"Moi j'y crois encore": regards croisés au Québec, 30 ans après le "non" au référendum sur la souveraineté
Par Catherine François
Il y a 30 ans, le 30 octobre 1995, le monde avait les yeux rivés sur le Québec pour le second référendum sur la souveraineté. TV5MONDE a recueilli les témoignages de deux Québécoises, amies de longue date, qui ont joué un rôle important lors de cette campagne référendaire, l'une, dans le camp du oui et l'autre, dans le camp du non. Elles nous livrent leur avis sur un éventuel nouveau vote.
Il y a 30 ans, le 30 octobre 1995, le monde avait les yeux rivés sur le Québec pour le second référendum sur la souveraineté. TV5MONDE a recueilli les témoignages de deux Québécoises, amies de longue date, qui ont joué un rôle important lors de cette campagne référendaire, l'une, dans le camp du oui et l'autre, dans le camp du non. Elles nous livrent leur avis sur un éventuel nouveau vote.
Les Québécois et les Québécoises qui ont vécu le 30 octobre 1995 ne pourront jamais oublier cette journée historique: pour la deuxième fois de leur histoire, ils ont dû décider par référendum s'ils voulaient, oui ou non, que le Québec devienne un pays.
Une journée inoubliable pour moi aussi: tout d'abord parce que c'était la première fois que je votais au Canada, alors que je venais d'obtenir ma citoyenneté canadienne, ensuite parce que j'ai travaillé comme journaliste lors de la soirée électorale du 30 octobre préparée par le Réseau de l’Information de la Société Radio-Canada, qui venait d’être mis en ondes.
Une soirée où le Québec, à quelque 54.000 votes près, a failli devenir un pays... Trente ans plus tard, le Québec se souvient, alors que résonne de plus en plus sur la scène politique québécoise la possibilité de tenir un troisième référendum, advenant le retour au pouvoir du Parti québécois... Je suis allée recueillir les témoignages croisés de deux Québécoises, amies de longue date, qui ont joué un rôle important dans la campagne référendaire, l'une, dans le camp du oui et l'autre, dans le camp du non.
Si proche du but
Le lundi 30 octobre 1995, 4,75 millions de Québécois ont répondu à la question suivante: "Acceptez-vous que le Québec devienne souverain, après avoir offert formellement au Canada un nouveau partenariat économique et politique, dans le cadre du projet de loi sur l'avenir du Québec et de l'entente du 12 juin?". La participation a été massive: 93%. Et le "NON" l'a emporté avec 50,58% des suffrages, une victoire à l’arrachée donc pour le camp fédéraliste. En 1980, lors du premier référendum, la victoire du camp du non avait été nette et sans appel: 59,5% des Québécois avaient rejeté l'option de la souveraineté-association.
Le Québec n'a donc jamais été aussi proche de devenir un pays, une défaite crève-cœur pour les souverainistes, parmi lesquels Louise Beaudoin, qui était alors ministre de la Culture et des Affaires intergouvernementales au sein du gouvernement péquiste de Jacques Parizeau: "J’ai mal vécu cette journée, bien évidemment, même si dans ma circonscription, on a fait 55% pour le oui. Mais le résultat global, ça a bien commencé aux îles-de-La-Madeleine, et plus on avançait, plus ça on venait vers Montréal, incluant Québec, c'était de plus en plus serré. Et puis donc, il nous a manqué quoi, quelque 54.000 votes?".
En revanche, son amie Liza Frulla, qui a occupé différents ministères au sein de gouvernements libéraux au Canada et au Québec et qui était la co-présidente du comité du non, le camp fédéraliste, lors de la campagne référendaire, a poussé un immense soupir de soulagement ce soir-là: le Canada était sauvé.
Oui, moi j'ai eu peur, se souvient Liza, je me souviens d'une période effervescente, parce qu'on était dans l'action, mais aussi émotive et puis aussi de l'inquiétude, inquiétude devant l'inconnu peut-être. Moi aussi je suis nationaliste, j'ai toujours défendu les intérêts du Québec, mais au sein du Canada qui pour moi est un pays formidable.
Les souverainistes avaient pourtant tenté de mettre toutes les chances de leur côté: ils avaient formé une coalition de partis, entre le Parti québécois au pouvoir, l'Action démocratique du Québec, mené par Mario Dumont et le Bloc Québécois de Lucien Bouchard.
"Il y avait 3 joueurs", précise Louise Beaudoin. "Monsieur Parizeau était le chef du oui et cette coalition a permis d’additionner les votes. Et je ne suis pas sûre que le résultat aurait été aussi serré, si Monsieur Parizeau, dans un geste de grande noblesse politique n'avait pas accepté que Lucien Bouchard soit le négociateur en chef avec le Canada advenant une victoire du OUI. Il avait aussi accepté que la question du référendum comprenne un partenariat avec le Canada, tel que demandé par Mario Dumont et Lucien Bouchard". Mais cela n’aura pas suffi pour faire pencher la balance du côté du oui…
Une amitié entre parenthèse pendant la campagne référendaire
Louise et Liza sont des amies de longue date, mais à l'époque, elles ont très sagement convenu de mettre leur amitié entre parenthèse: "Pendant la campagne référendaire", précise Louise, "on s'était dit d'un commun accord, on ne se voit pas, on ne se parle pas parce que cette amitié ne pourra pas traverser une campagne qui va être aussi émotive et difficile à vivre pour chacune d'entre nous".
"Puis on savait que ça serait quand même serré dès le départ, alors on a pris une décision, je crois, très intelligente dans les circonstances. Puis on s'est revu quelques mois plus tard, on a attendu que la poussière soit un peu retombée parce que probablement qu'on aurait pu se disputer justement sur cette affaire référendaire". Sage décision en effet car 30 ans plus tard, les deux femmes sont toujours amies, mais leurs convictions politiques n’ont pas changé!
"Ils ont dépensé trois fois plus d'argent que le camp du oui"
Pour Louise, le camp souverainiste a perdu de peu à cause de trois facteurs: tout d’abord parce qu'il a manqué de votes souverainistes au sein des populations francophones dans les régions de Québec et de la Beauce, ensuite à cause du manque de soutien de la part des différentes communautés culturelles du Québec, enfin, et surtout à cause de l'implication massive du gouvernement canadien, et du premier ministre canadien de l’époque, Jean Chrétien.
"Ils ont dépensé trois fois plus d'argent que le camp du oui, s’indigne Louise, ils n’ont pas respecté la loi de l'Assemblée nationale du Québec qui disait, il y a un camp du non, il y a un camp du oui et chacun doit respecter un plafond de dépenses pour que ce soit le plus égalitaire possible. Donc ils ont dépassé les limites permises. Et c'est Jean Chrétien et sa clique qui, dans le fond, étaient les véritables présidents du comité du non. Et puis ce fameux love-in…"
Ce "love-in", c’est cette immense manifestation qui a été organisée à Montréal le 27 octobre 1995, et qui a rassemblé des dizaines de milliers de Canadiens, venus de partout au pays, pour venir faire une déclaration d’amour aux Québécois et leur dire de ne pas quitter le Canada.
"Qu'est-ce qu'ils connaissent de nous?"
Et c’est Liza Frulla qui l'a animé: "On m’a appelé la veille pour me demander d’aller dans le centre-ville animer ce rassemblement, comme je l'ai fait souvent en tant que vice-présidente du comité du non, mais quand on est arrivé et qu'on a vu la marée humaine, j’ai été la première à dire: oh mon Dieu mais c’est quoi ça?".
"Écoutez, réplique Louise, moi le love-in, je veux bien là qu'une fois tous les 100 ans ils viennent nous dire, les Canadiens anglais, qu'ils nous aiment, mais ça n'a pas duré longtemps leur amour, l'engagement, le grand amour et tout ça, ça a duré 24 h, et moi je le savais que ça ne durerait que 24 h. Parce que si on lit l'histoire du Canada, on voit bien que ce n'est pas le cas et qu'il y a deux solitudes. De toute façon, qu'est-ce qu'ils connaissent de nous?".
"Maintenir la flamme"
Malgré l’amertume de la défaite, le camp souverainiste a accepté le résultat de ce référendum. Le premier ministre Jacques Parizeau a tenu parole, il a démissionné le 31 octobre, le lendemain de la consultation, il avait prévenu qu'il partirait advenant une défaite.
Il a été remplacé par Lucien Bouchard, qui a gouverné le Québec jusqu’en 2001. "On avait la responsabilité", se souvient Louise Beaudoin. "Si on ne démissionnait pas, individuellement ou collectivement, de continuer à faire fonctionner le Québec. Il fallait aller de l'avant, il fallait accepter cette défaite là ou démissionner. Alors on a continué. Moi en tout cas je n'avais pas envie de démissionner, j'avais envie de continuer en maintenant quand même le plus possible la flamme".
Liza souligne de son côté à quel point elle a été fière des Québécois à la suite de ce processus référendaire: "Avec du recul, je ressens une grande fierté, nous avons réussi à passer à travers ce processus dans une paix civile, il n’y pas eu beaucoup de débordements alors qu'il aurait pu y en avoir, on a accepté le résultat et on a respecté la démocratie, et ça, je suis très fière de ce que l'on est comme société québécoise".
Et d'ajouter: "J'apprécie mon pays, le Canada, pour ce qu'il est, d’autant plus quand je compare avec ce qu’il se passe actuellement aux États-Unis, j'apprécie les valeurs de mon pays. Et ce qui est important maintenant, c'est que le Québec, avec tout son potentiel, se doit d'être le leader de ce pays, 30 ans plus tard, c'est comme ça que je vois les choses".
Vers un troisième référendum?
Depuis 18 mois, avec la résurrection du Parti québécois, qui caracole en tête, selon les sondages, dans les intentions de vote des Québécois pour les élections législatives qui vont se tenir dans un an, le mot "référendum" revient en force dans l’arène politique québécoise. Car le chef péquiste, Paul St-Pierre Plamondon, promet de tenir d'ici 2030 un troisième référendum s'il est élu.
Mais les récents sondages nous indiquent que les Québécois ne sont pas chauds à cette option: une enquête menée par la firme Léger pour le Journal de Montréal indique que seulement un électeur sur quatre est favorable à la tenue d’un troisième référendum. Autrement dit, 60% sont contre.
Un autre sondage réalisé en septembre par la maison Pallas Data confirme la tendance, les deux-tiers des personnes interrogées disent ne pas vouloir d’un match revanche. Et si jamais un troisième référendum sur la souveraineté du Québec s’était tenu ces dernières semaines, 65% auraient dit non, 35% oui selon le sondage Léger, et selon le sondage Pallas Data, cela aurait 35% d’appuis au ou, 55% au non et 10% d’indécis ou de discrets.
Bref, si Paul St-Pierre Plamondon devient premier ministre et qu’il maintient le cap sur la tenue de ce troisième référendum, il va y avoir toute une pente à monter pour le camp souverainiste. Et le Québec peut-il se permettre de perdre un troisième référendum sur sa souveraineté? Nombreux sont ceux qui estiment que non, comme Lucien Bouchard, l’ancien chef péquiste et premier ministre québécois, qui a joué un rôle crucial lors du référendum de 95, il a récemment invité le nouveau chef péquiste à renoncer à ce projet.
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Un avis que partage Liza Frulla: "La sagesse qu'on a eue il y a 30 ans, cette même sagesse publique, cette sagesse citoyenne, moi j'y crois encore. Alors je ne crois pas à un 3e référendum dans un avenir immédiat, je ne dis pas jamais, mais dans un avenir immédiat, ce n'est pas possible".
C’est d’autant moins pertinent, ajoute Liza, que le Canada se bat actuellement pour préserver sa propre souveraineté, menacée par Donald Trump, qu’elle qualifie "d'ennemi" du Canada. Louise Beaudoin réplique que, quelles que soient les circonstances, elles ne sont jamais bonnes pour que le Québec accède à la souveraineté et qu’en 1995, c’était le même cas de figure, notamment le fait que plus de 60% des Québécois à l’époque disaient ne pas vouloir d’un référendum.
"Je fais confiance que les bonnes décisions seront prises au bon moment en fonction du bien commun de l'ensemble des Québécois", souligne Louise. Et contrairement à Liza, qui dit qu’elle a déjà donné, elle se dit prête à remonter sur le ring si jamais un troisième référendum se tient: "Certainement et avec le même enthousiasme. Et puis la même conviction. Je viens d’avoir 80 ans et il n’y a rien qui s'est passé depuis pour me faire changer d’idée. Je veux réaliser l'indépendance du Québec pour assurer la pérennité de la nation québécoise, plurielle et majoritairement francophone, sa culture, sa langue, et aussi sa dimension internationale. La terre d'Amérique de langue française, c'est la seule, elle est chez nous, avec les francophones hors Québec. C'est notre distinction, c'est notre différence. C'est la beauté de ce que nous sommes".
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