Au Soudan, les bénévoles anonymes qui recousent la vie

Par AFP Par Equipes de l'AFP au Soudan, avec Nada ABOU EL-ANAIM au Caire © 2025 AFP

Au Soudan ravagé par la guerre, un réseau de bénévoles, qui avait été proposé pour le Nobel de la paix 2025, lutte pour secourir une population affamée et déracinée, en distribuant des vivres, reconstruisant les maisons ou organisant les évacuations.
"Nous faisons partie de la population, nous venons de là où nous intervenons", explique Dia Al Deen Al Malek, bénévole de la cellule d'urgence de la capitale Khartoum. "Nous sommes des médecins, ingénieurs, étudiants, chômeurs, comptables".
Implantés dans toutes les régions du pays, les Cellules d'intervention d'urgence (ERR) rassemblent des milliers de bénévoles, majoritairement des jeunes.
Les équipes agissent hors des cadres administratifs, souvent en relais d'agences internationales qui, faute de pouvoir déployer leurs équipes sur place, leur confient gestion des vivres et fournitures médicales.
"Ce sont des personnes et des organisations déterminées et courageuses qui connaissent le contexte, maîtrisent la langue et comprennent les besoins", souligne à l'AFP Denise Brown, la coordinatrice humanitaire de l'ONU pour le Soudan.
"Coeur battant"
"Depuis le premier jour de la guerre, les ERR et leurs volontaires infatigables ont été le coeur battant de la réponse humanitaire au Soudan", renchérit Shashwat Saraf, directeur du Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC), qui travaille avec ce réseau citoyen.
Leur action répond aux urgences, de la gestion des hôpitaux à la réparation des réseaux d'eau et d'électricité, en passant par l'animation de cantines, le soin des blessés, le soutien aux victimes de violences sexuelles ou la reconstruction d'écoles.
"Quand la guerre a commencé, il y avait des cadavres dans les rues et une absence totale d'action", explique M. Malek.
Les volontaires ont été propulsés en première ligne pour suppléer des pouvoirs publics déliquescents quand, en avril 2023, le pays a sombré dans une guerre pour le pouvoir entre le chef de l'armée, Abdel Fattah al-Burhane, et le commandant des Forces de soutien rapide (FSR), Mohamed Hamdane Daglo.
Les cellules ERR sont les héritières des comités de résistance, nés lors des mobilisations de 2013 contre le pouvoir d'Omar el-Béchir. Ces réseaux citoyens ont joué un rôle central dans la révolution de 2018-2019, qui a précipité la chute du dictateur.
En 2020, la pandémie de Covid-19 ancre leur présence locale, entre campagnes de prévention et actions de vaccination.
"Avant de rejoindre la salle d'urgence, beaucoup d'entre nous travaillaient déjà dans des projets humanitaires", explique Al Sadiq Issa, volontaire ERR depuis mai 2024 à Dilling, une ville assiégée du Kordofan-Sud.
Il s'occupe de la documentation et du suivi des activités, et travaille avec 36 bénévoles répartis en bureaux spécialisés: logistique, relations externes, formation, protection des femmes, sécurité.
"Ce sont les seuls capables de nous aider", déclare à l'AFP Emgahed Moussa, une habitante de Dilling âgée de 22 ans. "C'est grâce à eux que nous mangeons. Ils nous apportent de la farine, des comprimés, parfois juste un mot gentil".
Selon l'ONU, plus de quatre millions de personnes ont bénéficié des actions des ERR pendant les dix premiers mois du conflit.
Dans l'Etat agricole d'al-Jazirah, au sud-est de Khartoum, où sont retournés plus d'un million de déplacés depuis que l'armée en a repris le contrôle, les ERR ont mis en place des espaces sûrs pour femmes et enfants. Là aussi, ils fournissent "des médicaments essentiels, les premiers soins, ainsi qu'un soutien psychologique et social aux victimes de violences", raconte Wafa Hassan, la porte-parole de la cellule d'urgence régionale.
Risques
Présents dans les zones les plus inaccessibles, les volontaires documentent aussi les exactions de l'armée et des paramilitaires. Leurs communiqués sont considérés comme des sources précieuses dans un pays gangrené par la propagande et la désinformation.
Dans un climat général de peur et de violences régulièrement dénoncées par l'ONU, les volontaires, que les deux camps traitent avec suspicion, ont connu la mort, les viols, les agressions et les arrestations.
"Le plus grand risque dans notre travail est de se faire arrêter, car les salles d'urgence sont perçues comme une extension de la révolution", confie M.Malek.
Nader Mahmoud, 25 ans, volontaire de l'Etat du Nil Bleu, dans le sud-est du Soudan, a ainsi été arrêté début octobre, selon ses collègues qui sont sans nouvelles depuis.
Le frère d'Emgahed Moussa, volontaire à Dilling, a lui "été arrêté en transportant des couches". "A son retour, il a quand même continué", souligne la jeune femme.
En septembre, le travail des ERR et leurs "initiatives innovantes d'entraide en termes de participation citoyenne" ont été salués par le prix Rafto des droits humains. Le réseau figurait aussi parmi les 338 candidats proposés pour le prix Nobel de la paix 2025, attribué à l'opposante vénézuélienne María Corina Machado.
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