Amnesty International dénonce les dérives autoritaires en Tanzanie

Amnesty International a publié un rapport qui accable les autorités de la Tanzanie. Selon le mouvement des droits de l'homme, les dirigeants tanzaniens auraient intensifié la répression à l'encontre de l'opposition, des journalistes, de la société civile et des défenseurs des droits humains.
La note d'information indique que le pouvoir réprime la dissidence, dans le cadre d'une stratégie délibérée visant à instaurer un climat de peur, à supprimer l'engagement civique, à l'approche des élections générales du 29 octobre 2025.
Le gouvernement de la présidente Samia Suluhu Hassan a réduit à néant les espoirs de réforme. Au contraire, sous sa direction, les autorités ont poursuivi et intensifié les pratiques répressives visant les dirigeants de l'opposition, la société civile, les journalistes et les voix dissidentes, notamment par des agressions, des arrestations arbitraires, des exécutions extrajudiciaires et des disparitions forcées, sans que personne n'ait à rendre compte de ses actes.
Tigere Chagutah, directeur régional d'Amnesty International pour l'Afrique de l'Est et l'Afrique australe.
Les élections générales devraient être dominées par le parti au pouvoir, le Chama Cha Mapinduzi (CCM), les deux principaux candidats de l'opposition à l'élection présidentielle n'ayant pas le droit de se présenter. Le mois dernier, Luhaga Mpina a été disqualifié pour la deuxième fois, tandis que Tundu Lissu, du Chama cha Demokrasia na Maendeleo (Chadema), le plus grand parti d'opposition, est en procès pour trahison.
"Le gouvernement de la présidente Samia Suluhu Hassan a anéanti les espoirs de réforme. Au contraire, sous sa direction, les autorités ont poursuivi et intensifié les pratiques répressives visant les dirigeants de l'opposition, la société civile, les journalistes et les voix dissidentes, notamment par des agressions, des arrestations arbitraires, des exécutions extrajudiciaires et des disparitions forcées, sans que personne n'ait à rendre de comptes ", a déclaré Tigere Chagutah, directeur régional d'Amnesty International pour l'Afrique de l'Est et l'Afrique australe.
"Les opposants politiques ont fait l'objet d'accusations motivées par des considérations politiques et, dans certains cas, se sont vu refuser le droit de participer au scrutin.
Les autorités doivent mettre fin à leur inacceptable campagne de répression contre la dissidence, qui s'est intensifiée depuis les dernières élections, il y a cinq ans. Elles doivent abandonner immédiatement et sans condition les accusations forgées de toutes pièces et politiquement motivées à l'encontre de toutes les personnes détenues uniquement pour avoir exprimé des opinions politiques et religieuses ou d'autres croyances, y compris le leader de l'opposition Tundu Lissu.
Les opposants politiques ont fait l'objet d'accusations motivées par des considérations politiques et, dans certains cas, se sont vu refuser le droit de participer au scrutin.
Tigere Chagutah
Pour la séance d'information "Sans opposition, sans contrôle, injuste : L'inquiétude sous-jacente au scrutin de 2025 en Tanzanie", Amnesty a interrogé 43 victimes, témoins, membres de la famille de victimes, représentants légaux et membres d'organisations de la société civile, et a rassemblé des rapports d'attaques provenant de sources médiatiques. Tous les cas documentés ont été vérifiés par plusieurs sources indépendantes lorsque cela était possible.
Les autorités tanzaniennes n'ont pas répondu à la demande de commentaires d'Amnesty.
Enlèvements et homicides illégaux
Amnesty International a également recueilli des informations sur des violations généralisées et systématiques des droits humains, notamment des disparitions forcées, des actes de torture et d'autres mauvais traitements, ainsi que des exécutions extrajudiciaires de personnalités et de militants de l'opposition.
La Tanganyika Law Society a recensé 83 cas de personnes disparues dans des circonstances mystérieuses à la date du 9 août 2024.
Le 7 septembre 2024, le corps d'Ali Mohammed Kibao, stratège principal du Chadema, a été retrouvé abandonné près des rives de l'océan Indien, un jour après avoir été enlevé dans un bus à Dar es Salaam.
Le 26 juillet 2024, Dioniz Kipanya, un responsable du parti Chadema, a disparu après avoir quitté son domicile à la suite d'une conversation téléphonique avec une personne non identifiée. Il n'a toujours pas été retrouvé. Plus d'un an après l'enlèvement de Deusdedith Soka et Jacob Mlay, deux jeunes militants du Chadema, et de Frank Mbise, un chauffeur de moto-taxi, par un groupe d'hommes soupçonnés d'être des policiers, on ne sait toujours pas où ils se trouvent.
Amnesty International demande que des enquêtes rigoureuses soient menées dans les meilleurs délais sur tous les enlèvements, exécutions extrajudiciaires, disparitions forcées et agressions signalés, et que les responsables présumés soient déférés à la justice.
Utilisation du système de justice pénale et des lois pour réprimer l'opposition
Les autorités ont également utilisé le système de justice pénale contre les opposants politiques.
Le leader de l'opposition Tundu Lissu est toujours en détention, accusé de trahison et de publication de fausses déclarations, suite aux commentaires qu'il a fait sur les médias sociaux et sur YouTube le 3 avril 2025. Le 24 avril 2025, la police a arrêté des dizaines de partisans devant le tribunal de première instance de Kisutu, où Lissu comparaissait. Nombre d'entre eux ont par la suite déclaré avoir été harcelés, battus et soumis à des traitements pouvant s'apparenter à la torture ou à d'autres formes de mauvais traitements, avant d'être abandonnés dans des zones reculées telles qu'Ununio et la forêt de Pande, à environ 43 km du centre de Dar es Salaam.
"Un homme brandissant un objet long et pointu l'a enfoncé dans la cheville intérieure de ma jambe gauche, ce qui a laissé une plaie béante d'où le sang giclait. À travers mes yeux ensanglantés, j'ai remarqué que plusieurs de mes ravisseurs filmaient l'épreuve, tout en riant et en se moquant de nous", a déclaré l'un des survivants.
À l'approche des élections, les autorités ont adopté des lois et des réglementations imparfaites qui ont encore réduit l'espace civique, notamment des amendements à la loi de 2024 sur les affaires des partis politiques et à la loi de 2024 sur la Commission électorale nationale indépendante.
"Malheureusement, les autorités ont passé les cinq dernières années à mettre la Constitution en pièces. Elles ont intensifié leur répression de l'espace civique et du droit de participer librement aux élections en adoptant des lois profondément erronées qui non seulement créent un espace pour la violation des droits de l'homme, mais témoignent également de leur tolérance zéro à l'égard de toute opinion opposée, que ce soit hors ligne ou en ligne", a déclaré Tigere Chagutah.
Restrictions à la liberté de réunion pacifique, de mouvement, d'association, d'expression et des médias
Les autorités tanzaniennes ont systématiquement interdit, perturbé ou violemment dispersé les rassemblements pacifiques, en particulier ceux organisés par les partis d'opposition. Les dirigeants et les militants de l'opposition ont été confrontés à de sévères restrictions de leur liberté de mouvement qui les ont empêchés de mener des activités politiques normales.
Le 13 mai 2025, le secrétaire général adjoint du Chadema, Amani Golugwa, a été arrêté à l'aéroport international Julius Nyerere alors qu'il s'apprêtait à se rendre à Bruxelles pour participer au Forum international de l'Union pour la démocratie. Il a déclaré que la police l'avait interrogé sur l'envoi présumé d'informations à des membres du Parlement européen. "Sans une pression soutenue de la part des partenaires régionaux et internationaux de la Tanzanie pour mettre fin à la répression de la liberté d'expression et des droits de l'homme en général, les élections de 2025 risquent de devenir un exercice procédural dépourvu de légitimité, mené dans un environnement où la peur, la violence et l'exclusion ont remplacé la participation politique ouverte", a déclaré Tigere Chagutah.
Contexte
Dans un rapport publié en 2020, intitulé "Lawfare : Repression by Law ahead of Tanzania's General Elections", Amnesty International a mis en lumière la situation préoccupante des droits humains à l'approche des élections et a appelé les autorités tanzaniennes à respecter et à faire respecter les droits humains tout au long du scrutin et par la suite.
Le 19 mars 2021, Samia Suluhu Hassan a prêté serment en tant que présidente de la Tanzanie, devenant ainsi la première femme chef d'État du pays après la mort du président John Pombe Magufuli. Les premiers mois de son mandat ont été marqués par une série de changements politiques qui ont marqué une rupture avec le style de gouvernance répressif de son prédécesseur. Elle a notamment levé l'interdiction de certains médias et autorisé les partis politiques d'opposition à reprendre les rassemblements publics qui avaient été arbitrairement restreints sous l'administration du président Magufuli. La présidente Hassan s'est également engagée publiquement à procéder à des réformes constitutionnelles et à favoriser un environnement politique plus ouvert.
Malgré ces premières réformes, la répression s'est intensifiée sous le président Hassan, en particulier à l'approche des élections générales du 29 octobre.
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