Japon: Sanae Takaichi, une "Dame de fer" comme première femme Première ministre

Par Terriennes
Par Isabelle Mourgere


Récemment élue à la tête du parti au pouvoir, Sanae Takaichi devient la première femme cheffe de gouvernement au Japon. L'ascension de cette fan de Margaret Thatcher est-elle signe d'avancées pour les droits des Nippones ? Pas si sûr.

Récemment élue à la tête du parti au pouvoir, Sanae Takaichi devient la première femme cheffe de gouvernement au Japon. L'ascension de cette fan de Margaret Thatcher est-elle signe d'avancées pour les droits des Nippones ? Pas si sûr.
"J'ai mis à mal mon équilibre entre vie professionnelle et vie privée et je vais travailler, travailler, travailler". Avec ces quelques mots, prononcés lors de son discours de victoire à la tête du parti au pouvoir au Japon, Sanae Takaichi donne le ton.
Femme politique de 64 ans, aux positions ultra-conservatrices, elle remplace à ce poste le Premier ministre sortant Shigeru Ishiba. Une victoire gagnée après d'intenses tractations politiques qui ont conduit à la formation d'une coalition entre son parti - le PLD - et le Parti de l’innovation, suite au retrait du nouveau parti nationaliste Komeito (traduction: le parti du gouvernement propre, ndlr).
L'Histoire nous dira si l'arrivée inédite et historique d'une femme aux commandes du pays représentera réellement un tournant dans la politique japonaise, largement, pour ne pas dire totalement, dominée par les hommes à ce jour. On peut en douter à la lecture de récents sondages montrant que ses positions socialement conservatrices sont davantage plébiscitées par les hommes que par les femmes.
Margaret Thatcher comme modèle
Née en 1961 dans la ville de Nara, ancienne capitale impériale à l’ouest de l’archipel, Sanae Takaichi grandit dans un environnement provincial, loin de Tokyo et des sphères politiques.
S'intéressant très tôt à l'économie et au journalisme, elle étudie à l’université de Kobe. En 1980, elle part étudier à l’Université du Colorado aux Etats-Unis.
L'université lui donne aussi l'occasion d'exprimer ses talents musicaux comme batteuse dans un groupe de "heavy metal". C'est aussi à cette époque qu'elle fera de Margaret Thatcher, alors Première ministre britannique, son modèle politique.
Revenue au Japon, elle se présente pour la première fois aux élections législatives en 1993. Elle n'a que 32 ans.
Treize ans plus tard, elle est nommée ministre des Affaires intérieures et des Communications dans le premier gouvernement de Shinzō Abe. Elle devient à ce titre l'une des rares femmes à occuper un poste de premier plan dans un cabinet japonais.

Promesse de parité
Durant sa campagne au sein du PLD, Sanae Takaichi a promis d'améliorer la représentation des femmes au sein de son Cabinet pour atteindre des niveaux "comparables à ceux des pays scandinaves".
Espoirs d'ors et déjà déçus: la nouvelle dirigeante nippone n'a nommé deux femmes ministres à son gouvernement: l'ultra-conservatrice Satsuki Katayama prend le portefeuille des Finances, et Kimi Onoda, à la Sécurité économique.
De quoi confirmer les craintes de Sadafumi Kawato, professeur émérite de l'Université de Tokyo. Si, selon lui, son élection représente "un pas en avant pour la participation des femmes en politique", celle-ci a montré jusqu'ici peu d'inclination à lutter contre les normes patriarcales.
A l'image de ses prises de position sur le genre, qui la placent à la droite d'un parti déjà conservateur. Elle s'est notamment opposée à la révision d'une loi du XIXe siècle qui exige des couples mariés qu'ils partagent le même nom de famille, généralement celui de l'homme. Question qui "ne sera probablement pas résolue pendant son mandat", prédit le professeur.

Le Japon "de retour"?
Personnalité politique aguerrie, la nouvelle Première ministre japonaise se positionne comme une tenante de la ligne dure, axée sur la défense nationale et la sécurité économique.
Elle n'hésitera pas à demander la renégociation des droits de douane avec les États-Unis si certaines parties de l'accord étaient "injustes ou préjudiciables" pour le Japon, comme elle l'a annoncé récemment dans les médias.
"Elle prévoit avec son allié de revoir la Constitution pacifiste du Japon et d'augmenter le budget de l'armement pour faire face au risque de la Chine", nous précise Philippe Dova, correspondant de TV5monde en Asie, qui a vécu plusieurs années au Japon. "Ça s'appelle du réarmement, une vieille ficelle pour désigner un ennemi et faire oublier à la population la baisse de son pouvoir d'achat!", commente-t-il.
Même fermeté sur la question de l'immigration. Cette fille de policière a exprimé sa vive inquiétude concernant la criminalité et l'influence économique des étrangers au Japon. Elle a d'ailleurs appelé à un durcissement des règles relatives à l'achat de biens immobiliers les concernant.
"Le Japon est de retour !", tel est le message qu'elle entend porter à l'étranger, où elle a dit vouloir se rendre plus souvent pour représenter haut et fort les valeurs nippones.

Le Japon, un pays en retard pour les femmes
Au Japon, les femmes ont pu retrouver une certaine égalité théorique de droits avec les hommes après la Seconde guerre mondiale grâce à la Constitution de 1947. Elles obtiennent le droit de vote cette année-là.
En 1986, la loi sur l'égalité des chances supprime l'obligation légale pour les femmes de quitter leur emploi lors du mariage ou à la naissance de leur premier enfant.
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D'autres réformes ouvrent les établissements d'enseignement aux femmes et exigent -sur le papier- que les femmes reçoivent un salaire égal pour un travail égal. Seulement en 2025, les Japonaises gagnent toujours 25 % de moins que les hommes en moyenne. Un monde du travail qui reste considéré comme un univers sexiste.

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118e au classement mondial de l'égalité
Aujourd'hui encore, les femmes restent rares dans la politique nippone et les conseils d'administration des entreprises japonaises. La Chambre basse du Parlement ne compte que 15% de femmes. L'archipel se classe 118e sur 146 dans le rapport 2025 du Forum économique mondial sur l'égalité des sexes.
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Le droit à l'avortement n'est pas pleinement octroyé aux femmes car soumis à conditions. Et si le pays a rendu légale l'utilisation de la pilule abortive depuis 2023, dans les faits, elle reste difficilement accessible en pharmacie. Quelque 150 000 IVG sont pratiquées chaque année au Japon.

Femme autodidacte issue d’un milieu modeste, ayant gravi un à un les échelons d’un monde politique masculin, Sanae Takaichi s’inscrit avant tout dans la continuité du courant conservateur.
"La Dame de fer nippone a finalement réussi à trouver une alliance avec un parti d'opposition, sur un programme pas vraiment pacifiste ni centriste", analyse Philippe Dova.
Ce qui n'est pas forcément une bonne nouvelle pour les féministes japonaises, qui ont dû batailler dur pour faire entendre la voix de leur #metoo.
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