Afrique du Sud: Zanele Muholi, la photo pour se réapproprier son identité

Par AFP Par Bronwen Roberts © 2025 AFP

La photographie l'a sauvée du suicide. Désormais, l'artiste visuelle sud-africaine Zanele Muholi utilise son succès pour aider et faire connaître les autres.
Révélée par ses portraits saillants de la scène noire LGBTQ+, Zanele Muholi a exposé partout dans le monde, au Tate Modern de Londres, à la Fondation Vuitton à Paris ou encore au musée d'Art moderne de San Francisco.
Son emploi du temps mené tambour battant témoigne de sa renommée internationale : la quinquagénaire travaille sur un projet portant sur l'eau au Panama, collabore avec une ONG londonienne pour une exposition le mois prochain tout en inaugurant une nouvelle au Portugal.
Malgré cette suractivité, il était inimaginable pour Zanele Muholi de manquer la conférence sur les femmes noires dans la photographie la semaine dernière à l'école du centre-ville de Johannesburg où elle a débuté il y a 22 ans.
Même une hospitalisation au Panama, après une chute dans un tas de déchets médicaux et une piqure de seringue au passage, n'a pu empêcher son retour.
"Je suis reconnaissante d'être en vie", livre-t-elle à l'AFP, ses habituelles dreadlocks dépassant de son chapeau melon.
C'est ici, au Market Photo Workshop, que Zanele Muholi s'est lancée dans la photographie. Elle avait déménagé dans la capitale économique du pays à l'âge de 19 ans après avoir traversé une série d'épreuves dans la province du sud-est du pays où elle est née.
"J'étais au bord du suicide," raconte-t-elle. "On m'a dit que c'était soit la thérapie, soit je trouvais quelque chose de créatif pour y faire face. Et puis, on m'a parlé du Market."
Encadrée par le fondateur de l'école, le célèbre photographe David Goldblatt mort en 2018, Zanele Muholi a trouvé son expression en tant qu'"activiste visuelle", produisant un corpus de centaines de portraits en noir et blanc, dont beaucoup d'elle-même.
Appeler les choses par leur nom
Elle a d'abord dirigé son objectif vers les personnes noires LGBTQ+ d'Afrique du Sud, souvent victimes de violences et crimes homophobes, notamment des viols ciblant les femmes lesbiennes, visant à les forcer à se conformer à l'hétérosexualité.
"Maintenant, je m'intéresse à des sujets plus vastes comme l'eau ou le pouvoir, mais les femmes, les enfants, les personnes queer et trans me resteront toujours chers," dit-elle.

L'Afrique du Sud est le seul pays du continent à avoir légalisé le mariage entre personnes de même sexe, et sa constitution post-apartheid de 1996 consacre l'orientation sexuelle comme un droit humain.
Mais trente ans après la fin du régime de la minorité blanche, le pays est le plus inégalitaire au monde et les violences envers les femmes y prospèrent sur le terreau d'une criminalité élevée.
"Il y a une haine endémique, des violences sexistes", observe Zanele Muholi, tout en soulignant que son pays regarde ce mal dans les yeux.
"Ce que j'aime le plus en Afrique du Sud, c'est qu'on peut parler de cette pandémie." Une référence au président sud-africain qui a déclaré ces violences comme tel.
"On appelle les choses par leur nom", retient-elle. "Même s'il y a encore des ratés par moments, il y a bien des lois en place pour nous protéger et protéger les nôtres."
Reconnaître la valeur de l'Afrique
Zanele Muholi -- qui s'identifie comme non-binaire mais utilise les pronoms elle, iel -- mène diverses initiatives pour former des photographes à documenter leurs vies et ainsi se réapproprier le regard extérieur.

"Toute l'idée est de faire en sorte qu'on soit capable d'exprimer clairement nos problèmes et de nous faire entendre haut et fort, sans crainte du regard ou du jugement des autres."
Cela peut s'appliquer tout autant au continent. "(Au-delà) de toutes les choses négatives montrées à la télévision, il y a cette beauté dont on ne parle pas ou que l'on ne mentionne pas quand il s'agit de l'Afrique. Les gens voient l'Afrique comme un lieu primitif qui a besoin d'être sauvé, alors qu'on nous a beaucoup volé,"observe Muholi. "Il est temps que, nous, Africains, réalisions et reconnaissions notre valeur, car l'Afrique est le continent le plus riche."
Le Market Photo Workshop, où Muholi a commencé son ascension est un point de départ. "Quelqu'un m'a sauvée, rappelle-t-elle. A mon tour de sauver beaucoup de vies."
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