"Certains pays ont peur d'être accusés de propager l'antisémitisme": les sanctions contre Israël divisent l'UE

Par Thomas Ladonne


La proposition de la Commission européenne de sanctionner Israël accentue les divisions des membres de l'Union européenne (UE) au sujet de la guerre à Gaza. Des sanctions économiques et contre des ministres d'extrême droite notamment, ont été proposées ce mercredi 17 septembre. "Les sanctions contre les personnalités sont plus envisageables que les sanctions économiques", explique à TV5MONDE, Patrick Martin-Genier, enseignant à Sciences Po.

La proposition de la Commission européenne de sanctionner Israël accentue les divisions des membres de l'Union européenne (UE) au sujet de la guerre à Gaza. Des sanctions économiques et contre des ministres d'extrême droite notamment, ont été proposées ce mercredi 17 septembre. "Les sanctions contre les personnalités sont plus envisageables que les sanctions économiques", explique à TV5MONDE, Patrick Martin-Genier, enseignant à Sciences Po.
L'Union européenne (UE) est divisée. Depuis qu'une commission d'enquête indépendante de l'ONU a reconnu qu'Israël commettait un "génocide" à Gaza, les dissensions quant à la position de l'UE vis-à-vis du conflit se sont encore davantage endurcies. Ce mercredi 17 septembre, la Commission européenne a proposé une série de sanctions à l'encontre d'Israël.
Sur cette question des sanctions, l'UE marche à deux vitesses. D'un côté, il y a les pays qui se sont affirmés comme dénonciateurs de l'action israélienne à Gaza: c'est le cas de l'Espagne, de l'Irlande, de la Belgique ou de la France. De l'autre côté, il y a les États membres qui sont hésitants à propos de la posture à tenir, comme l'Allemagne ou l'Italie. Sans oublier la Hongrie qui soutient le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu.
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Les sanctions proposées par l'UE sont de deux ordres. Le premier volet est économique: suspendre l'accord d'association entre l'Union et Israël. Concrètement, cela se matérialiserait par une augmentation des droits de douane sur les produits israéliens exportés vers l'UE, au même niveau que tout autre pays ne bénéficiant pas d'accord d'association.
Les produits touchés seraient essentiellement agricoles: les fruits ou produits à base de fruits seraient taxés entre 8% et 40%. Ce qui représenterait un large coût pour Israël. "Il ne faut pas oublier que l'UE est le premier partenaire commercial d'Israël", rappelle à TV5MONDE l'enseignant de Sciences Po, spécialiste des questions européennes et internationales, Patrick Martin-Genier.
Le deuxième volet proposé est d'ordre politique: sanctionner deux ministres israéliens d'extrême droite, Itamar Ben Gvir et Bezalel Smotrich, ainsi que des colons accusés d'exactions en Cisjordanie. "Ce sont manifestement deux ministres extrémistes, qui poussent Benjamin Netanyahu à poursuivre son offensive à Gaza", analyse Patrick Martin-Genier.
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Mais alors, ces sanctions seront-elles mises en place par l'UE? Les modalités diffèrent. Les sanctions économiques doivent être approuvées par une majorité qualifiée, soit 15 États membres, représentant au moins 65% de la population de l'UE. Pour les sanctions envers les individus, c'est l'unanimité des 27 qui est requise.
"Les sanctions contre les personnalités sont plus envisageables que les sanctions économiques", avance l'enseignant à Sciences Po. En effet, "certains États sont hésitants" sur l'aspect économique, selon l'expert. C'est le cas de "l'Allemagne et de l'Italie. Et d'autres sont carrément contre, comme la Hongrie ou la République Tchèque. La majorité qualifiée risque donc d'être difficile à atteindre", poursuit-il.
L'Allemagne et l'Italie hésitent
En Allemagne, la position est très délicate pour des raisons historiques. La mémoire de la Shoah y est omniprésente et est au centre de la culture mémorielle allemande. "Le soutien inconditionnel à Israël se confond à l'intérêt national allemand. C'est pourquoi ils n'ont pas soutenu le boycott d'envoi d'armes à Israël par exemple", explique Patrick Martin-Genier.
Toutefois, depuis début août 2025, l'Allemagne a suspendu ses livraisons d'équipements militaires à Israël jusqu'à nouvel ordre. Cette suspension concerne les armes destinées à l'offensive à Gaza. Selon Euractiv, dans la première moitié de l'année 2025, l'Allemagne a vendu pour près de 90 millions d'euros d'armes à l'État hébreu.
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Le chancelier allemand, Friedrich Merz, opère donc un jeu d'équilibriste. "C'est un dilemme pour lui. Et il sera très critiqué", reprend le spécialiste.
Du côté de l'Italie et de Giorgia Meloni, l'hésitation réside dans la proximité avec le président des États-Unis, Donald Trump. "Elle souhaite se positionner en médiatrice des relations entre l'UE et les États-Unis, alors elle sera assez sensible à la position américaine. Je ne pense donc pas qu'elle sera en faveur des sanctions économiques", conclut Patrick Martin-Genier.
"Une solution finale pour Gaza"
En revanche, les sanctions envers les individus sont davantage susceptibles d'être adoptées, selon lui. "Je ne conçois pas comment certains États pourraient soutenir ces ministres d'extrême droite qui, en fait, souhaitent une solution finale pour Gaza, qui veulent coloniser la Cisjordanie, et qui s'opposent totalement à une solution à deux États. Or, l'UE est très clairement favorable à une telle solution, comme l'a dit la présidente de la Commission européenne", observe-t-il.
Ces deux ministres sont condamnés par la communauté internationale. Il s'agit également de préciser que dans cette série de sanctions politiques, figurent une dizaine de responsables du Hamas, l'organisation qui a perpétré l'attentat terroriste du 7 octobre 2023, ayant fait environ 1200 morts.
The horrific events taking place in Gaza on a daily basis must stop.
— Ursula von der Leyen (@vonderleyen) September 17, 2025
There needs to be an immediate ceasefire, unrestrained access for all humanitarian aid, and the release of all hostages held by Hamas.
The EU remains the biggest donor of humanitarian aid.
We also remain an…
"Il y a une division dans les pays de l'UE. Manifestement, beaucoup d'États ne soutiennent pas la politique de Netanyahu, analyse Patrick Martin-Genier. Il est en train de lier la guerre à sa survie politique. Son objectif est de rester au pouvoir, comme une sorte de garantie de ne pas être ferré devant la justice, mais il sera obligé de comparaître".
Benjamin Netanyahu est notamment mis en cause dans une affaire de corruption, de fraude et d'abus de confiance. Un procès est ouvert depuis mai 2020.
Vers un consensus a minima ?
Une prise de position plus forte semble très peu probable pour les 27. "Il y a une grande gêne des pays européens car ils pensent que s'opposer à Israël peut constituer un motif d'augmentation de l'antisémitisme en Europe. Ils ne veulent pas soutenir la politique jusqu'au-boutiste de Netanyahu, mais certains ont peur d'être accusés de propager l'antisémitisme", considère Patrick Martin-Genier.
La délicatesse de la situation freine donc la possibilité de consensus entre les États membres. Selon Patrick Martin-Genier, le consensus a minima qui pourrait être trouvé est "le soutien du droit d'Israël à se défendre, notamment contre le mouvement terroriste, le Hamas. La mise en place d'un cessez-le-feu à Gaza, tout en proposant de contribuer financièrement à la reconstruction de Gaza. Et enfin, rappeler l'exigence de la libération des otages".
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