBTQ+.
Psychologue clinicienne et psychothérapeute spécialisée en criminologie et victimologie, elle est porte-parole du Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (M.A.L.I), un mouvement féministe universaliste qu'elle a cofondé en 2009 et qui œuvre sur tous les fronts : liberté d'expression, interruption volontaire de grossesse, droits des LGBTQIA+, liberté sexuelle ou laïcité de l'État.
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Parmi ses actions les plus marquantes, un pique-nique organisé en 2009, durant le ramadan, pour défendre le droit de ne pas jeûner et contester l'article 222 du code pénal marocain sanctionnant toute personne musulmane rompant ostensiblement le jeûne en public sans motif religieux valable.
Depuis, son mouvement a mené plusieurs campagnes médiatisées, notamment contre les violences faites aux femmes.
#MuchLoved #censuré au #Maroc . Colère de la féministe @IbtissameBetty Lachgar #prostitution http://t.co/PNFRdyKfHo pic.twitter.com/309GlAsBK6
— TERRIENNES (@TERRIENNESTV5) June 1, 2015
Droit à l'avortement
Toujours en première ligne du combat pour le droit à l'avortement au Maroc, comme en 2015 après la mise à pied du professeur Chafik Chraïbi, un gynécologue de Rabat qui témoignait des drames liés aux IVG clandestines, elle déclarait alors : "Avec le mouvement MALI, le seul mouvement pro-choix au Maroc, nous dénonçons les dangers de l'avortement clandestin et nous réclamons l’abrogation de tous les articles liberticides qui s’y rapportent".
Ou plus récemment, en 2022, après la mort d'une adolescente à la suite d'un avortement clandestin : "Cette tragédie est la conséquence d'un cumul de violences institutionnalisées subies par les femmes", réagissait-elle.
🇲🇦Maroc : le 6 septembre, une jeune fille de 14 ans meurt chez elle après s’être fait avorter clandestinement.
— TERRIENNES (@TERRIENNESTV5) September 23, 2022
▶️Sa mort provoque une vague d’émotion dans le pays.
▶️Un collectif organise une manifestation virtuelle pour réclamer le droit à l’avortement.https://t.co/rRDppEhov5 pic.twitter.com/DUn4L8gGDj
Féministe avant tout
Fin juillet 2025, Ibtissame Betty Lachgar publie sur les réseaux sociaux une image d'elle-même portant un t-shirt où apparait "Allah" suivi de "is lesbian" – détournement d'un slogan féministe bien connu, explique-t-elle.
Pour un slogan féministe et lesbien vieux de près de 45 ans "Dieu est une lesbienne" sur un T-shirt @IbtissameBetty Betty Ibtissame Lachgar coordinatrice de @capp_radfem_, militante qui défend les droits des femmes et lutte contre l'esclavage sexuel qu’est la prostitution au… pic.twitter.com/OAceemQR75
— Françoise Emma Roux (@fe_roux) August 11, 2025
La photo est accompagnée d'un texte qualifiant l'islam de "fasciste, phallocrate et misogyne".
Au Maroc je me balade avec des t-shirts avec des messages contre les religions, l'islam etc. On fait des collages avec @MALImaroc
— I. Betty Lachgar ♀️🔥 (@IbtissameBetty) July 31, 2025
Vous nous fatiguez avec vos bondieuseries, vos accusations. Oui l'islam, comme toute idéoligie religieuse, est FASCISTE. PHALLOCRATE ET MISOGYNE. pic.twitter.com/o7H91acDwo
Menaces et harcèlement
La publication a déclenché de vives réactions sur les réseaux sociaux, certains internautes appelant à son arrestation. Son parcours de militante et de citoyenne l'a pourtant habituée aux insultes et autres menaces, mais sur Facebook, Ibtissame Betty Lachgar dénonce le cyberharcèlement qu'elle subit.
Elle dit avoir reçu "des milliers de menaces de viol, de mort, d'appels au lynchage et à la lapidation".
Enquête et garde à vue
Au fil des années, son militantisme lui a valu plusieurs démêlés avec les autorités, sans qu'elle soit poursuivie. Comme en 2016, lorsqu'elle a été interpellée à Rabat pour trouble à l'ordre public – son entourage avait alors dénoncé une arrestation "injustifiée". En 2018, après une campagne pro-IVG de Mali, elle avait de nouveau été détenue pendant 24 heures, notamment pour "délit d'ivresse" selon la presse locale.
Mais le 8 août 2025, le procureur du roi près le tribunal de première instance de Rabat annonce l'ouverture d'une enquête et le placement en garde à vue de la militante "conformément à la loi", à la suite de la diffusion de la photo contenant "des expressions offensantes envers Dieu" et d'"un texte comportant une offense à la religion islamique".
Le code pénal marocain prévoit une peine de six mois à deux ans de prison et/ou une amende de 20 000 à 200 000 dirhams (environ 2 000 à 20 000 euros) pour toute atteinte à la religion islamique, pouvant aller jusqu'à cinq ans de prison si l'"outrage" est commis par un moyen public, y compris "électronique". Les défenseurs des droits humains dénoncent ce texte de loi qu'ils accusent d'entraver la liberté d'expression.
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#FreeBetty
Son procès pour "atteinte à l'islam" s’était ouvert le 13 août au Palais de justice de Rabat. Reporté au mercredi 27 août, lors de cette audience, ses avocats ont demandé un nouveau délai pour préparer le dossier. L'audience a finalement lieu le 3 septembre. Le tribunal la condamne à 30 mois de prison.
Sa soeur Siam Lachgar, qui vit à Paris, fait part de sa colère : "Elle combat des idéologies, elle n'a jamais combattu des personnes, et encore moins les croyants ou croyantes".
"Remettons le port du t-shirt dans tout le combat de Betty. Quand on connaît la militante et tout ce qu'elle fait au Maroc, pour le Maroc... Elle se bat pour les libertés individuelles, le droit des femmes.", ajoute-t-elle.
De nombreuses voix, à l'intérieur et hors des frontières du Maroc, s'élèvent pour demander sa libération. Une pétition en ligne a été lancée, elle a été signée par près de 4000 personnes.
Atteinte d'un cancer des os, le sarcome d’Ewing à 20 ans, elle porte depuis une prothèse à l'humérus gauche, qu'elle devrait changer car elle risque une grave infection. Ses proches se disent très inquiets quant à son état de santé pendant sa détention.
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