Ukraine : un vaste système de corruption mis au jour dans les secteurs de l'énergie et de la défense
Le Bureau national ukrainien de lutte contre la corruption (NABU) a annoncé, ce lundi 10 novembre, mener une vaste enquête qui a révélé les agissements d'une "organisation criminelle de haut niveau" dans le secteur de l'énergie et de la défense.
Selon le NABU, qui mène l'enquête en coopération avec le bureau du procureur spécialisé dans la lutte contre la corruption (SAP), le groupe impliqué "a mis en place un système de corruption majeur pour contrôler des entreprises publiques clés", notamment Energoatom, l'agence publique ukrainienne de l'énergie nucléaire. L'organisation aurait reçu des pots-de-vin de la part des sous-traitants d'Energoatom, à hauteur de 10 à 15 % de la valeur de chaque contrat. Au total, "environ 100 millions de dollars" ont transité dans des opérations de blanchiment.
"La gestion de l'entreprise, dont le chiffre d'affaires annuel dépasse les 4 milliards d'euros, n'était pas assurée par des fonctionnaires, mais par des personnes extérieures qui n'avaient aucune autorité officielle", a déclaré le NABU dans un communiqué.
Les enquêteurs ont mené plus de 1 000 heures d'écoutes téléphoniques pendant les quinze mois qu'a duré l'opération "Midas". Elle a débouché sur 70 perquisitions, selon l'agence.
Les enregistrements divulgués ont permis de mettre en lumière deux hommes. Le premier est Dmytro Basov, ancien procureur et ex-chef du département de la sécurité physique d'Energoatom. Le second est Ihor Myroniuk, ancien conseiller de l'ex-ministre de l'Énergie Herman Halushchenko, en poste entre avril 2021 et juillet 2025. Il a également été l'assistant de l'ex-législateur ukrainien en fuite Andrii Deerkach, qui est sénateur russe depuis 2024.
La NABU affirme que Dmytro Basov et Ihor Myroniuk ont effectivement "pris le contrôle de tous les achats de la société".
Un proche de Zelensky impliqué
Une troisième personne a été identifiée : il s'agit de Timur Mindich, ancien partenaire commercial du président ukrainien Volodymyr Zelensky. Producteur de films ayant de vastes intérêts commerciaux dans divers secteurs, il aurait étendu son influence commerciale et politique au cours des dernières années.
Cet homme est également le copropriétaire de Kvartal 95, une société de production fondée et anciennement détenue en partie par le président ukrainien.
Après avoir été élu président en 2019, Volodymyr Zelensky a transféré sa participation dans la société à d'autres partenaires. Il aurait ensuite gardé des liens avec Timur Mindich, puisqu'il aurait célébré, en 2021, son anniversaire dans son appartement, selon des journalistes d'investigation ukrainiens.
Les enregistrements publiés par le Bureau national ukrainien de lutte contre la corruption contiendraient les voix de Mindich, considéré comme le chef du groupe, et celle de l'actuel ministre de la Justice, Herman Halushchenko.
Selon les médias ukrainiens, le NABU a effectué des perquisitions à Kyiv dans des locaux liés à Timur Mindich et Herman Halushchenko.
Zelensky appelle à des sanctions exemplaires
"Il est urgent de prendre des mesures efficaces contre la corruption. Les sanctions sont indispensables", a déclaré le président ukrainien dans un discours prononcé lundi soir.
Le chef de l'État a souligné qu'Energoatom "fournit actuellement la plus grande part de la production d'énergie en Ukraine". "L'intégrité au sein de l'entreprise est une priorité. Dans le secteur de l'énergie, chaque industrie et chaque personne impliquée dans des systèmes de corruption doivent faire face à des conséquences juridiques claires et des condamnations doivent être prononcées", a-t-il également assuré, avant de préciser que "les représentants du gouvernement doivent collaborer avec la NABU et travailler ensemble si nécessaire pour obtenir des résultats".
Le Premier ministre ukrainien, Yulia Svyrydenko, a déclaré que son cabinet était prêt à aider la NABU et la SAP dans leur enquête. "Nous attendons les résultats des actions procédurales concernant la situation d'Energoatom et la notification rapide du gouvernement", a-t-elle déclaré.
"La lutte contre la corruption est l'une des principales priorités du gouvernement. Toute infraction doit faire l'objet d'une condamnation et d'une sanction inévitable", a assuré la Première ministre.
L'actuelle ministre de l'Énergie a déclaré que le secteur énergétique public se soumettrait aux enquêtes alors que les infrastructures ukrainiennes doivent faire face à de nombreuses offensives russes. "Il est très important que les enquêtes soient menées de manière transparente. [...] Dans le même temps, je veux vous rappeler que notre système énergétique est soumis à des attaques sévères et que, naturellement, tout événement chez Energoatom est scruté par chacun avec attention", a-t-elle ajouté.
Une loi anticorruption qui avait très critiquée
Cette affaire intervient quelques mois après le rétablissement de l'indépendance de deux des principaux organismes de surveillance anti-corruption du pays.
Fin juillet, la mesure visant à placer les organismes de surveillance, le NABU et le SAP, sous le contrôle du procureur général avait suscité un tollé de la part des Ukrainiens, de l'Union européenne et des groupes internationaux de défense des droits humains. Elle a fait craindre que le gouvernement ne s'immisce dans les enquêtes et ne mette ses partisans à l'abri d'investigations.
Des manifestations ont alors éclaté dans tout le pays avant que le Parlement rétropédale et n'approuve, par 331 voix et neuf abstentions, le retour de l'indépendance des deux agences.