Espace pour les minorités ethniques, la culture LGBT+ ballroom s'affirme en France

Par AFP Par Jonathan WIJAYARATNE © 2025 AFP

Elle fait vibrer les communautés LGBT+ dans le monde et a inspiré Madonna, Beyoncé ou Lady Gaga: la ballroom, culture queer mêlant performances, danses et affirmation de soi, présente de longue date à Paris, s'étend en France avec une nouvelle scène à Lille.
Créée aux États-Unis dans les années 1960 par la communauté transgenre noire et hispanique, la ballroom s'est progressivement exportée. Paris abrite depuis le début des années 2010 l'une des plus grandes scènes au monde. Celle récemment lancée à Lille est la première en France à se développer indépendamment de la capitale.
Ce soir d'octobre, dans le Nord, a lieu un "ball" - une compétition - sur le thème d'Halloween.
Robe dorée et talons hauts, Soraya Alaïa s'élance sur la piste au rythme d'une musique house et agite ses bras tendus en l'air. Puis, elle tourne sur elle-même et atterrit au sol sous les "Aaah !" de la foule en liesse qui l'entoure.
L'experte en voguing - une danse urbaine acrobatique - âgée de 33 ans vient d'être proclamée "légende". Ce titre est une consécration pour celle qui évolue dans la ballroom depuis 15 ans et l'a implantée à Lille.
"Quand en 2018 j'ai commencé à enseigner (le voguing), c'étaient des gens qui n'y connaissaient rien. Et je les ai éduqués. Mais je pense que véritablement, ça a explosé en 2024", raconte Soraya à l'AFP, ajoutant qu'aujourd'hui, "les +filles+ (terme désignant les membres de la ballroom, peu importe leur genre, ndlr) sont beaucoup plus confiantes".
"Espace de compétition"

Arrangeant sa coiffure en loge, Kaya L'Eveillé, 25 ans, originaire de Maurice, confie: "Ayant grandi dans un pays où les droits des personnes trans ne sont pas reconnus, la ballroom était pour moi un espace où tout semblait fabuleux et presque irréel".
La ballroom a émergé comme une réponse aux concours de beauté, qui, dominés par les femmes cisgenres - dont l'identité de genre correspond au sexe assigné à la naissance - et blanches, excluaient les minorités ethniques et LGBT+.
"C'est un espace où on célèbre les différents corps, les différentes sexualités", explique à l'AFP Vinii Revlon, "icône" - le plus haut statut - parisienne de la ballroom. Il avertit néanmoins que "c'est avant tout un espace de compétition, avec des trophées et de l'argent à gagner".
La compétition se décline en plusieurs catégories: outre "performance", qui correspond au voguing, elle comprend aussi "runway", où l'on défile comme des mannequins, "face", où on vend sa beauté faciale, ou encore "realness", où on se conforme aux stéréotypes de genre.
"Quand tu passes à côté de quelqu'un qui fait +realness+, tu ne sais pas si c'est une personne trans", détaille Kaya.
"Vraie mixité sociale"
Si Lille est une ville ouverte aux cultures urbaines et queer, comme le hip-hop ou l'art du drag, la ballroom a comblé un manque exprimé par les personnes LGBT+ issues de minorités ethniques, en quête d'un espace propre.
"Combien de fois j'ai entendu des gens avoir des propos racistes dans les milieux LGBT!" déplore Soraya.
"Dans les drag shows (les spectacles d'artistes drag, ndlr) ou le milieu +underground+, on est tous blancs", regrette une Lilloise, Clotilde, qui assiste à son premier "ball", où elle se réjouit de voir "une vraie mixité sociale".
La scène ballroom lilloise s'est construite avec l'implication d'un collectif, rassemblé autour de Soraya, d'une grande diversité aussi bien ethnique que sociale. Aujourd'hui, elle rayonne: au "ball" d'Halloween sont présentes des "filles" de Paris, Bruxelles, des Pays-Bas et au-delà.
"L'ambiance est bien plus conviviale. Je me suis sentie la bienvenue, même si je ne connaissais personne", se réjouit Cleo, une étudiante américano-coréenne vivant à Paris dont c'est le deuxième "ball" à Lille et qui assure vouloir revenir.
Vinii Revlon espère que Lille inspirera d'autres villes pour faire grandir une scène française de la ballroom. Et pourquoi pas répliquer le modèle américain du "+state to state+, où on va de New York à Philadelphia à Washington, D.C. à Atlanta" pour des compétitions entre villes.
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