Au Kenya, cohabitation plus harmonieuse entre faune sauvage et humains dans les réserves
Par AFP Par Eric RANDOLPH © 2025 AFP
Au lever du soleil, des zèbres se réveillent près de huttes habitées, où ils dorment à l'abri des lions. Au Kenya, les réserves animalières, autrefois critiquées parce qu'elles privilégiaient la faune aux humains, prônent désormais leur coexistence harmonieuse.
Agé de 21 ans, Bernard Kirokor, raconte avoir vu une éléphante mettre bas près de son village quelques jours plus tôt. Dans son téléphone, il puise une vidéo de la mère, trompe en l'air comme un périscope, guettant une éventuelle menace pour son éléphanteau.
"Les animaux sauvages sont nos voisins et nous les aimons", sourit-il, alors que les vaches du villages sont traites autour de lui.
Bernard Kirokor vit à Nashulai - qui signifie "coexistence" en maa, la langue locale -, une réserve où quelque 6.000 Massaï, leurs troupeaux et les lions, girafes et autres rhinocéros cohabitent paisiblement.
Fondée en 2016, elle se targue d'être la première structure créée, détenue et gérée par cette communauté sans influence extérieure, où les habitants continuent à vivre sur leurs terres selon leurs traditions.
Des revenus sont générés grâce à un centre de formation situé dans la réserve à travers lequel les habitants apprennent à devenir rangers ou guides touristiques. Des universités y mènent des programmes de recherche.
"Réfugiés" environnementaux
"Nous ne voulons pas créer des réfugiés de la préservation de l'environnement. Les Massaï ont vécu avec la faune sauvage depuis toujours. Pourquoi devrions-nous les déplacer ?", s'interroge auprès de l'AFP Evelyn Aiko, responsable environnemental de Nashulai.
Selon Nelson Ole Reiyia, le fondateur de Nashulai, les Massaï qui y vivent ont aussi voulu s'affranchir des clôtures protégeant les fermes dans la région – qui interrompent les routes migratoires des animaux.
"Il y avait un danger présent et évident de perdre la connexion culturelle avec la terre (...) qui contient toutes nos histoires, cette terre où les os de nos ancêtres sont enterrés", explique-t-il.
Nashulai est gérée par un conseil d'anciens qui décide des zones de pâturage et de conservation. "Cela ravive leur ancienne tradition de gestion et leur lien avec la terre et la faune", se réjouit Ole Reiyia. "Cela leur a vraiment donné beaucoup de fierté."
Le fonctionnement des réserves alentour, qui donnaient auparavant la primauté de la faune sur l'humain, a parallèlement évolué.
"Beaucoup de choses ont changé dans leur gouvernance", affirme Eric Ole Reson, responsable des programmes à l'Association des réserves du Massaï Mara. "Alors que nous nous étendions sur davantage de zones (...), nous ne pouvions pas continuer à déplacer les gens", poursuit-il.
Menaces
Mais Nashulai, qui a reçu plusieurs distinctions internationales, fait face à de nombreux défis, notamment son financement, car son budget dépend pour moitié de bailleurs.
Le réchauffement climatique pose également son lot de complications. Les pluies de plus en plus imprévisibles rendent difficile la planification des zones de pâturage, et par ricochet la coexistence avec la faune sauvage.
La menace la plus immédiate semble cependant provenir des riches opérateurs touristiques voisins : en 2024, un cinquième des Massaï propriétaires fonciers de Nashulai ont accepté de leur louer leurs parcelles et ont déménagé.
"Nos membres sont toujours sous pression parce que des gens viennent nous voir avec des tombereaux d'argent pour établir des camps", soupire Ole Reiyia.
Mais les Massaï jouent désormais un rôle très actif dans la gestion des réserves de la région, siégeant côte à côte avec les entreprises touristiques dans leurs conseils d'administration.
"Ce n'est pas un système à sens unique où quelqu'un dicte les paiements. Ces négociations durent des années et sont ensuite renégociées", affirme l'expert. "Si les gens ne sont pas satisfaits, ils vous le diront."
De nombreux propriétaires Massaï ont ainsi signé de nouveaux baux ces dernières années alors que les accords originaux expiraient, ce qui démontre que "beaucoup de gens estiment qu'ils en ont bénéficié", note-t-il.
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