Les Vietnamiennes désormais libres d'avoir plus de deux enfants, mais le veulent-elles ?

Par Terriennes AFP
Par Liliane Charrier AFP


Confronté à la baisse du taux de fécondité, Le Vietnam vient de renoncer à sa politique des deux enfants. Voilà qui ne suffit pas à convaincre toutes les femmes de fonder une famille nombreuse, face à la hausse du coût de la vie et aux nouvelles normes sociales.

Confronté à la baisse du taux de fécondité, Le Vietnam vient de renoncer à sa politique des deux enfants. Voilà qui ne suffit pas à convaincre toutes les femmes de fonder une famille nombreuse, face à la hausse du coût de la vie et aux nouvelles normes sociales.
"Si je m'en sors financièrement, j'aimerais bien avoir deux enfants", assure Nguyen Tran Bao Linh, 17 ans, originaire de Nha Trang, dans le sud du Vietnam. "Mais pas plus", nuance-t-elle.
Le pouvoir communiste a abandonné en juin dernier sa politique qui limitait les couples à deux enfants. Mise en place en 1988, elle visait à éviter que la surpopulation fasse dérailler le développement du pays, alors largement démuni après des décennies de guerre.
Croissance vs dénatalité
Aujourd'hui, le Vietnam, fort de quelque 100 millions d'habitants, se présente comme un parangon de réussite économique, avec l'objectif d'intégrer le cercle des pays à revenu élevé d'ici 2045.
Mais le taux de fécondité a chuté en-deçà du seuil de renouvellement de 2,1 enfants par femme, menaçant les ambitions de ce "dragon" du Sud-Est asiatique, qui fait face au vieillissement de la population et à une réduction de la main-d'oeuvre.
De 2,11 enfants par femme en 2021, le taux de fécondité au Vietnam a chuté à 2,01 en 2022, puis 1,96 et enfin, 1,91 en 2024, le taux de fécondité le plus bas de l'histoire du pays. Le phénomène touche en particulier les zones urbaines (1,67), à commencer par Hanoï, dans le nord, et Ho Chi Minh-Ville, dans le sud, les deux poumons économiques du Vietnam, où les salaires n'intègrent pas la hausse du coût de la vie.
Baby boom vs coût de la vie
Et pourtant, le déclin de la natalité semble suffisamment ancré pour que des femmes admettent que la nouvelle directive gouvernementale ne bouleversera pas la donne, comme Tran Minh Huong, une employée de bureau de 22 ans, qui déclare que la nouvelle direction gouvernementale n'allait pas changer son plan de ne pas avoir de progéniture. Parce que même en Asie, dit-elle, où "les normes sociales dictent que les femmes doivent être mariées et avoir des enfants, élever un enfant coûte trop cher".
La hausse du coût de la vie, à commencer par le logement, allié au changement des normes sociales, les nouvelles générations aspirant à s'épanouir ailleurs qu'au foyer, devrait entraver le baby boom souhaité par les autorités.
"Je compte avoir un ou deux enfants, parce que je veux trouver un équilibre entre travailler, m'occuper des enfants et prendre soin de moi-même", affirme Nguyen Thi Kim Chi, une étudiante de 18 ans, croisée dans les rues de la capitale Hanoï .
C'est mieux d'avoir deux enfants qui puissent bien grandir, que trois ou quatre enfants qui n'auront pas une bonne éducation ou une bonne vie. Nguyen Thi Nguyet Nga
"Mes beaux-parents veulent vraiment qu'on ait un garçon... mais je ne veux vraiment pas avoir plus d'enfants", explique Nguyen Thi Nguyet Nga, 31 ans, mère de deux filles. Nga gagne environ 300 dollars par mois en travaillant dans une pharmacie de la province de Tuyen Quang, dans le nord du pays - "pas suffisamment" pour que ses deux filles, qui vivent chez leurs grands-parents à une quarantaine de kilomètres, aient "une bonne vie", déplore-t-elle.
"La plupart du temps, on parle par vidéo chat et on ne se voit une ou deux fois par mois. Alors pourquoi j'aurais un autre enfant ?", s'interroge-t-elle. "C'est mieux d'avoir deux enfants qui puissent bien grandir, que trois ou quatre enfants qui n'auront pas une bonne éducation ou une bonne vie", insiste Nga. Au Vietnam, le prix du logement, de l'école ou des soins ont augmenté plus rapidement que les salaires.
Politiques de la famille
L'Etat doit investir dans des politiques qui puissent aider les parents à trouver un équilibre entre vies professionnelle et familiale, dans les services de garde d'enfants de qualité, ou l'égalité des sexes au travail, a prévenu le Fonds des Nations unies pour la population.
Hoang Thi Oanh, 45 ans, mère de trois enfants, a vu ses prestations sociales baisser après la naissance de son dernier enfant, en raison de la politique des deux enfants par famille. "C'est une bonne chose que les autorités aient enfin levé cette interdiction, dit-elle, ajoutant qu'"élever plus de deux enfants de nos jours est trop difficile et trop coûteux... Seuls les couples courageux et les plus aisés le feraient. Je pense que les autorités devront même accorder des primes pour encourager les gens à avoir plus de deux enfants".
Tran Thi Thu Trang concède que sa vie est devenue plus difficile après la naissance, par accident, de son troisième enfant. Cette employée de bureau à Haïphong, 30 ans, se dit chanceuse d'avoir les moyens de payer une assistante maternelle pour ses deux garçons et sa fille, tous âgés de moins de sept ans.
Nous avons besoin d'une aide pour les frais de scolarité des enfants et d'un soutien accru en matière de soins de santé.Tran Thi Thu Trang
Mais "les salaires doivent augmenter, nous avons besoin d'une aide pour les frais de scolarité des enfants et d'un soutien accru en matière de soins de santé", décrit-elle. Suite à la suppression de la limite de deux enfants, "je pense qu'il faudra 5 à 10 ans" pour que les gens changent d'avis, ajoute-t-elle. "Mais seulement si le gouvernement en fait une priorité".
Préférence aux garçons
Le Vietnam est également confronté à un déséquilibre des sexes dû à une préférence historique pour les garçons. En juin 2025, le ministère de la Santé a proposé de tripler l'amende actuelle pour la porter à 3 800 dollars "afin de freiner la sélection du sexe du fœtus", selon les médias d'Etat.
Au Vietnam, il est interdit d'informer les parents du sexe de leur enfant avant la naissance, ainsi que de pratiquer un avortement pour des raisons de sélection du sexe, et les cliniques qui enfreignent la loi sont passibles de sanctions. Le ratio des sexes à la naissance, bien qu'il se soit amélioré, reste déséquilibré avec 112 garçons pour 100 filles.
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Baisse de la natalité : une tendance mondiale
La baisse du taux de fécondité est le plus souvent associée aux pays riches. Ces dix dernières années, le taux de fécondité a baissé dans la plupart des pays d'Asie du Sud-Est, où Singapour et la Thaïlande, les deux pays les plus touchés, affichent un taux autour de 1,0. La Corée du Sud et le Japon, qui a annoncé en juin 2025 un taux de fécondité historiquement bas de 1,15 en 2024, essayent depuis des années d'inverser la tendance, sans réussite.
La Chine, elle, a lancé sa politique de limitation des naissances à la fin des années 1970 afin d'enrayer une explosion démographique. A partir de 2016, divers assouplissements successifs ont permis à tous les couples d'avoir trois enfants s'ils le souhaitent. Mais leurs bénéfices tardent à se faire sentir. Comme dans de nombreux pays, la hausse du coût de la vie a freiné les taux de natalité et ces mesures n'ont pas permis d'inverser le déclin démographique de la Chine, dont la population a baissé pour la troisième année consécutive en 2024.
Le phénomène est bien plus large, préviennent les Nations unies dans un rapport publié cette année : dans plus de la moitié des pays du monde, le taux de fertilité se situe en-dessous de 2,1.
(Re)lire dans Terriennes :
Taux de fécondité en berne : une tendance mondiale, une inquiétude justifiée ?
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