Abidjan, ville transformée et vitrine pour Ouattara

Par AFP Par Hervé BAR © 2025 AFP

"Miracle" ou simple vitrine? Arrivé au pouvoir il y a 14 ans, après une crise politico-militaire qui avait précipité la Côte d'Ivoire dans le gouffre, le président Alassane Ouattara est le promoteur d'une politique de grands travaux qui, de l'avis de tous, a changé le visage d'Abidjan.
"Nous Ivoiriens on n'imaginait pas qu'on pourrait avoir des ponts, des échangeurs, des grandes routes comme ça!", s'exclame Moustapha, guide touristique, lors d'une longue visite guidée pour l'AFP aux quatre coins de la capitale économique ivoirienne.
Moustapha ne s'en cache pas, il votera "ADO" à la présidentielle de samedi, précisément parce que le président a su mener à bien cette "métamorphose" de la plus grande mégapole de l'Afrique de l'ouest francophone, avec sept millions d'habitants, presque deux fois plus qu'en 2000.
La "métamorphose", ce sont d'abord trois imposants nouveaux ponts qui surplombent les eaux de la lagune Ebrié et une série d'échangeurs routiers.
"China Mall"
Le plus célèbre de ces ouvrages, le pont à haubans inauguré en août 2023, relie le riche quartier de Cocody au Plateau, centre historique des affaires.
Il est devenu l'image de carte postale de la ville, en plus d'être une "attraction magnifique pour les touristes et les familles les jours fériés", sourit Moustapha.

En toile de fond s'élève désormais la "Tour F", un gratte-ciel futuriste en forme de masque africain qui culminera à plus de 400 mètres, dont les ouvriers achèvent de poser les vitres sans teint.
Corollaire de la croissance économique - plus de 6% de moyenne depuis 2012 - et signe de la montée en puissance d'une classe moyenne, les centres commerciaux parsèment la ville.
Onze hypermarchés et 59 supermarchés ont ainsi ouvert en 14 ans, selon le gouvernement, dont des "China Mall" et autre "Foire de Chine", illustrant la présence chinoise grandissante.
Le parc automobile s'est aussi transformé: "Ici tu trouves des voitures de luxe que tu ne vois même pas en Europe", s'amuse Moustapha, au volant de sa Suzuki pot de yaourt.

Ces petites citadines japonaises constituent désormais une grande partie du parc automobile, depuis qu'une loi encadrant les importations a poussé aux oubliettes les "France au revoir", ces antiques occasions venues d'Europe.
La ville s'étend désormais de façon ininterrompue bien plus loin vers l'est, jusqu'à Bingerville, première capitale de la colonie française.
Emprunter la Y4, périphérique en cours d'achèvement, permet de prendre conscience "à quel point la ville a mangé la brousse", souligne notre chauffeur Moustapha.

Elle passe notamment aux abords du grand stade d'Ebimpé (60.000 places), construit pour la CAN 2024, compétition réussie qui a servi de catalyseur à la transformation de la capitale économique.
Dans son bilan pour la présidentielle, le gouvernement a fait état de la réalisation de "277 km de routes", "413 km de voiries" et de "vingt ouvrages" sur le district d'Abidjan entre 2011 et 2025.
"Pinky Club"
Si ce bilan fait l'unanimité, nombreux sont ceux qui déplorent le coût de la vie qu'ils associent à ce développement: "on ne mange pas goudron", entend-on souvent. "Tout est devenu très cher", reconnaît Moustapha.

La location mensuelle d'un studio à Abidjan peut rapidement atteindre le niveau du salaire minimum, légèrement au-dessus de 100 euros.
Plusieurs figures de l'opposition dénoncent une croissance économique inégalement répartie, ou des infrastructures aux retombées sociales limitées, loin des enjeux de réconciliation et de lutte contre la pauvreté.
Derrière ces réalisations, "les inégalités sociales ont persisté. Le chômage des jeunes reste élevé, et les retombées de la croissance n'ont pas toujours atteint les couches les plus vulnérables", pointe la presse locale.
Et dans les quartiers populaires, les plus peuplés, une grande partie des Abidjanais vit encore dans la précarité, les pieds dans la poussière et sous des masures de tôles, loin des villas fastueuses de "Beverly Hills" de Cocody occupées par les ministres et les stars du football.

A l'ouest, l'immense et populaire Yopougon, l'âme festive d'Abidjan, ancien fief des "patriotes" du président déchu Laurent Gbagbo, continue de grouiller telle une fourmilière mais semble aujourd'hui presque rangé.
La célébrissime "rue Princesse", haut-lieu du "coupé-décalé", de la "zougloumania", et de la prostitution, n'est plus que l'ombre d'elle-même. Boulangeries, banals commerces et quincailleries de camelotes bas prix ont remplacé "maquis" (restos) et discothèques, rasés par la municipalité, dont il ne reste que quelques malheureux survivants aux devantures fatiguées, tels le "Full options" ou le "Pinky Club".
"Malaise social"
Dans le sud d'Abidjan, les quartiers expatriés et libanais de Marcory/Zone4, sont écrasés par des immeubles flambants neufs, pâle copie de Dubaï en forme de "Luxury apartments".

Engins de chantiers et ouvriers s'activent pour la construction du futur "métro" d'Abidjan, un train urbain dont les rails sont déjà installés. Promise initialement pour fin 2025, cette ligne unique traversera l'agglomération du nord au sud, sur 18 stations, avec 530.000 passagers quotidiens espérés.
Le métro, la CAN 2024, comme la volonté affichée d'en finir avec les zones "insalubres" et le "désordre urbain" ont justifié la mise en œuvre d'une politique de "déguerpissement" -expulsions forcées- dont la brutalité a été parfois décriée, et qui a affecté au moins 20.000 ménages, dont seule une partie ont été relogés ou dédommagés.
"En 2011, le président Ouattara prend ce pays dans un état totalement délabré (...)", a souligné samedi soir à la télé nationale l'ancien Premier ministre Patrick Achi, mettant en avant l'ambition maintenue pour le prochain quinquennat "de renforcer les infrastructures".

"Ce sont des avancées notables, un gros effort a été fait", commente à l'AFP le député indépendant Antoine Assalé, dont la candidature à la présidentielle a échoué faute de parrainage. "Mais cela ne règle pas les problèmes de la population (...) En réalité, les infrastructures cachent le malaise social".
"Quelle société avons nous bâti pendant quinze ans, quelle est la répartition des richesses aujourd'hui ? Il y a de très grandes frustrations dans ce pays", met en garde le parlementaire.
Yesterday